Ces livres qui nourrissent la révolte (Reporterre-13/09/25)

Manifestation à l’appel du mouvement « Bloquons tout » sur la place de la République, à Paris, le 10 septembre 2025. – © Julien De Rosa / AFP

Mouvement du 10 septembre, chute du gouvernement… Face à cette rentrée sociale et politique explosive, notre journaliste propose de se nourrir de pensées critiques et de « s’armer de livres ». Petite sélection.

Par Gaspard d’ALLENS

Si le 10 septembre vient tout juste de passer, les braises de la contestation sociale sont toujours vives et la rentrée sociale s’annonce inflammable. Sébastien Lecornu au pouvoir, backlash écolo, répression tous azimuts… Les raisons de la colère ne sont plus à détailler. L’urgence est de faire face et d’agir. Bloquer le pays, certes, mais aussi se nourrir de pensées critiques. Esquisser des chemins intellectuels nouveaux et se constituer une bibliothèque-armurerie.

« Ce livre est une foutue dalle de roc. Ne vous la faites pas tomber sur les pieds ; lancez-la contre quelque chose de grand, fait de verre et d’acier », écrivait Edward Abbey dans Désert solitaire (1968). Il est temps de s’armer de livres. Dans ces heures décisives, Reporterre vous en propose une petite sélection, toute subjective. Pour occuper vos heures passées sur les ronds-points ou aiguiser votre appétit pour des luttes nocturnes et clandestines.

S’inspirer des combats passés

Dans le brouillard actuel, nous cherchons à tâtons des pistes pour s’orienter. Pour ouvrir un chemin, rien de mieux que de s’imprégner des luttes passées et d’honorer leur mémoire, de célébrer la bataille de nos aînés et leur incroyable ingéniosité. Les connaître est autant une manière de savoir d’où l’on vient, d’enrichir notre héritage, qu’une façon d’éviter de réinventer l’eau chaude.

Les deux volumes de la somme Full Spectrum Resistance d’Aric McBay (Éditions Libre) y contribuent grandement. « Ce livre s’adresse à cette part grandissante de la population déçue de l’activisme classique de la gauche, fatiguée par les marches et les pétitions, et désireuse, face à l’urgence de la situation écologique et sociale, de faire advenir de véritables changements », prévient l’auteur.

« Tout a été gagné grâce à la lutte »

Aric McBay regrette notre « amnésie culturelle » et notre « perte de repère ». Avec ses 700 pages, il tente d’y remédier et retrace plusieurs siècles de résistance, du combat des suffragettes aux Black Panthers, du front de libération homosexuelle aux luttes autochtones, avec à chaque fois une analyse stratégique et tactique, qui nous fait trop souvent défaut.

« Nous luttons parce que nous faisons partie d’une tradition », écrit-il. Avant d’ajouter : « Nous n’obtiendrons jamais, au grand jamais, la base de notre subsistance sans se battre. Tout a été gagné grâce à la lutte. Rien n’a été acquis par des réunions calmes et polies. Jamais. »

Full Spectrum Resistance, d’Aric McBay, aux Éditions Libre, novembre 2020, 34 euros.

Parler de révolution

Et si nous parlions donc de révolution ? Pourquoi ce mot semble-t-il aujourd’hui s’être comme évaporé ? Alors que nos anciens — les Françoise d’Eaubonne, Murray Bookchin, Bernard Charbonneau et Jacques Ellul — s’en réclamaient ?

Dans les longues heures de blocage, et en attendant l’arrivée des gendarmes mobiles, il ne serait pas inutile de se replonger dans Une Histoire globale des révolutions (La Découverte), coordonné notamment par Ludivine Bantigny et Laurent Jeanpierre. « La révolution n’appartient pas qu’au passé, insistent ses auteurs. Longtemps considérée comme un objet mort ou dépassé, cadenassé dans une histoire achevée, la révolution est réapparue dans l’actualité. »

On retiendra, aussi, tout particulièrement le chapitre sur l’écologie écrit par l’historien François Jarrige. « Dans l’histoire des pensées et des pratiques révolutionnaires, de nombreux acteurs ont tenté d’articuler l’émancipation des Hommes et celle des autres êtres vivants », rappelle-t-il.

