
Cantine, kit antirépression, caisse de grève… Le comité local des Soulèvements de la Terre de Nîmes a mis à profit son expérience pour créer une convergence locale et faire perdurer le mouvement du 10 septembre.
Par Estelle PEREIRA.
Nîmes (Gard), reportage
« Pour celles et ceux qui ont l’habitude de prendre la parole, merci d’être vigilants à ne pas la monopoliser. » Il est 18 heures, la journée de mobilisation sous le mot d’ordre « Bloquons tout » dure depuis 7 heures du matin, à Nîmes, quand Julien, membre du comité local des Soulèvements de la Terre, déclare l’assemblée générale ouverte. Dans cette ville, le mouvement écologiste a tenu un rôle important dans l’organisation du 10 septembre, facilitant le rassemblement de personnes venues d’horizons différents, pas habituées à lutter ensemble.
Autour de Julien, disposés en cercle, des militants de longue date, d’anciens Gilets jaunes, des syndiqués, des lycéens, des encartés dans des partis politiques, majoritairement à gauche, sont venus débriefer la journée de mobilisation. Julien, ingénieur, formé aux techniques d’animation de groupe, fait circuler le micro. Entre ses mains, un panneau de fortune sur lequel sont affichées les règles du débat : « Tout le monde peut prendre la parole », « pas d’insultes », « trois minutes maximum ». Les décisions se prennent à main levée, sans hiérarchie.
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Toujours avec humour, le militant synthétise, reformule, relance « pour transformer les frustrations en actions ». Pour Catherine, aide à domicile, venue assister à plusieurs AG avant le 10 septembre, « l’assemblée autogérée permet de sortir des schémas habituels où seuls certains prennent la parole ou décident ».

C’est avec ce même type de cercles de discussion qu’a été décidé collectivement, le matin même, le blocage de plusieurs ronds-points du périphérique pour ralentir la circulation, ou encore la décision de rejoindre la manifestation organisée par les syndicats l’après-midi, qui a réuni 3 000 personnes dans le centre-ville (800 selon la préfecture). Un petit groupe est allé bloquer le parking payant de l’hôpital public de Carémeau, jugé « injuste » car affectant les malades et leur famille.
« L’objectif c’est l’auto-organisation et la convergence des luttes »
Les Soulèvements de la Terre se sont imposés au niveau national par des actions spectaculaires, souvent liées aux luttes écologistes. À Nîmes, le comité local, constitué d’une poignée de militants, mise sur une autre stratégie : multiplier les espaces de rencontre entre des acteurs dispersés. « L’objectif final, c’est l’auto-organisation et la convergence des luttes », explique Julien.
Le 10 septembre a été immédiatement perçu comme une nouvelle occasion de provoquer des rencontres et du lien : ouverture d’une cantine populaire, animation des assemblées ouvertes, maintien des rendez-vous quotidiens. Autrement dit, faire exister un mouvement sans attendre l’appel d’en haut. « Ce n’est pas seulement une mobilisation de plus. C’est un apprentissage collectif, résume Marie-Anne, professeure à la retraite. Si on tient, c’est le début d’autre chose. »

La veille, un débat sur la présence du drapeau palestinien lors de la manifestation a provoqué des tensions. « Suite à ces échanges houleux, certaines personnes ont dit qu’elles ne viendraient pas. Finalement, elles étaient là aujourd’hui, preuve qu’on est capables de gérer les conflits », raconte Claire, infirmière. La veille, la coanimatrice de la cantine de lutte appelait « à laisser son ego de côté pour faire bloc ».
Une cantine à prix libre avec des produits locaux
Ce 10 septembre, le débat était autre : comment donner envie à un maximum de monde de les rejoindre ? Plus de joie, de musique, de créativité, d’actions concrètes ? Dans plusieurs cercles, la parole et les frustrations circulaient : « On a raté le coche, lance un participant. Il y avait 3 000 personnes à rameuter à l’AG, finalement on n’est qu’une centaine ! » « Je suis saoulée par ces manifestations où après il ne se passe plus rien, c’est ciao bye-bye. C’est important d’arrêter d’avoir peur et de se retrouver autour d’un repas pour préparer la suite », poursuit Lauréline.
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Le repas, justement. Vêtue de son tablier, Claire, également militante des Soulèvements de la Terre, a confectionné avec huit autres volontaires des sandwiches pour le midi et un dhal, le tout à prix libre. « Partager un repas, c’est déjà faire société. La plupart sont là à cause des fins de mois dures et des difficultés à trouver sa place dans une société atomisée. La cantine, c’est aussi une bouffée d’air », explique-t-elle, tout en veillant sur la marmite en train de chauffer au milieu de l’AG.

Surtout, les produits sont tous achetés auprès de producteurs locaux : une des revendications du mouvement « Bloquons tout » était de favoriser les circuits courts. « La cantine, c’est ce qui permet de faire durer la lutte en alimentant une caisse pour les personnes qui se mettent en grève », explique Claire à la foule. « Rien qu’aujourd’hui, nous avons récolté 760 euros », dit-elle sous les applaudissements.
Autour des assiettes se décident les futures actions : blocage ? Sabotage ? « Une chose est sûre, le mouvement continue », lance Marie-Anne. Rendez-vous est déjà donné pour le lendemain, même endroit, même heure.
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