
Au sud-ouest de Nantes, une assistante maternelle à la retraite bataille pour que l’Assurance maladie reconnaisse le lien entre son cancer et les pesticides épandus par ses voisins maraîchers.
Cet article est publié en partenariat avec le journal d’investigation locale Mediacités.
Par Marion COISNE (Mediacités).
« Quand on voit un tracteur avec une rampe de pulvérisation, on se demande ce qui va nous arriver. C’est tellement d’angoisse », soupire Marie‐Thérèse Gilet. À 75 ans, cette retraitée est toujours soignée pour son cancer, déclaré en 2022. « J’ai tout de suite fait le lien avec les pesticides. J’avais la haine. Après, il faut le prouver ». Avec son mari Guy, ils habitent depuis près de cinq décennies à Villeneuve‐en‐Retz, près de Machecoul, au sud‐ouest de Nantes. Autour de leur jardin arboré, les cultures de légumes en bandes — des planches, dans le jargon — se succèdent à perte de vue.
Marie‐Thérèse a toujours travaillé ici, comme assistante maternelle, aux premières loges pour assister au ballet des pulvérisateurs dans les champs voisins. Aujourd’hui, le couple, appuyé par un avocat, s’est engagé dans un bras de fer avec l’Assurance maladie pour faire reconnaître le cancer de l’épouse comme maladie professionnelle, causée par les pesticides. La démarche est inédite en France pour des riverains ne travaillant pas dans l’agriculture. Si elle aboutissait, elle pourrait faire école dans les actions menées par les riverains victimes des pesticides.

Dans les campagnes françaises, les interrogations des habitants sont croissantes. « Nous sommes contactés par de plus en plus de riverains inquiets pour leur santé ou celle de leurs enfants », témoigne Jean‐Yves Piveteau, membre — comme Marie‐Thérèse et Guy Gilet — du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest. À Paris, François Veillerette, le porte‐parole de Générations futures, le confirme : « On a beaucoup de coups de fil en période de pulvérisation. » L’ONG a d’ailleurs édité un guide national pour les riverains.
Myélome avec atteintes osseuses
« Autrefois, j’allais marcher autour des champs. Maintenant, je n’y vais plus, c’est plein de pesticides », regrette Marie‐Thérèse Gilet. Le couple s’interroge sur les effets des épandages sur leur santé et celle de leurs proches depuis plus de trente ans. « Mon frère vigneron est décédé d’un lymphome T, une forme grave de cancer, en 2017. Au même moment, chez nous, on épandait du métam‐sodium », se souvient la Villeretzienne. En octobre 2018, cette molécule, utilisée pour désinfecter les sols avant d’implanter de la mâche par exemple, avait provoqué l’intoxication de plus de 70 personnes, dont des riverains, à Brain-sur‑l’Authion (Maine‐et‐Loire). Dans la foulée, l’Anses, en charge des autorisations des pesticides, l’avait interdite.
En 2022, après avoir contracté le Covid, Marie‐Thérèse Gilet a peiné à s’en remettre. « J’avais des douleurs à me suicider, je ne pouvais plus marcher. » Le diagnostic est tombé : myélome multiple, avec atteintes osseuses. Trois ans après, elle se rend encore régulièrement au CHU de Nantes pour des traitements liés à ce cancer des os.
« Les bleus, c’est ça, précise‐t‐elle pudiquement, en couvrant ses bras de ses mains. Ce n’est pas beau à voir. » En parallèle de son combat contre la maladie, elle a évoqué avec des médecins son exposition aux pesticides.
Son généraliste lui a fourni le certificat médical initial, sésame pour débuter une procédure de reconnaissance en maladie professionnelle. « Il a fallu lui expliquer comment faire », ajoute Marie‐Thérèse Gilet, déplorant un manque de connaissance sur le sujet du corps médical. Même si au CHU de Nantes, plusieurs professionnels se sont saisis du sujet.
Exposée, car travaillant à son domicile
Le dossier de Marie‐Thérèse Gilet est loin d’être un cas classique. Contrairement à un agriculteur, par exemple, elle n’a pas manipulé de pesticides dans le cadre son travail. Mais c’est bien parce qu’elle travaillait à son domicile comme assistante maternelle qu’elle a été exposée. C’est précisément sur cet argument que son avocat parisien, Maître François Lafforgue, mise. « C’est la première fois que c’est plaidé ainsi », précise‐t‐il.
En février dernier, la réponse de l’Assurance maladie tombait : c’est non. Le dossier ne sera même pas examiné en comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Maître François Lafforgue a alors fait appel des deux raisons invoquées pour justifier le refus. Sur la première, qui concerne le taux d’incapacité, il a obtenu gain de cause. « Le dossier devrait être examiné dans le cadre d’un CRRMP, ou du comité de reconnaissance des maladies professionnelles du Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides », explique l’avocat. Quelle que soit la voie dédiée, si le dossier est examiné, « ce sera une première ».
