La France, obstacle majeur aux ambitions climatiques européennes pour 2040 (Reporterre-13/09/25)

En s’opposant à l’adoption rapide d’un objectif climatique important pour 2040, la France bouscule le calendrier européen et pourrait offrir un veto aux États les plus hostiles à l’écologie. Un choix qui risque d’affaiblir l’UE à la COP30.

Par Alexandre-Reza KOKAKI et Jeanne FOURNEAU-VERDONCK

Vendredi 12 septembre au matin, sous un soleil éclatant, une quarantaine de jeunes activistes se sont rassemblés devant le Conseil de l’Union européenne, à Bruxelles. Sur leurs pancartes, les portraits des 27 dirigeants européens, présentés comme des paquets de cigarettes. Au-dessus de celui d’Emmanuel Macron, un avertissement en lettres capitales : « Macron pourrait nuire à votre avenir ». L’eurodéputée écologiste autrichienne Lena Schilling, à l’origine de l’appel, a mené les slogans au mégaphone : « What do we want ? Climate target ! » (« Que voulons-nous ? Une cible climatique ! »)

C’est la crédibilité climatique de l’Union européenne qui est en jeu. Dix ans après l’Accord de Paris, l’UE doit fixer un objectif de réduction des émissions pour 2040, étape nécessaire sur le chemin vers la neutralité carbone en 2050. Or, selon Politico, la France a demandé que la décision, attendue lors du Conseil des ministres de l’Environnement le 18 septembre, soit repoussée au Conseil européen des 23 et 24 octobre. Ce décalage menace de priver l’Europe d’un mandat clair et ambitieux à l’Assemblée générale de l’ONU, le 24 septembre à New York, puis à la COP30, qui s’ouvrira le 10 novembre à Belém (Brésil).

« Cela enverrait Ursula von der Leyen à la COP30 les mains vides, sans engagement contraignant, faisant apparaître l’Europe comme hésitante et indécise, avertit Lena Schilling, rapporteuse fictive sur l’objectif 2040. Et soyons honnêtes : si l’Europe, qui a longtemps été le moteur historique de l’ambition climatique mondiale, recule aujourd’hui, elle enverra au monde le message que l’action climatique est optionnelle. »

«  Si l’Europe recule aujourd’hui, elle enverra au monde le message que l’action climatique est optionnelle  », dit Lena Schilling, députée européenne et militante écologiste autrichienne. © Jeanne Fourneau-Verdonck / Reporterre

La Commission européenne propose une réduction nette de 90 % des émissions d’ici 2040 par rapport à 1990, seuil jugé indispensable par la communauté scientifique pour rendre crédible la neutralité carbone en 2050. Cet objectif doit aussi permettre de définir le jalon intermédiaire de 2035 — estimé à une baisse de 72,5 % — que l’UE doit présenter comme sa nouvelle contribution climatique à Belém. Sans accord sur 2040, impossible de fixer ce jalon.

Des concessions à la pelle

Pour rallier un maximum d’États, Bruxelles a déjà infléchi sa proposition initiale : recours accru aux crédits carbone internationaux, comptabilisation de la capture du CO₂ par les puits naturels ou technologiques, reconnaissance du nucléaire comme énergie décarbonée. Autant de concessions acquises pour satisfaire plusieurs capitales, dont Paris et Berlin.

Les pays dirigés par l’extrême droite, comme la Hongrie de Orban et l’Italie de Meloni, hostiles aux mesures climatiques, pourraient bénéficier des demandes de la France. © Jeanne Fourneau-Verdonck / Reporterre

En proposant de transférer la décision au Conseil européen, la France bouleverse les règles du jeu. Alors qu’une majorité qualifiée suffit chez les ministres (55 % des États représentant au moins 65 % de la population), l’unanimité est requise entre chefs d’État. Chacun pourrait alors brandir son veto, à commencer par la Hongrie de Viktor Orbán. « C’est comme donner les clés du camion de pompiers à un pyromane », raille Lena Schilling.

