Dans leur miniferme, ces éleveurs bretons vivent en quasi-autonomie (Reporterre-23/08/25)

Chaque soir, sauf le dimanche, Roger Abalain accueille des visiteurs dans son étable, à l’heure de la traite. – © Manuella Binet / Reporterre

Serait-ce la plus petite ferme de France ? Depuis 25 ans, Nathalie et Roger vivent en quasi-autonomie avec 8 vaches sur une ferme de 12 ha, en Bretagne. Ils y fabriquent des produits laitiers qu’ils vendent en circuit court.

Par Manuella BINET.

Plouharnel (Morbihan), reportage

Chaque soir, à l’heure de la traite, la ferme de Roger et Nathalie Abalain, à Plouharnel (Morbihan), ouvre grand ses portes. Les curieux, locaux ou de passage, s’invitent alors dans la mini-étable, où huit petites vaches attendent paisiblement leur tour. Ici, pas de salle de traite ou de robot dernier cri. Seulement l’odeur du foin et le tac tac répétitif de la trayeuse mobile.

Alors que Nathalie, 58 ans, s’occupe de la vente dans la petite boutique de la ferme, Roger, 55 ans, sabots au pied, trottine de l’étable au laboratoire de transformation avec les pots de lait remplis, en lançant des boutades à la petite dizaine de visiteurs présents. « On représente un peu le cliché des fermes qu’on voit dans les livres pour enfants, avec le fermier qui s’occupe de quelques vaches. Aujourd’hui, c’est très loin de la réalité des exploitations laitières en France », reconnaît le paysan.

Pour lancer leur projet, en 2000, le couple avait un modèle : celui de la petite ferme des grands-parents de Roger, où l’autonomie était la règle. « Ils faisaient tout eux-mêmes. C’est ce qu’on a voulu essayer de retrouver avec cette ferme. »

Grâce à leur potager, au lait de leurs vaches et à la viande des quelques veaux qui naissent chaque année, ils sont autosuffisants à 85 %. « On achète quand même la farine pour le pain, le sel, les pâtes, le riz », liste Nathalie. « On a essayé de faire nos propres céréales, mais ça nous prenait trop de temps. Avec l’expérience, je peux dire qu’à deux, l’autonomie totale, c’est impossible », ajoute Roger.

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Qu’importe, le couple continue de faire tout ce qu’il peut lui-même. « C’est une orientation de vie qu’on a choisi : celle de l’autosubsistance », poursuit Roger.

L’une des plus petites fermes de France

Le couple est autonome en eau grâce à un récupérateur d’eau de pluie de 50 m3 et en énergie « à 90 % » grâce aux panneaux solaires qui tapissent le toit de l’étable et du laboratoire de transformation, orientés plein sud. Ils permettent d’alimenter en électricité le bâtiment agricole et la maison du couple.

Et les 10 % restants ? « On achète de l’essence pour la voiture et du fioul pour le tracteur », détaille Roger. Mais le vieux tracteur ne sort pas si souvent de son hangar. Comme ses grands-parents avant lui, le paysan préfère utiliser la traction animale, grâce à Quadridge, le cheval de trait de la famille. « Tout ce que je peux faire avec le cheval, je le fais. Pour ça, j’ai récupéré des outils anciens que j’ai bricolés pour les adapter à mes besoins. J’ai une faucheuse de 1929 que j’ai remise à neuf », explique fièrement Roger, dont le hangar est rempli d’objets d’époque à retaper.

Le couple élève des Bretonne pie noir, une race locale connue pour son lait très riche, dont il participe à la préservation. © Manuella Binet / Reporterre

Longtemps, la ferme de Roger et Nathalie a été surnommée « la plus petite ferme de France ». « C’est la Mutualité sociale agricole qui nous avait dit ça il y a quelques années, mais je ne sais pas si c’est toujours le cas. On doit être dans les plus petites, c’est sûr. » La surface moyenne des exploitations agricoles était de 69 ha en France en 2020.

À l’époque, la ferme accueillait 8 vaches sur 8 ha de terre. Depuis, elle s’est agrandie et compte désormais 12 ha de prairie — « des bouts de terrain en friche dont personne ne voulait », précise Roger — et 12 vaches : 8 en production, 2 génisses et 2 vaches taries. La plus âgée du troupeau a fêté ses 18 ans en juin. L’âge moyen des vaches réformées dans l’industrie laitière, c’est-à-dire jugées inaptes pour la production de veaux ou de lait, est d’un peu plus de 5 ans en France.

