Habiter près des vignes vous expose davantage aux pesticides (Reporterre-15/09/25)

Un tracteur répand un fongicide de type folpel sur des vignes avec des maisons à proximité, à Frontignan (Hérault), France, le 7 mai 2025. – © Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Une étude d’ampleur publiée par l’Anses et Santé publique France, le 15 septembre, est sans appel : les personnes vivant près des vignes sont davantage exposées aux pesticides.

Par Marie ASTIER.

L’étude est inédite par son ampleur, et son résultat — bien que peu surprenant — risque de ne pas plaire à tout le monde : oui, les personnes vivant près des vignes sont surexposées aux pesticides. Alors que le débat sur la loi Duplomb va rebondir prochainement et que la FNSEA — le syndicat agricole majoritaire défendant l’utilisation des pesticides — promet des manifestations le 26 septembre, le sujet est brûlant. Et la froideur de la présentation par visioconférence de l’étude Pestiriv n’aura pas suffi à faire redescendre la tension.

Une brochette d’officiels et de scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) et de Santé publique France a donc passé la journée du 15 septembre à présenter les résultats de leur étude commune, Pestiriv, aux élus locaux, journalistes puis enfin aux « parties prenantes » (associations de riverains, profession agricole…). Cette étude répond à « un besoin crucial de santé publique, qui est de disposer de données réelles sur l’exposition des riverains aux pesticides », a introduit la directrice générale de Santé publique France, Caroline Semaille. Ce, « alors que les attentes des citoyens et les défis de santé publique n’ont jamais été aussi prégnants ».

Reporterre a pu constater jusqu’à près de 150 participants à la restitution dédiée aux journalistes. L’attente était palpable, chaque mot soupesé, sans doute dans le but d’éviter toute polémique. Il faut dire que Pestiriv vient mettre des données scientifiques sur l’un des principaux points de friction entre pro et antipesticides.

Les enfants de 3 à 6 ans surexposés

Les résultats montrent que plus l’on habite près des vignes, plus l’on est exposé aux pesticides. Plus il y a de pesticides épandus, plus les riverains en reçoivent. L’étude a été menée auprès de 1 946 adultes et 742 enfants, sur 265 sites répartis dans 6 régions viticoles en métropole [1].

Parmi cette population se trouvent deux groupes : une partie vit à moins de 500 mètres des vignes, une autre à plus de 1 000 mètres de toute culture. En 2021 et 2022, des milliers d’analyses d’urine, cheveux, poussière, air intérieur et air ambiant ont été réalisés. 56 substances pesticides y ont été recherchées, dont le folpel (fongicide très utilisé sur les vignes), le glyphosate, le cuivre et les pyréthrinoïdes (insecticides). Les analyses ont été faites pendant et hors de la période d’épandage.

© Pestiriv

Les participants ont aussi rempli des questionnaires très précis sur leur alimentation, leur profession, leurs activités extérieures et l’utilisation de pesticides au domicile, afin de prendre en compte l’ensemble des facteurs possibles d’exposition. Le choix de la vigne, lui, a été guidé en raison de la pérennité des vignobles, souvent proches des maisons, et puisque la culture est très consommatrice de pesticides. « Les données sont très solides, a insisté Benoît Vallet, directeur général de l’Anses. C’est une photo très précise de l’exposition des personnes. »

Les échantillons analysés ont par exemple montré que la présence de pesticides dans les urines des voisins de vignobles est 15 à 45 % plus élevée que chez la population vivant loin de toute culture. La contamination des poussières peut être jusqu’à 1 000 % plus élevée, et jusqu’à 11 fois plus importante dans l’air ambiant. Pour les cheveux et l’air intérieur, l’indicateur retenu est le nombre de substances retrouvées dans chaque échantillon, qui est plus élevé pour les personnes vivant en zone viticole.

Le deuxième objectif de l’étude était d’analyser les différences entre période de traitement des vignes (mars à août) et période hors traitement. Là encore, pendant la saison des épandages, les niveaux de contamination sont jusqu’à 60 % plus élevés dans les urines, 700 % plus hauts dans les poussières, et jusqu’à 45 fois plus élevés dans l’air ambiant. Côté cheveux et air intérieur, là encore plus de pesticides différents ont été retrouvés dans les échantillons prélevés lors des périodes de traitement.

