
Le syndicat agricole productiviste prévoit des actions le 26 septembre notamment contre les accords de libre-échange. Ce, alors que les dirigeants de la FNSEA se sont largement enrichis… grâce à ce système.
Par Gaspard d’ALLENS.
La FNSEA ressort les tracteurs et les fourches. Le 26 septembre, le syndicat majoritaire des agriculteurs appelle à « une grande journée d’actions » contre les accords de libre-échange, les taxes imposées par Donald Trump aux États-Unis et les importations internationales. Elle prévoit de nombreuses mobilisations à travers le territoire pour « mettre la pression sur le gouvernement qui arrive » et « réaffirmer l’ambition agricole de la France », selon les mots de Hervé Lapie, son secrétaire général.
Vent debout contre l’accord avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie) et les produits étrangers qui ne respectent pas les normes européennes, la FNSEA n’est pas à une contradiction près.
« Depuis ses origines, elle défend le système capitaliste mondialisé et la plupart des accords de libre-échange », remarque Nicolas Roux, professeur en commerce international à Clermont-Ferrand et membre de l’association Attac. Elle tente aujourd’hui de changer de fusil d’épaule, alors qu’elle se sent menacée par un système qu’elle a elle-même contribué à développer. » Pour le chercheur, « son discours protectionniste ne doit leurrer personne. Clairement, la FNSEA n’est pas le chantre de la régulation ».
Un double discours constitutif de son histoire
À peine quelques semaines après avoir appelé à la réintroduction de pesticides interdits, soutenu la loi Duplomb et minimisé l’impact sanitaire de certaines substances toxiques utilisées par l’agro-industrie, le syndicat se fait le porte-voix des normes européennes et dénonce la concurrence déloyale que les agriculteurs français subissent.
« La FNSEA veut jouer sur les deux tableaux, estime Morgan Ody, de la coordination Via Campesina. D’un côté, elle dit que notre agriculture est la meilleure du monde et qu’il faut la protéger. De l’autre, elle affirme que l’on n’est pas assez compétitif sur les marchés internationaux et qu’il faut démanteler les règles qui structurent notre agriculture. Quitte à assumer un nivellement vers le bas. Ce n’est pas seulement des incohérences, c’est une pure hypocrisie. »
« Son objectif principal a toujours été le productivisme à outrance »
Ce double discours est ancien, il est même constitutif de l’histoire de ce syndicat. « Dès les années 1990, la FNSEA a accompagné la mise en compétition des marchés agricoles au nom des filières exportatrices françaises et de l’agrobusiness, rappelle l’économiste Maxime Combes. Elle a tenté, en parallèle, d’arracher des mesures de compensation et des soutiens publics pour les filières en difficulté. Mais son objectif principal a toujours été le productivisme à outrance, l’ouverture des marchés à l’international et la quête de profits pour ses grandes entreprises. »
D’ailleurs, en 2016, Arnold Puech d’Alissac, un de ses administrateurs, l’assumait publiquement. En plein débat sur le Tafta — le traité de libre-échange transatlantique —, il déclarait que « quand on est à la FNSEA, on est favorables à la libéralisation des marchés ».
Un soutien au libre-échange assumé
C’est surtout à l’échelle européenne, au sein du lobby agricole Copa-Cogeca, que la FNSEA a manœuvré en faveur de ce modèle. Elle s’est ainsi félicitée ces dernières années des accords entre l’Union européenne et le Japon, avec l’Indonésie, le Vietnam, le Mexique ou encore le Chili.
« Les agriculteurs et leurs coopératives sont déterminés à trouver de nouvelles sources de croissance, notamment sur de nouveaux marchés d’exportation, mais ils doivent également en tirer profit en augmentant leurs revenus tirés du marché. Il est nécessaire d’intensifier les efforts », plaidait en 2017 Pekka Pesonen, l’ancien secrétaire général de la Copa-Cogeca dont la FNSEA est membre.
« La lutte des classes traverse le monde agricole, la FNSEA fait tout pour le faire oublier »
« Même sur des accords qui impactent massivement l’agriculture française, elle se fait peu loquace et préfère rester silencieuse », souligne Maxime Combes. Sur le Ceta, la FNSEA a été prise entre deux feux, car l’accord avec le Canada était aussi bénéfique pour la filière laitière industrielle et pour Lactalis, qui pèse dans le syndicat.
Elle a également soutenu l’accord entre l’UE et la Nouvelle-Zélande, les filières maraîchères et ovines qui en sont les principales victimes n’étant pas importantes à ses yeux. La FNSEA ne s’est pas non plus opposée à l’accord entre le Maroc et l’UE, lancé en 2022, car les entreprises installées sur place sont d’abord et avant tout européennes.
Au fond, le syndicat majoritaire défend une vision purement égoïste et opportuniste du libre-échange, assure Morgan Ody. Avec un discours à géométrie variable et une vision néocoloniale.
« Quand l’agriculture européenne est en position de force et qu’elle peut imposer ses conditions, la FNSEA plaide pour la libéralisation, quand elle se retrouve sur le ring avec des acteurs plus gros qu’elle, c’est l’inverse. Elle défend d’abord des intérêts capitalistes nationaux, bien plus que l’intérêt des populations », dit-elle.
Un syndicat en difficulté
À la tête du syndicat, ses leaders sont pieds et mains liés à l’agriculture exportatrice. Arnaud Rousseau, son président, est aussi le président du conseil d’administration (CA) d’Avril — la multinationale française des oléagineux et des protéagineux fait la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger. Avant de devenir exploitant agricole, il a commencé sa carrière dans le négoce et le courtage sur le marché agricole. L’ancienne présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, siège également au CA du Crédit agricole, qui a des intérêts au Brésil.
« La FNSEA n’avait pas le choix vu sa base sociale de s’opposer, du moins officiellement, au Mercosur, mais il ne faut pas oublier que ses dirigeants se sont énormément enrichis grâce au libre-échange, constate le député La France insoumise Arnaud Le Gall. Le syndicat est pris dans une tension fondamentale. La lutte des classes traverse le monde agricole, mais la FNSEA fait tout pour le faire oublier. »
La situation actuelle et les récentes prises de position du syndicat témoigneraient d’une double difficulté. À l’échelle internationale, on assisterait à la fin de l’hégémonie agricole européenne. « On entre dans une nouvelle époque avec des acteurs extra-européens très puissants, observe Nicolas Roux. On plonge dans un capitalisme brutal et coercitif où les producteurs européens se sentent en perte de vitesse, d’où leur demande subite de régulation. »
Au niveau national, la FNSEA doit aussi faire bonne figure, alors qu’elle est dépassée par sa base et que de plus en plus d’agriculteurs se tournent vers ses concurrents, dont la Coordination rurale. « Il devient de plus en plus compliqué pour elle de cacher le fait qu’elle défend les intérêts des gros producteurs, dit Morgan Ody. Alors, elle multiplie les déclarations péremptoires pour essayer de regagner du terrain. Mais de moins en moins de personnes sont dupes. »
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