
À l’occasion du mouvement national Bloquons tout, ce 10 septembre, StreetPress est allé à la rencontre des manifestants. Austérité, chômage, vie chère et retraite sont au cœur de leurs préoccupations.
Par Romane LIZEE, Pauline GAUER.
Paris, quartier Châtelet-Les Halles (75) – « Ne nous regardez pas, rejoignez-nous », scandent plusieurs centaines de manifestants rassemblés entre le 1er et le 4e arrondissement de Paris. Quelques touristes, statiques, filment la foule, interloqués. En cet après-midi du 10 septembre, environ 175.000 personnes se sont réunies en France pour protester avec un mot d’ordre : « Tout bloquer. » Entre les drapeaux de la CGT, les pancartes « Free Palestine » et les slogans antifacistes scandés depuis le haut des abribus, les revendications sont vastes, à l’image du mouvement.
À l’occasion du mouvement national Bloquons tout, ce 10 septembre, StreetPress est allé à la rencontre des manifestants. / Crédits : Pauline Gauer
Depuis 5 heures, partout en France, des actions pour « paralyser le pays » ont été lancées, avec plus ou moins de réussite, rapidement stoppées par les hordes de policiers présents. Dans la capitale, 6.000 agents étaient mobilisés. StreetPress s’est rendu sur le terrain en Île-de-France pour suivre les tentatives de blocage du périphérique parisien, des lycées ou de la gare du Nord. Le ministère de l’Intérieur avait recensé, à 11 heures, 430 actions, dont 273 rassemblements et 157 blocages. Selon la préfecture de police, plus de 250 interpellations ont eu lieu dans l’agglomération parisienne.
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Sur la place du Châtelet, les manifestants ont fait part de leur colère. Alors que le président de la République, Emmanuel Macron, vient de nommer Sébastien Lecornu à Matignon, tous parlent de leur lassitude face à la classe politique. Les inquiétudes, multiples, se concentrent autour de la baisse du niveau de vie. Pour StreetPress, ils racontent leurs galères du quotidien, liées à l’inflation, aux bas salaires, aux restrictions budgétaires ou encore au mal-être au travail.
Sur la place du Châtelet, des travailleurs et étudiants ont fait part de leurs inquiétudes entre inflation, bas salaires, et mal-être au travail. / Crédits : Pauline Gauer
Kimi, 24 ans, étudiante en architecture
Kimi sort de ses études d’archi. / Crédits : Pauline Gauer
« C’est normal qu’on n’ait pas envie de travailler quand on ne sait pas quand on va s’arrêter ! » À 24 ans, Kimi pense déjà à la retraite. Quand elle sortira de l’école d’architecture, son premier salaire sera un SMIC. « C’est normal de se dire : “Je suis riche parce que je peux me payer de l’huile d’olive”, alors que d’autres s’achètent un matcha à 8 euros ? » L’étudiante d’origine colombienne a vécu pendant trois ans chez sa grand-mère à Paris. Elle loge désormais avec sa sœur dans un appartement pour 1.300 euros par mois, qu’elles peinent à financer. « C’est ric-rac », lâche-t-elle. « Ma sœur a contracté un prêt étudiant pour payer ses études de mode, et j’ai dû mettre quelques sous de côté avec les stages. » Kimi tient une petite affiche « faite maison » pour partager une cagnotte en ligne à destination d’une famille gazaouie :
« Malgré les galères de thunes, j’essaie de continuer à penser aux autres pour qui c’est pire… »
Oumar, 19 ans, étudiant
Oumar, à gauche, Paul, au centre, Félix, à droite. / Crédits : Pauline Gauer
Oumar, 19 ans, un brin timide, se livre soudain avec passion quand il s’agit de politique. Enfant d’une mère d’origine malienne atteinte de schizophrénie, l’étudiant en fac de maths se dit « chanceux » malgré un parcours difficile. Il nourrit une grande colère contre « l’État et les grandes fortunes qui le dirigent » : « Ma mère était une excellente travailleuse, elle se levait à 6 heures, elle a fait tous les petits boulots possibles. Mais quand elle est tombée malade, l’État ne l’a pas soutenue. »
Pierre, 40 ans, agent de la RATP
Pierre travaille dans la sécurité des transports en commun. / Crédits : Pauline Gauer
« L’autre jour j’avais faim, j’ai voulu me payer un kebab… Il était à 12 euros ! J’ai connu l’époque où ça coûtait 2,50 euros… » Pierre, 40 ans, gagne 1.900 euros net par mois. Il a rejoint la RATP il y a vingt ans, dès la fin du lycée, « pour les avantages », dit-il. Et pour « partir tôt à la retraite, surtout ». Le quadra est chargé de la sécurité « des personnes » dans les transports en commun. « Je ne porte pas de pistolet, j’ai juste un gilet orange », tient-il à préciser.