Le Haut Conseil pour le climat a averti, dans un communiqué publié le 5 septembre, qu’un objectif raboté à -66 % en 2035 — scénario qui circule dans les négociations en cas d’échec à trouver un accord pour 2040 — mettrait l’UE hors trajectoire. Retarder la décision, ajoute-t-il, reviendrait à fragiliser la sécurité, l’économie et la santé de millions d’Européens, alors que le continent subit déjà vagues de chaleur, inondations et incendies.

« Delaying is deadly ! » (« Reporter, c’est mortel ! »), a répété Pegah Moulana, secrétaire générale de Youth and Environment Europe, en désignant le bâtiment du Conseil. « Pendant que les décideurs tergiversent, ce sont les générations actuelles et futures qui héritent d’un monde en feu, dénonce l’activiste. Des familles perdent leur maison, des agriculteurs leurs récoltes, des enfants respirent un air toxique. »

Les activistes ont brandi des pancartes reprenant la présentation des paquets de cigarettes et leurs avertissements pour la santé en y faisant figurer des responsables politiques européens. © Jeanne Fourneau-Verdonck / Reporterre

Ce bras de fer s’inscrit dans une trajectoire déjà amorcée par Emmanuel Macron. Le 11 mai 2023, en présentant son plan « industrie verte », le président avait appelé à une « pause » dans la réglementation environnementale européenne. Une sortie qui avait surpris à Bruxelles, où ce discours était jusque-là porté par les conservateurs.

Depuis, le chef de l’État s’implique directement dans le détricotage du pacte vert. Lors du Conseil européen de juin 2025, il plaidait encore pour « ne pas nous surcontraindre » et pour « prendre plus de temps ». Alors qu’il se présentait au départ comme un soutien en soutien du Green Deal, Emmanuel Macron défend désormais en priorité la compétitivité économique et la simplification réglementaire.

Le mauvais rôle de la France

« Ce qui est absurde, déplore Lena Schilling, c’est que l’Accord de Paris a été signé en France. Le pays a connu d’immenses incendies cet été, et au lieu de comprendre qu’il est temps de tenir ses promesses pour protéger sa population, Emmanuel Macron est en train d’anéantir tout cela. »

La France a déjà obtenu que le nucléaire soit placé sur un pied d’égalité avec les renouvelables et continue de poser des conditions supplémentaires. Mais selon Contexte, le message venu de Paris souffrirait d’une certaine cacophonie en raison de l’instabilité politique du pays : les ministères de l’Économie, de la Transition écologique et de l’Énergie ne parlent pas toujours d’une seule voix, et même les diplomates français à Bruxelles donneraient des versions contradictoires. Contactés, l’Élysée et le ministère de la Transition écologique n’ont pas donné suite à nos demandes.

«  Nous nous organisons pour ramener la crise climatique au centre de l’attention. Et nous continuerons  », promet Adelaïde Charlier, militante belge pour le climat. © Jeanne Fourneau-Verdonck / Reporterre

Quelques pays — Espagne, Danemark, Suède, Finlande, Slovénie — soutiennent une cible ambitieuse. Mais beaucoup restent indécis, et certains, comme l’Italie de Giorgia Meloni et la Hongrie de Viktor Orbán, y sont hostiles. Au Parlement européen, l’extrême droite s’y oppose frontalement, et la droite du PPE est divisée.

Même si l’objectif de -90 % était adopté — ce qui paraît peu probable si le report demandé par la France est entériné —, il faudrait encore le traduire en mesures contraignantes, comme celles adoptées pour réduire les émissions de 55 % d’ici 2030 : fin de la vente des voitures thermiques à partir de 2035, rénovation énergétique des bâtiments… Un scénario difficile à envisager dans l’état actuel des rapports de force.

À deux mois de la COP30, l’Union européenne pourrait donc arriver affaiblie à Belém, privée du rôle moteur qu’elle revendique encore. L’activiste belge Adélaïde Charlier, un croissant à la main, prévient : « Depuis des années, nous, les jeunes Européens, nous nous organisons pour ramener la crise climatique au centre de l’attention. Et nous continuerons. Cette cible 2040 n’est une question symbolique : c’est une question de vie. »

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Source: https://reporterre.net/Comment-la-France-veut-faire-derailler-l-ambition-climatique-de-l-Europe

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