
Le gouvernement agite la menace de banqueroute pour justifier ses projets de coupes dans les dépenses sociales. Une façon de grossir le trait pour mieux enterrer le débat politique autour des façons de combler la dette et d’investir dans l’avenir.
Par Hélène MAY
C’est une France au bord du gouffre qu’a décrite le premier ministre François Bayrou lundi 25 août lors de sa conférence de presse de rentrée. « Notre pays est en danger parce que nous sommes au bord du surendettement », a-t-il expliqué, faisant planer le spectre de l’intervention d’une nouvelle troïka composée de représentants de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international, à l’image de celle qui avait mis la Grèce sous tutelle après la crise financière de 2008.
En cause notamment, la hausse de la charge de la dette, qui « va devenir cette année le budget le plus important de la nation », en atteignant 66 milliards d’euros, contre 60 milliards l’année précédente. Désormais, cette dette ne sert donc plus à investir mais à payer des dépenses courantes, fustige le premier ministre. Pire, il agite la menace d’un déclassement auprès des agences de notations, qui entraînerait un renchérissement du coût de l’emprunt pour les pouvoirs publics.
La France, solvable et prisée sur les marchés internationaux
Malgré cet argumentaire catastrophiste, la situation n’est pas aussi dramatique que dépeinte par le locataire de Matignon et tous les membres du gouvernement. La France n’a en effet aucune difficulté à se financer sur les marchés financiers. « À chaque fois que l’Hexagone émet de la dette, il y a deux fois et demie à trois fois plus de demande que d’offre », rappelait en juin le journaliste économique Christian Chavagneux. Même supérieur à 5 % comme cette année, son déficit reste très éloigné de celui de la Grèce en 2009, qui dépassait les 15 %.
« La dette publique est actuellement très loin des niveaux records atteints dans le passé, à 300 % du PIB pendant la première moitié du XXe siècle », souligne par ailleurs un rapport publié en juillet dernier par l’Institut Avant-Garde, qui met en perspective le déficit dans le temps long. « La France est toujours en mesure de s’assurer des conditions d’endettement favorables, et le poids du service de la dette sur les dépenses publiques reste historiquement bas », précisent même ses auteurs, les économistes Juliette de Pierrebourg, Éric Monnet et Clara Leonard.
Autre point, les calculs sur la charge de la dette ne prennent pas en compte l’évolution des taux d’intérêt. « Avec une inflation estimée à 2 % en 2024 – soit exactement l’objectif fixé par la Banque centrale européenne (BCE) – le taux d’intérêt réel moyen devient… négatif, – 0,3 %, pour être précis. Oui, vous avez bien lu : la charge réelle de la dette publique est en fait négative. Autrement dit, l’État gagne de l’argent en empruntant », ironise dans une tribune François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Le poids des cadeaux fiscaux et des cadeaux aux plus riches
Ce discours alarmiste fait en outre l’impasse sur la principale raison de l’emballement du déficit : la multiplication des cadeaux fiscaux sans contrepartie aux classes aisées et aux entreprises depuis l’arrivée au pouvoir du président Macron.
« La période 2018-2023 a été marquée par d’importantes baisses d’impôts, dont l’impact est estimé à 62 milliards d’euros en 2023, soit 2,2 points de PIB », rappelait d’ailleurs la pourtant très libérale Cour des comptes en 2024 dans un rapport sur les finances publiques.
Sur l’ensemble de la période, la CGT calcule, elle, un manque à gagner en prélèvements obligatoires pour les budgets de l’État et de la protection sociale de 308,6 milliards d’euros, dont 207 milliards rien qu’en baisse d’impôts pour les plus riches.
Se focaliser sur la dette tout en négligeant l’impact des prélèvements présente deux avantages pour l’exécutif. Cela permet de dédouaner les choix du président Macron qui ont asséché les recettes de l’État et de la Sécu, mais aussi de continuer à marteler qu’il n’y a pas d’autre réponse possible à la dette que le plan d’austérité budgétaire de 44 milliards d’euros défendu par le gouvernement.
C’est d’ailleurs le sens du chantage au vote de confiance que le premier ministre résume ainsi : « La question principale, c’est de savoir si oui ou non nous sommes d’accord pour reconnaître qu’il y a urgence. » Il existe pourtant des alternatives budgétaires aux attaques contre les droits sociaux et les services publics.
La gauche n’a cessé de proposer des pistes dans ce sens, depuis la remise à plat des 211 milliards d’aides publiques versées sous formes diverses aux entreprises, jusqu’à la mise en place de la taxe Zucman, qui permettrait de s’assurer que les plus riches payent au moins 2 % d’impôts. Autant de solutions pour faire baisser le déficit public et dégager les moyens indispensables à la transition climatique si on ne veut pas que les générations futures soient confrontées au mur de la dette écologique.
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