« Tous les jours, dans le métro et le RER, je vois la galère : des personnes sans domicile fixe qui errent et, de plus en plus, des tentatives de suicide sur les rails. Tout va mal. »
Wendy, 31 ans, psychomotricienne dans un service de psychiatrie
Wendy est psychométricienne. / Crédits : Pauline Gauer
Jeune diplômée en psychiatrie à l’hôpital public, Wendy, 31 ans, dénonce le manque de moyens dans son secteur, pourtant essentiel. La psychomotricienne reprend le travail dans deux jours, après un burn-out de huit mois. « Sur le terrain, tu dois te battre au quotidien pour être bien traitée et bien payée… », se désole-t-elle. Pour elle, pas de santé mentale sans lutte contre la précarité. « Plus jeune, j’étais boursière, ma mère était déjà psychiatrisée, au RSA, on n’avait pas de revenus… », déroule la professionnelle avec émotion. « Aujourd’hui, je vois mes amies autour de moi galérer, ça me met hors de moi. »
Arsène, 21 ans, étudiant en sciences politique
Arsène est étudiant en sciences politiques. / Crédits : Pauline Gauer
« Je suis là pour protester contre la nomination du nouveau Premier ministre », explique Arsène, en bleu de travail et pancarte « Peuple chargé contre Lecornu » à la main, en référence à la chanson du même nom, du groupe Triangle des Bermudes. Il se dit frappé par la précarité qui touche la jeunesse. Après des mois de recherches infructueuses, l’étudiant de 21 ans a fini par dégoter un appartement de 10 mètres carrés dans le 9e arrondissement de Paris pour 600 euros par mois. « Au 7e étage sans ascenseur bien sûr. » Dépité, il précise :
« Et encore… Je dois loger des potes qui sont toujours en galère d’appart… »
Alexandra, 47 ans, aide à domicile
Alexandra est aide à domicile. / Crédits : Pauline Gauer
« La paie, le manque de personnel, les conditions de travail, le manque d’écoute des patrons, le coût de la vie… J’en ai marre. » Alexandra, 47 ans, dont vingt-trois en tant qu’aide à domicile, n’a pas fini de faire la liste de ses inquiétudes. « Je passe mes journées seule, avec six personnes à voir et des trajets à pied qui ne sont pas comptés comme du travail. » L’agente sociale syndiquée à la CGT dénonce une « logique du chiffre » qui prend le pas sur le soin aux personnes. « Heureusement on a gagné la prime Segur [183 euros net mensuels], ça fait du bien au porte-monnaie ! »
Serge, 56 ans, boucher en grande surface
Serge, 56 ans, est boucher dans un supermarché. / Crédits : Pauline Gauer
Difficile de louper Serge, avec son chapeau Obélix et son sourire bonhomme. Le quinqua n’est pas là pour faire la fête : il est boucher dans la grande distribution, une enseigne « où on a licencié pas loin de 10 % de personnel, où les conditions de travail se dégradent et les salaires ne suivent pas ». Selon la CGT, le nombre de plans de suppressions d’emplois a triplé en France en seulement un an. Serge gagne 1.500 euros net par mois, insuffisant pour s’en sortir à Paris, selon lui. « Encore, j’ai la chance d’avoir une compagne fonctionnaire, qui gagne un peu mieux sa vie, et d’être déjà propriétaire à Noisy-le-Sec (93). Ce n’est pas le cas de tout le monde. » Devant sa banderole de fortune faite d’un grand drap tendu entre deux lampadaires, pour réclamer plus de justice sociale, il ajoute :
« Je veux quelqu’un de plus humain qui nous représente. »
Entre les drapeaux de la CGT, les pancartes pour réclamer la sauvegarde des services publics et les slogans antifacistes scandés depuis le haut des abribus, les revendications sont vastes, à l’image du mouvement. / Crédits : Pauline Gauer
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