Pesticides-L’acétamipride banni des champs, mais toujours dans nos logements (Reporterre-12/09/25)

Les pesticides agricoles et les produits domestiques ne répondent pas aux mêmes règlementations. – © Magali Cohen / Hans Lucas / AFP

Défendue par la loi Duplomb, la réintroduction du neurotoxique en agriculture a été censurée. Cet insecticide demeure toutefois présent dans des produits grand public. Scientifiques, ONG et élus demandent son interdiction réelle.

Par Benjamin DOURIEZ et Emmanuel CLEVENOT.

Avec 143 000 visionnages, la vidéo n’est pas passée inaperçue. Le 18 août, la branche tarn-et-garonnaise du syndicat agricole FNSEA publiait sur sa page Facebook quasi-anonyme une mise en scène déroutante. Celle d’une enfant de 8 ans, achetant librement dans une jardinerie une bouteille d’insecticide contenant… de l’acétamipride. Au cœur des débats sur la loi Duplomb, la réintroduction de ce neurotoxique — interdit aux agriculteurs depuis 2018 — a été censurée par le Conseil constitutionnel début août. En revanche, une fillette peut en « stocker dans sa chambre, à côté de ses jouets », déplore la voix off dans le clip. « Absurde ! »

Le syndicat agricole productiviste a beau jeu de dénoncer cette « incohérence réglementaire », et de réclamer l’accès pour les agriculteurs à cet « outil indispensable protégeant les cultures ». Pourtant, c’est la question inverse qui mériterait d’être posée : pourquoi une substance aussi controversée n’est-elle toujours pas interdite dans la composition des insecticides à la portée de tout un chacun ?

Si l’acétamipride a été banni de nos champs mais demeure dans nos logements, c’est que les pesticides agricoles (produits phytosanitaires) et les produits de traitement domestiques (appartenant à la catégorie des biocides) ne sont pas soumis aux mêmes autorisations : la règlementation diffère selon l’usage prévu pour le produit. Et ce, même à substance active identique.

Un simple tour en jardinerie ou magasin de bricolage suffit à le vérifier. Le néonicotinoïde en question figure bel et bien dans la recette de certains insecticides grand public — sans toutefois être la substance la plus couramment utilisée.

213 produits contiennent de l’acétamipride

Éliminant tantôt les fourmis, tantôt les mouches, les cafards, les guêpes, ou encore les punaises de lit, 213 produits biocides contiendraient de l’acétamipride comme matière active, d’après la base de données de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

Parmi les marques concernées, figurent notamment Protect expert, Kapo et Acto. En revanche, aucune trace de ce pesticide dans les colliers antipuces des chats et des chiens, contrairement à ce qu’avait indiqué la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, le 19 mai sur Franceinfo.

Lire aussi : Loi Duplomb : les alternatives à l’acétamipride existent

« Ce n’est pas normal que les particuliers puissent acheter de l’acétamipride et y être exposés », tranche François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures. D’autant que les consommateurs n’ont pas forcément conscience des dangers de cette substance… ni même de sa présence dans des produits du quotidien. Si ce neurotoxique est pointé du doigt pour ses répercussions sur les pollinisateurs et autres insectes, de nombreuses inquiétudes existent aussi quant à la santé humaine. En cause : sa toxicité potentielle sur le développement du cerveau du fœtus et des jeunes enfants.

L’association écologiste française demande dès lors l’arrêt pur et simple de la commercialisation des insecticides grand public à base d’acétamipride. Une position partagée par certains scientifiques. Interrogé le 22 juillet sur France Inter, Philippe Grandcolas, écologue et directeur de recherche au CNRS, qualifiait de « scandale » le fait « qu’un tel produit avec de telles présomptions d’influences négatives sur les humains, sur les enfants, y compris in utero, puisse être utilisé à l’intérieur d’un habitat domestique, même en doses très faibles ».

« Si une substance est dangereuse en agriculture, elle l’est aussi dans les usages domestiques »

Dans les couloirs de l’Assemblée nationale aussi, la mesure interroge. Le 14 mai, en commission parlementaire, la députée du Lot-et-Garonne Hélène Laporte (Rassemblement national) s’appuyait sur l’absence d’interdiction des néonicotinoïdes chez les vétérinaires pour défendre le retour de l’acétamipride dans les cultures. « Nous avons toujours défendu une position cohérente, lui rétorquait aussitôt Delphine Batho, députée écologiste des Deux-Sèvres. Si une substance est dangereuse comme pesticide en agriculture, elle est aussi dangereuse évidemment dans les usages domestiques, vétérinaires, etc. »

Loin de se contenter de la « victoire en demi-teinte » du 7 août, devant le Conseil constitutionnel, Générations futures a porté le débat jusqu’à Bruxelles. L’ONG a réclamé à la Commission européenne de retirer l’approbation de la substance, que ce soit pour ses usages agricoles ou grand public. Demande refusée ! Elle envisage dès lors de déposer un recours devant la justice européenne dans les prochaines semaines.

Bataillant à toutes les échelles, l’association s’attaque aussi à l’autorisation de mise sur le marché d’un antitermites à base d’acétamipride : le Technivert. Le 25 août, elle a déposé un recours devant le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) pour contraindre l’Anses à réévaluer la procédure.

°°°

Source: https://reporterre.net/L-acetamipride-banni-des-champs-mais-toujours-dans-nos-logements

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/pesticides-lacetamipride-banni-des-champs-mais-toujours-dans-nos-logements-reporterre-12-09-25/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *