
« Les gouvernements ayant reconnu la Palestine l’associent directement à la solution à deux États, (…) une formule impraticable et fondée sur l’injustice ». Mais cette reconnaissance « pourrait déclencher une dynamique plus positive », estime l’historien né en Israël.
Par Illan PAPPE.
Dans le passé, j’étais assez sceptique quant à la reconnaissance de la Palestine, car il semblait que les participants à la conversation ne faisaient référence qu’à certaines parties de la Cisjordanie et de la bande de Gaza comme étant l’État de Palestine, et à un régime autonome dirigé par un organisme tel que l’Autorité palestinienne, sans souveraineté réelle : une Palestine bantoustan. Une telle reconnaissance aurait pu donner l’impression erronée que le soi-disant conflit en Palestine avait été résolu avec succès.
De nombreux chefs de gouvernement et leurs ministères des Affaires étrangères qui s’expriment aujourd’hui sur la reconnaissance font toujours référence à ce type de Palestine. Devrions-nous donc soutenir davantage cette initiative à l’heure actuelle ? Je suggérerais qu’il faille adopter une approche plus nuancée à ce moment historique particulier, alors que le génocide se poursuit.
Il n’est pas surprenant que personne à Gaza n’ait tiré d’espoir, d’inspiration ou de satisfaction de cette déclaration. Ce n’est qu’à Ramallah et dans certaines sections du mouvement de solidarité qu’elle a été célébrée comme une grande réussite.
Les gouvernements qui ont reconnu la Palestine l’associent directement à la solution à deux États, obsolète et morte depuis longtemps, une formule impraticable, immorale et fondée sur l’injustice dès le moment où elle a été conçue comme une « solution ».
Et pourtant, la reconnaissance mondiale actuelle de la Palestine pourrait déclencher une dynamique potentielle et plus positive. Même si nous ne devons pas la considérer comme un « moment historique » ou un « tournant décisif », elle a le potentiel d’aider les Palestiniens à nous mener vers un avenir différent.
Elle revêt une importance symbolique en tant que contre-mouvement à la stratégie actuelle d’Israël visant à éliminer la Palestine en tant que peuple, nation, pays et histoire. Toute référence, même symbolique, à la Palestine en tant qu’entité existante à l’heure actuelle est une bénédiction. À un niveau très insatisfaisant mais minimalement nécessaire, elle empêche la Palestine de disparaître du débat mondial et régional.
Deuxièmement, elle s’inscrit dans le cadre d’une réaction mondiale insuffisante mais quelque peu plus encourageante de la part des instances supérieures contre le génocide continu. Il ne s’agit pas de sanctions – qui sont bien plus importantes que le spectacle auquel nous avons assisté à l’ONU – ni d’une mesure mettant fin au commerce militaire occidental avec Israël, qui aurait été bien plus efficace à l’heure actuelle contre le génocide que la reconnaissance de la Palestine. Cependant, elle traduit une certaine volonté des gouvernements occidentaux de s’opposer non seulement à Israël, mais aussi aux États-Unis sur l’avenir de la Palestine.
La reconnaissance elle-même a eu, peut-être involontairement, deux conséquences importantes. Premièrement, les territoires occupés sont désormais l’État occupé de Palestine : l’ensemble de l’État de Palestine. Cela n’est même pas comparable à l’occupation partielle par la Russie de deux provinces en Ukraine ; il s’agit d’une occupation totale d’un État. À première vue, cela serait beaucoup plus difficile à ignorer d’un point de vue juridique international.
Deuxièmement, la réaction israélienne est très claire : imposer officiellement la loi israélienne d’abord sur certaines parties de la Cisjordanie, puis sur l’ensemble de la région, et peut-être plus tard sur la bande de Gaza.
Même si l’on attend si peu de nos politiciens actuels, en particulier dans les pays du Nord, ils ne pourront pas prétendre avoir fait tout leur possible en reconnaissant la Palestine si celle-ci est entièrement occupée par Israël et pleinement annexée. Même pour ces politiciens, une telle inaction révélera un nouveau nadir de lâcheté morale et enfoncera le dernier clou dans le cercueil du droit international.
(Cette tribune est parue initialement en anglais dans The Palestine Chronicle, le 23 septembre)
°°°
Source: https://infos-ouvrieres.fr/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/ilan-pappe-le-calice-empoisonne-de-la-reconnaissance-une-arme-a-double-tranchant-pour-la-palestine-io-fr-26-09-25/