Ici, Polka, Chouket, Raden, Riboulet et les autres passent leurs journées et leurs nuits au pré toute l’année. Et chacune de ces petites Bretonnes Pie noir, une race locale et rustique, deux fois moins grandes que des Prim’Holstein, produit chaque année entre 3 500 et 4 000 litres de lait, de février à novembre. « On vit en cohérence avec le cycle de la nature. En hiver, il y a moins d’herbes à pâturer, mais comme les vaches ne produisent plus de lait, elles ont moins besoin de protéines », détaille Roger, qui est membre de l’Union Bretonne Pie noir, une association qui tente de sauvegarder la race.

Une réussite qui dérange

La production reprend généralement au mois de février. Et avec elle, les journées au labo de transformation, où le lait riche des Bretonnes Pie noir devient des yaourts, du fromage, de la confiture, du riz au lait… Ou du gwell, un produit à base de gros-lait fermenté. « Petits, mes parents en mangeaient, et puis on a industrialisé les ferments dans la fabrication des produits laitiers et il a quasiment disparu. Le gwell est un produit traditionnel, qui est fait avec du lait de vaches Bretonnes Pie noir et des ferments spécifiques », complète Roger.

Ce produit artisanal a fait la renommée de la ferme. Dans la petite boutique que tient Nathalie chaque soir et sur le marché de Quiberon sur lequel ils ont un stand depuis plus de vingt ans, c’est devenu leur produit phare.

Le couple vend différents produits laitiers : yaourts, fromages, crèmes aux œufs, confitures de lait, mais surtout du gwell, un produit breton typique, qui a fait la renommée de la ferme. © Manuella Binet / Reporterre

Tout quitter pour s’installer en Bretagne, au début des années 2000, n’a pas été simple pour le couple. Roger, informaticien de métier, a dû se former à l’agriculture, tout comme Nathalie, qui travaillait dans le secteur automobile. Pas de subvention, pas de prêt car la banque ne jugeait par leur projet viable… Leur solution a été de vendre la voiture de Nathalie pour réussir à acheter leur ferme, qui est aussi leur lieu d’habitation. Aujourd’hui, ces parents de trois enfants ont gagné leur pari.

Pas de dette, pas d’emprunt à rembourser, ni de contrat à honorer ou de quotas à respecter. « Certains sont furieux contre nous, ils ont l’impression d’un retour en arrière et ne comprennent pas qu’on réussisse à vivre de notre activité. Pour eux, il faut que ce soit toujours plus gros, toujours plus grand. On ne veut pas de notre système, car on vit pour nous, alors que les agriculteurs produisent pour l’industrie », regrette Roger.

Face au succès de leurs produits, vendus uniquement en circuit-court, le couple a quand même hésité à produire plus, avant de renoncer. « Sur le marché, on a parfois tout vendu à 10 heures. On s’est demandé si on devait s’agrandir pour pouvoir vendre plus. On nous a dit qu’on vivait sous le seuil de pauvreté [le salaire médian en élevage laitier est de 20 350 euros par an, avec un taux de pauvreté proche des 20 %] mais nous, on vit bien. On n’est pas stressé par l’argent. Quand on a des bonnes années, on met de côté et ça nous sert dans les moins bonnes », poursuit Roger.

Le couple a dû s’affranchir du jugement des autres. Et mener son projet dans son coin, en acceptant d’être considéré à la marge. « On m’a traité de rigolo, on m’a dit que mon projet n’était pas viable quand je me suis installé, pourtant vingt-cinq ans plus tard, je suis toujours là ! », dit Roger. Une vie en opposition à la course à l’agrandissement et au productivisme dans laquelle sont poussés bien des agriculteurs, avec son corollaire d’ennuis et notamment un fort endettement. La taille moyenne des exploitations agricoles est en constante augmentation : de 55 ha en 2010, elle est passée à 69 ha en 2020 (+25 %).

Alors que les fermes des alentours s’éteignent les unes après les autres, faute de repreneurs, celle de Roger et Nathalie n’est pas en danger. La fille aînée du couple envisage de prendre la relève quand ses parents passeront la main.

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Source: https://reporterre.net/Dans-leur-miniferme-ces-eleveurs-bretons-vivent-en-quasi-autonomie

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