Face à ce qui arrive, nous n’avons d’ailleurs pas le choix, il nous faut réembrasser l’élan révolutionnaire. « Les changements climatiques globaux, la destruction de la biodiversité, le consumérisme et l’extractivisme débridés, et plus largement tout ce qui relève des conditions de l’habitabilité sur la planète Terre imposent un changement fondamental de nos rapports au monde et à la politique, un changement nécessairement révolutionnaire en un sens large compte tenu de l’ampleur des défis qui s’annoncent et de la puissance des intérêts à lever », affirme l’historien.

Une Histoire globale des révolutions, de Ludivine Bantigny, Quentin Deluermoz, Boris Gobille, Laurent Jeanpierre et Eugénia Palieraki, aux éditions La Découverte, septembre 2023, 36,90 euros.

Quel horizon se donner ?

Concrètement, que faire ? Comment agir ? Quel horizon se donner ? Dans son dernier essai, Alessandro Pignocchi délaisse un moment ses aquarelles et ses mésanges incendiaires pour proposer un scénario concret « pour une émancipation écologiste ».

Tout en finesse, il nous invite à ne pas tomber dans les fétiches, qu’ils soient insurrectionnels ou électoralistes. Nous devons apprendre à cheminer sur une crête, dit-il, partir du déjà là, des luttes locales notamment, tout en nous nourrissant des traditions anarchistes et municipalistes libertaires.

Au fond, c’est une lutte d’ordre cosmologique que nous devons entamer. Une transformation en profondeur où la philosophie du vivant jouera sa part. « Les perspectives terrestres aspirent à libérer des puissances de l’affectivité humaine, à progresser vers des institutions et des mondes ouvrant à une plus grande diversité et à une plus grande chatoyance affective. »

Zad, réseaux de solidarité locaux, petite commune autogérée… C’est à partir de ces territoires autonomes et libérés que se construira le futur. « Le paradigme moderne-capitaliste est trop solidifié et hégémonique pour qu’on puisse imaginer une transition douce vers le terrestre en le transformant depuis l’intérieur de ses structures », écrit-il.

Perspectives terrestres — Scénario pour une émancipation écologiste, d’Alessandro Pignocchi, aux éditions du Seuil, avril 2025, 192 p., 19,50 euros.

Conjurer la peur

Pour y arriver, la route sera semée d’embûches. La répression fait rage, l’État et la classe dirigeante ne se laisseront pas faire. C’est tout le mérite du récent livre de Mathieu Rigouste (La guerre globale contre les peuples, éd. La Fabrique) de réinscrire la réaction violente actuelle des États et du capital dans une longue histoire répressive, allant du colonialisme à la neutralisation du prolétariat. C’est à une contre-insurrection mondiale à laquelle nous faisons face, rien de moins. « Une guerre contre les peuples. »

Savoir la nommer, faire la généalogie de cette violence, est indispensable pour comprendre « la néofascisation sécuritaire » en cours. Et conjurer la peur. Alors que le « capitalisme doit dévorer toujours plus de matière première et de force de travail », l’auteur appelle à construire « l’autodéfense populaire ». « Nous n’aurons jamais que ce que nous saurons prendre, créer et défendre par nous-mêmes. Nous sommes la source et l’horizon », écrit-il. Et cela vaut, sans aucun doute, aussi, pour l’écologie.

La guerre globale contre les peuples — Mécanique impériale de l’ordre sécuritaire, de Mathieu Rigouste, aux éditions La Fabrique, avril 2025, 304 p., 17 euros.

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Source: https://reporterre.net/Ces-pensees-critiques-pour-reembrasser-l-elan-revolutionnaire-Revolte-faire-des

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