Les enfants de 3 à 6 ans présentent, eux, des niveaux d’imprégnation plus élevés que le reste de la population étudiée. « Les enfants peuvent avoir des comportements qui les exposent davantage (contact avec le sol par exemple) et leur organisme élimine moins bien les polluants auxquels ils sont exposés », a expliqué Clémentine Dereumeaux, de Santé publique France.

En conclusion, « le facteur qui influence le plus l’exposition des riverains, ce sont les pratiques agricoles, a dit Ohri Yamada, chef de l’unité phytopharmacovigilance de l’Anses. La durée d’aération du logement, le temps passé à l’extérieur, le fait de se déchausser, de nettoyer le sol au moins une fois par semaine, de sécher le linge à l’intérieur, de limiter la consommation d’œufs de poulaillers domestiques et éplucher les légumes du jardin joue aussi, mais moins ».

Pressions du secteur

L’Anses et Santé publique France recommandent de « réduire au strict nécessaire » le recours aux pesticides. Ils appellent à une « mise en œuvre ambitieuse » de la stratégie nationale de réduction des pesticides Écophyto 2030. À la question de savoir ce que signifie le « strict nécessaire », Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle sciences de l’Anses, n’a guère été plus précis, expliquant qu’il s’agit « d’optimiser les usages » et « d’être au plus bas pour obtenir l’effet attendu ».

Il a par ailleurs rappelé que « les produits phytopharmaceutiques sont, avant toute utilisation, autorisés au vu d’une démonstration de leur maîtrise des risques ». Et d’estimer que « dès lors que les conditions d’emploi sont respectées, les risques sont maîtrisés ».

« Cette étude vient confirmer ce que l’on dit depuis une dizaine d’années, à savoir que les riverains des zones où on utilise des pesticides sont plus exposés que le reste de la population », a réagi auprès de Reporterre François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Lui aussi aspire à un plan Écophyto ambitieux, en rétablissant l’ancien indicateur d’utilisation des pesticides, le Nodu, qu’il considère comme bien plus fiable que le nouvel indicateur choisi sous la pression de la FNSEA. « Si on ne change pas d’indicateur, Écophyto sera un mensonge collectif total », dit-il.

L’association avait aussi demandé une publication plus rapide des résultats de l’étude, en mai, alors que la proposition de loi Duplomb était débattue à l’Assemblée nationale. Les deux agences ont évoqué un délai de coordination entre elles pour expliquer le report de la publication des résultats. « On aurait aimé avoir les données scientifiques [sans attendre la validation ministérielle sur la communication des résultats] au moment du débat », répète François Veillerette. Maintenant, « il faut un plan d’action national de protection des riverains, avec des zones de protection plus larges que 5 ou 10 mètres. Pestiriv confirme que dans les 100 premiers mètres, on est plus exposés, il faudrait au moins aller jusque-là ».

Anticipant des résultats peu valorisants pour leur filière, les professionnels du vin ont déjà pris les devants, racontent nos confrères de Libération, en mettant en avant leurs efforts pour réduire les pesticides. La viticulture est la « filière la plus avancée sur ces sujets », a revendiqué dans le journal Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins.

Les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique n’avaient, eux, pas réagi au moment où nous publions cet article.

S’ils font déjà débat, les résultats de l’étude Pestiriv ont encore du chemin à faire dans le monde scientifique. Ils pourraient être recroisés avec des données de santé collectées auprès des riverains, par exemple pour savoir si certaines maladies ou cancers sont surreprésentés parmi cette population, ou pour détecter des « clusters » de certaines pathologies.

Autre piste de progrès, celle de la collecte des données réelles d’utilisation des pesticides dans les champs, qui a été très compliquée pour cette étude. Les scientifiques de l’Anses et de Santé publique France ont appelé à une banque de données nationale et de long terme, recueillant tous les traitements phytosanitaires effectués par les agriculteurs, pour être encore plus précis.

Notes

[1] Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur.

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Source: https://reporterre.net/Habiter-pres-des-vignes-vous-expose-davantage-aux-pesticides

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/habiter-pres-des-vignes-vous-expose-davantage-aux-pesticides-reporterre-15-09-25/

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