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Injustice fiscale, délabrement des services publics, travail mal payé et méprisé… Le sondage Ifop que nous publions en exclusivité analyse les raisons de la montée de la contestation en France, sur fond de rentrée sociale explosive.
Par Cyprien BOGANDA.
D’abord la pédagogie, ensuite la dramatisation. En l’espace de deux mois, François Bayrou qui a démissionné ce 8 septembre aura usé des plus épaisses ficelles de la communication politique, dans l’espoir d’éteindre un incendie qu’il a largement contribué à allumer. Après nous avoir infligé la pénible litanie de ses vidéos YouTube, qui le voyaient exposer à des internautes récalcitrants les rudiments de sa politique budgétaire, l’ancien premier ministre a tenté de repeindre les acteurs de la rentrée sociale en semeurs de chaos. Mais les faits sont têtus : la colère qui gronde dans le pays a des racines profondes et semble peu perméable aux stratégies gouvernementales.
Le sondage réalisé par l’Ifop pour « l’Humanité magazine », revient sur les ingrédients d’une situation explosive. Avec ce constat sans appel : lorsqu’on demande aux sondés ce que leur inspire la situation économique et sociale, c’est le sentiment de révolte qui arrive en tête (51 % des personnes interrogées), très loin devant celui de résignation (32 %).
Sentiment de révolte chez toutes les catégories
Ce sentiment paraît très largement partagé au sein de la population, singulièrement chez les retraités (65 % chez les 65 ans et plus) et les classes populaires (52 % des employés). Si on raisonne en termes de proximité politique, c’est chez les sympathisants du Parti communiste français (PCF) (78 %) que le sentiment de révolte est le plus fort, devant ceux des formations d’extrême droite (75 % chez les proches du RN et de Reconquête).

« Cette première question plante le décor, décrypte Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. Le niveau de colère dans notre pays est tel qu’il rend la situation inflammable. Le sentiment de révolte arrive en tête chez toutes les catégories de la population, sauf chez les catégories supérieures, chez qui c’est la résignation qui domine. Le plus frappant, c’est que depuis 2011, il n’y a jamais eu aussi peu de personnes qui jugent la situation de manière positive… »
Parmi les facteurs expliquant cette colère, c’est la « situation de crise que connaissent des institutions comme l’école ou l’hôpital » qui arrive en tête (citée par 92 % des sondés), devant « le fait que de nombreux salariés ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois » (89 %). Suivent la « fraude fiscale » (87 % des sondés), la « situation de précarité touchant des millions de Français » (86 %) puis « les inégalités sociales » (82 %).

Fait notable, ces éléments suscitent une indignation très largement partagée dans la population, bien au-delà du traditionnel clivage gauche-droite. « L’idée que le travail paie mal a été le carburant du mouvement des gilets jaunes, souligne Frédéric Dabi. Ce sentiment est majoritaire y compris chez les sympathisants de Renaissance, le parti au pouvoir depuis 2017. Même chose pour les inégalités sociales, qui suscitent un sentiment d’indignation chez l’ensemble des sondés, quelle que soit leur appartenance politique. En France, pays de 1789, on reste très attaché à l’égalité… »
La grève a le vent en poupe chez les plus jeunes… Et les cadres
Lorsqu’on interroge les sondés sur les meilleurs moyens d’exprimer cette colère, c’est la signature de pétitions qui caracole en tête des réponses (80 % des personnes interrogées), mais la manifestation de rue et la grève suivent, avec 74 % d’opinions favorables chacune. Au passage, on constate que la grève a le vent en poupe chez les plus jeunes (82 % des 25-34 ans estiment cette arme légitime) et les classes populaires (78 %), mais qu’elle est également relativement plébiscitée par les cadres (71 %), ce qui est plus surprenant.

Sur le fond, la gauche a du grain à moudre puisque les mesures de justice sociale, qui s’inscrivent à rebours des politiques d’austérité menées par la droite au pouvoir, sont largement soutenues par les Français. 85 % souhaitent la taxation des superprofits ou l’instauration d’une taxe dite « Zucman » sur les hauts patrimoines, 80 % plaident pour le rétablissement de l’ISF et la taxation des revenus financiers et des banques défendus notamment par le PCF et 79 % jugent positivement la hausse du Smic à 1 600 euros nets par mois.
Mais quand on interroge les Français sur le débouché politique de leur colère, on constate que 52 % de l’ensemble des sondés estiment que le vote pour un parti d’extrême droite est un bon moyen de l’exprimer bien qu’il ne porte aucune des propositions sociales largement soutenues dans le pays. 44 % considèrent à l’inverse que c’est le bulletin pour un parti du Nouveau Front populaire (NFP) qui constitue la meilleure piste.
« Le vote RN reste celui de la colère, observe Frédéric Dabi. Beaucoup d’électeurs optent pour ce parti, moins parce qu’ils veulent soutenir Marine Le Pen ou Jordan Bardella que parce qu’ils ont le sentiment d’un vote d’alternative, sur le mode « eux, au moins, on ne les a jamais essayés ». La gauche a donc marqué des points ces dernières années dans la bataille idéologique sur les questions économiques et sociales, « ce qui est moins le cas sur les questions sociétales ». Il lui reste à rendre crédible l’espoir qu’elle porte et à définir un chemin pour mettre en œuvre son projet.
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