
Pour le constitutionnaliste, Dominique Rousseau, la France est en crise de régime. Ses institutions ne répondent plus aux aspirations de ses citoyens. Un retour aux urnes pourrait permettre une clarification et un vrai débat politique.
Entretien réalisé par Diego CHAUVET.
Si François Bayrou tombe, ce qui est le plus probable à cette heure, démonstration sera faite qu’il n’y a pas de majorité macroniste, même alliée à la droite. Pour le juriste et professeur de droit constitutionnel, Dominique Rousseau, le président de la République n’aura donc plus que deux choix : appeler la gauche à constituer un gouvernement, ou dissoudre l’Assemblée nationale et organiser des législatives. Pour autant, une réforme constitutionnelle serait selon lui inévitable pour associer les citoyens à l’initiative et à la conception des lois.
Avec la chute probable de François Bayrou, est-ce une crise de régime ou un nouvel épisode de la crise politique ?
Tous les éléments sont réunis pour parler de crise de régime. Il ne s’agit pas seulement d’une colère contre les gouvernements, mais aussi contre les institutions, qui ne permettent plus aux citoyens d’exprimer leurs besoins et de les traduire en lois. Les institutions sont censées être des canaux permettant aux demandes des citoyens de passer dans l’État pour être prises en compte.
Or, aujourd’hui, elles bloquent ce passage. Le message des citoyens n’est pas converti en lois, mais en répression. Les institutions de la Ve République ne permettent plus que les besoins et les demandes des citoyens se traduisent en politiques publiques, qu’il s’agisse de santé, d’éducation ou de logement. C’est pour cela que je parle de crise de régime. Une crise politique, c’est quand un gouvernement tombe et qu’un autre le remplace. Ici, c’est différent : ce sont les institutions elles-mêmes qui sont en cause.
Est-ce qu’Emmanuel Macron a encore des cartes à jouer ?
Deux scénarios principaux s’offrent à lui. Le premier, c’est ce qu’avait fait de Gaulle en 1962 : dissoudre immédiatement l’Assemblée nationale et organiser de nouvelles élections. Le second, c’est tenter de constituer un nouveau gouvernement. Mais si l’exécutif actuel tombe, cela prouve qu’une majorité appuyée sur Horizons, En Marche, le MoDem et Les Républicains n’existe pas. Macron ne pourrait donc nommer qu’un gouvernement s’appuyant sur un ensemble de forces de gauche, pour bâtir une majorité de compromis.
Il y a une troisième possibilité : provoquer un référendum, par exemple sur la dette. Mais ce serait risqué. Si le gouvernement est renversé sur la question budgétaire, il y a fort à parier qu’un référendum sur le même sujet serait perdu. En réalité, Macron n’aurait que deux vraies options : soit dissoudre l’Assemblée, soit nommer un gouvernement conforme au résultat des législatives de 2024 — donc plutôt à gauche ou au centre-gauche —, menant une politique différente de celle portée jusqu’ici par Barnier, Bayrou et Macron lui-même.
S’il optait pour l’une de ces deux solutions, rien ne garantit que le résultat amène une situation politique vraiment différente en termes de rapports de force au Parlement. Et s’il nomme un Premier ministre de gauche, il serait quand même à la tête d’une majorité très fragile.
En Espagne, il a fallu trois dissolutions successives avant d’obtenir un gouvernement stable, dirigé depuis quatre ans par Pedro Sánchez. Une dissolution permettrait de redistribuer les cartes à travers une vraie campagne électorale, centrée sur la réponse à la crise économique.
Dans ce contexte, les Français auraient un choix clair : soit confirmer la politique de l’offre menée par Bayrou et Macron, soit opter pour une autre voie, celle proposée par la gauche, avec des priorités comme le service public, le logement, l’hôpital ou l’éducation. Une telle campagne pourrait provoquer un sursaut citoyen autour de ces enjeux.
Il y a aussi le risque d’une majorité pour le Rassemblement national…
Tout dépendra de la campagne électorale et du rôle que jouera Marine Le Pen. Une dissolution permettrait, quoi qu’il en soit, un véritable débat public. Ce débat n’a pas eu lieu en 2024, faute de temps, ni en 2022, où la présidentielle s’est faite sans vraie campagne. La chute du gouvernement Bayrou pourrait servir les partis de gauche, qui pourraient dire : « Cette fois, l’Assemblée sera élue sur un programme clair. »
Les Français devraient alors trancher : maintenir la politique de l’offre menée depuis 2017 ou choisir une autre voie, axée sur la réhabilitation des services publics et la réduction des inégalités. Contrairement à 2024, où la dissolution n’a pas été comprise, celle de 2025 serait lisible : le gouvernement aura été renversé pour avoir proposé un budget d’austérité. Les Français comprendraient que la dissolution répond à une logique politique claire.
Est-ce que le mouvement du 10 septembre pourrait avoir une influence sur la suite de la crise politique ?
Une dissolution pourrait réduire l’impact des mouvements sociaux. Elle déplacerait le débat de la rue vers les urnes. Macron pourrait dire aux Français : « Ce n’est pas la peine de bloquer le pays, je vous donne la possibilité de voter. » Le renversement du gouvernement et l’annonce d’élections offriraient aux citoyens la possibilité de « débloquer » la situation en choisissant une autre majorité. Dans ce contexte, la mobilisation dans la rue pourrait être moindre, le débat se déplaçant sur le terrain électoral.
Les Insoumis veulent déposer une motion de destitution d’Emmanuel Macron et Jean-François Copé suggère qu’il devrait avancer la fin de son mandat. Est-ce que ce serait une façon de sortir du blocage ? Ou bien cela ajouterait-il de la crise à la crise ?
Je pense que cela ajouterait de la crise à la crise. Depuis un an, Emmanuel Macron s’est surtout replié sur l’international : Gaza, l’Ukraine, la reconnaissance annoncée de l’État palestinien. S’il démissionnait, que deviendraient ces engagements ? Sa démission ne résoudrait pas la crise et retarderait probablement la reconnaissance de l’État palestinien, pourtant prévue et suivie par d’autres pays comme le Royaume-Uni, le Canada ou l’Australie. Il faut donc distinguer deux responsabilités : celle de Bayrou et de son gouvernement, et celle de Macron.
Au-delà d’un règlement par les urnes, faudra-t-il toucher aux institutions qui, comme vous le soulignez, ne répondent plus aux attentes des citoyens ?
La dissolution ne suffira pas. Nos institutions sont déconnectées des citoyens : elles devraient être des canaux entre la société et l’État, mais elles fonctionnent comme des boucliers qui protègent ceux qui gouvernent. Ces canaux sont bouchés, et les citoyens s’expriment dans la rue. Il faut que ces aspirations trouvent un débouché institutionnel. D’où la nécessité d’une réforme constitutionnelle.
Une proposition déposée en janvier 2024 prévoit de donner aux citoyens l’initiative des lois et de les associer directement à leur élaboration. Aujourd’hui, on leur demande de voter puis de se taire, alors qu’ils veulent participer. C’est pour cela qu’il s’agit d’une crise de régime, pas seulement politique : les institutions ne traduisent plus les demandes des citoyens. La rue et les institutions ne se parlent plus, et c’est le cœur du problème.
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