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Quant au second recours, sur l’inscription de son cancer dans les tableaux de maladies professionnelles, Marie‐Thérèse Gilet était toujours dans l’attente d’un retour à l’heure de la publication de cet article. « Déjà, s’ils acceptent d’étudier le dossier, ce serait une très bonne nouvelle, réagit la plaignante. Si j’arrive au bout de la procédure, cela pourra servir à d’autres personnes. »
Pour les utilisateurs de pesticides — agriculteurs en tête — l’accès à des indemnisations s’est généralisé en 2020 avec la création du Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP). Il facilite les demandes de reconnaissance en maladie professionnelle, avec un système de guichet unique. Le FIVP s’occupe aussi des enfants exposés aux pesticides pendant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de la mère ou du père, avec un fonds dédié.
« À notre connaissance, c’est le seul dispositif de ce type au monde », explique Giovanni Prete, sociologue. C’est ce fonds qui a été saisi suite au décès d’Emmy Marivain, dont la mère fleuriste, résidant en région nantaise, a été exposée aux pesticides durant sa grossesse.
« Pour l’instant, on ne peut rien faire »
En revanche, rien n’est prévu pour les riverains. Quand ils appellent le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, « on ne peut pas leur dire qu’on peut faire quelque chose. Car pour l’instant, on ne peut rien faire », soupire, amère, la retraitée Marie‐Thérèse Gilet. « On les assiste moralement », ajoute son mari. « Ce que l’on conseille, c’est d’aller voir le ou les agriculteurs, et éventuellement d’entamer une négociation avec l’aide d’un médiateur comme le maire. Dans certains endroits, on a réussi à obtenir que la parcelle soit cultivée en bio. A minima, on peut demander à être prévenu avant un traitement. Mais cela ne marche pas à tous les coups », pose Jean‐Yves Piveteau.
Comme pour les Gilet, qui disent avoir tenté à de nombreuses reprises de discuter. Dans leur dernier courrier, à l’été 2025, ils demandent le nom des produits épandus pour connaître les dangers auxquels ils ont été exposés. « Le voisin [agriculteur] nous a dit de voir avec la Fédération des maraîchers nantais, ce que nous avons fait, sans réponse pour l’instant », explique Guy Gilet. Les membres du collectif conseillent aussi de signaler les épandages à Phytosignal Pays de la Loire, un dispositif de l’Agence régionale de santé (ARS).

Contactée, la Fédération des maraîchers nantais, qui regroupe 200 PME et près de 5 000 emplois, a hésité à répondre à Mediacités, rappelant « que les produits [phytosanitaires] utilisés sont tous homologués, leur usage strictement encadré, les applicateurs formés, les bonnes pratiques rappelées ». « Nous dénonçons les accusations faciles visant à nous désigner coupables. Nos pratiques sont responsables, ceci est confirmé par le peu de remontées que nous recevons », ajoute son président Régis Chevallier.
Un fonds d’indemnisation pour les riverains en réflexion
Quid d’un fonds d’indemnisation pour les riverains, évoqué lors de la présentation du plan gouvernemental Écophyto 2030 en mai 2024 ? Interrogé, le ministère de la Santé confirme qu’il « entend engager une réflexion, après une étude de faisabilité » sur un dispositif pour des maladies d’origine non professionnelle en lien avec une exposition aux pesticides, et qu’il suit pour cela les travaux sur l’indemnisation des victimes du chlordécone, aux Antilles.
Quant aux procédures au tribunal, outre la demande de reconnaissance en maladie professionnelle, « il est possible d’intenter une action contre un agriculteur n’ayant pas respecté les règles d’épandage [régies par le Code rural, comme un vent inférieur à 19 km/h], explique Maître Lafforgue. Ou contre l’État pour ne pas avoir mis en place de réglementation protectrice. » Mais les débouchés sont rares. « Ce sont des combats judiciaires difficiles à mener. Il y a peu d’initiatives, pondère l’avocat. Pour les riverains, les choses évoluent très lentement. »
« Si on voulait montrer qu’ils traitent alors qu’il y a du vent, il faudrait qu’un huissier soit présent tout le temps : ce sont de petites parcelles, le temps qu’il arrive, ce serait fini », souffle, désabusé, Guy Gilet, près de Machecoul. Quant à déménager, le couple n’a jamais pu s’y résoudre. « Vendre à une famille avec de jeunes enfants me ferait mal, dit Marie‐Thérèse Gilet. Les riverains sont bien seuls. »
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Source: https://reporterre.net/Touchee-par-un-cancer-la-lutte-de-Marie-Therese-contre-les-pesticides
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