Derrière la disparition de Bioster, le naufrage de la recherche publique en France (H.fr-30/09/25)

Bioaster était le seul institut de recherche technologique français spécialisé dans la santé.
© BONY/SIPA

L’institut de recherche technologique Bioaster, le seul dédié aux maladies infectieuses en France, va fermer ses portes. Les grands groupes comme Sanofi ont mis fin à leur partenariat tandis que l’État refuse de continuer à le financer.

Par Cécile ROUSSEAU.

Un trait tiré sur treize ans de recherche. Bioaster, le seul institut de recherche technologique (IRT) en santé de France, s’apprête à fermer ses portes. D’ici fin octobre, cent salariés, dont une majorité de chercheurs basés entre Lyon et Paris, seront sur le carreau et des projets prometteurs, en déshérence. 

Retour en arrière. En 2012, cette fondation à but non lucratif en recherche appliquée dédiée aux maladies infectieuses avait été lancée en grande pompe dans le cadre du programme d’investissements d’avenir voulu par Nicolas Sarkozy.

Quand les Big Pharma abandonnent la recherche publique

D’autres IRT avaient fleuri dans l’aéronautique, la nanoélectronique, le numérique… Dans le cas de Bioaster, la mise en synergie de la recherche publique, via un apport de 120 millions d’euros de l’État, avec les besoins des groupes cofondateurs comme Sanofi et BioMérieux, les PME et les start-up devait doper l’innovation.

Mais au début de l’été, les Big Pharma ont annoncé quitter le navire. « Nous ne connaissons pas leurs arguments, qui sont confidentiels, déplore Dominique*, chercheur. Si nos comptes ont fini dans le rouge, c’est aussi parce qu’ils se sont désengagés au fil des années. »

Contacté par l’Humanité, Sanofi assure que « le conseil d’administration de Bioaster a pris la difficile décision de préparer l’arrêt des activités de l’institut, confronté à des défis financiers majeurs et à la perte de son statut d’institut de recherche technologique. Malgré dix ans d’investissement continu de ses fondateurs industriels, dont Sanofi, aucun scénario n’a permis d’assurer la pérennité de l’institut ».

En interne, la pilule a d’autant plus de mal à passer qu’une autre biotech, IDCluster, également bâtie sur une alliance public-privé et aussi axée sur les maladies infectieuses, est en préparation à Lyon avec les mêmes acteurs, Sanofi, BioMérieux, Boerhinger…

Le collectif Sauvons Bioaster interpelle l’État

« C’est comme si nous allions être remplacés par un autre instrument, déplore Sylvie*, membre du collectif Sauvons Bioaster, réunissant une soixantaine de salariés, qui précise qu’IDCluster va absorber 60 millions d’argent public sur cinq ans. L’État avait investi 120 millions d’euros chez nous pendant treize ans, pour quel résultat ? À l’heure de la rationalisation des dépenses budgétaires, comment justifier de telles décisions ? »

Le collectif exige donc des réponses des pouvoirs publics : « Qui pilote la cohérence de la recherche en santé en France ? Pourquoi avoir intégré Bioaster au PIA3 (nouveau volet du programme d’investissements d’avenir – NDLR) et dans France 2030 pour finalement demander sa fermeture dès octobre ? »

Alors qu’Emmanuel Macron n’a cessé d’afficher ses ambitions de souveraineté industrielle et scientifique : « Quand l’État a vu que les partenaires privés quittaient Bioaster, ils ont tout coupé, poursuit Sylvie. Or, sans eux, on meurt… Nous faisons de la recherche appliquée, nous ne sommes pas censés être rentables. Nous ne pouvons d’ailleurs pas réaliser de profit, juste viser l’équilibre. Il n’y a pas eu de volonté politique de nous préserver. »

Avec plus de 400 projets menés, 27 brevets déposés, les avancées ont pourtant été fulgurantes dans certains domaines, comme ce prototype de diagnostic par bandelettes urinaires d’Ebola et du chikungunya. Des projets de santé publique de lutte contre la tuberculose, l’antibiorésistance ou le Covid ont également été élaborés sur place.

« C’est un gâchis de savoir » : des technologies et des compétences sacrifiées

Intarissable sur les prouesses accomplies, Dominique aurait aimé « conserver ces équipements de pointe et ces belles technologies. C’est un gâchis de savoir. On a eu tellement de sujets à haut potentiel, de publications… La recherche en santé demande du temps et de l’argent. Comme nous avions une obligation de formation et d’éducation, nous avons aussi accueilli beaucoup d’alternants, de doctorants… ».

Si l’entité hybride devait construire des ponts entre le monde académique et économique, certains salariés estiment, avec le recul, qu’elle a surtout servi à « dérisquer » des produits avant leur développement en entreprise.

En mai dernier, malgré le déficit en train de se creuser, Sylvie pensait que la structure allait remonter la pente. « Nous avions reçu 850 000 euros de la fondation Gates, mais ça n’a pas suffi. » Si dans ce naufrage des problèmes de gestion sont pointés en interne, le directeur général, Alexandre Moulin, assure, lui, avoir fait le maximum pour sauver Bioaster en tentant de l’adosser à un laboratoire public comme le CNRS, l’Institut Pasteur, l’Inserm… sans succès.

Le silence persistant du ministère de la Santé

« Nous n’avons pas fait d’erreur de stratégie, se défend-il. Le secteur des biotechs est en crise. En France, on a du mal à intégrer ce type de projet qui n’est ni de la recherche industrielle, ni académique. Il y a eu une montée en puissance pendant le Covid. Cette période a montré que nous fonctionnions si nous avions assez d’activité. En douze ans, nous avons fait des choses innovantes mais visiblement pas assez. »

Selon lui, le positionnement sur les maladies infectieuses ne serait pas suffisamment porteur : « Le sujet n’est pas jugé économiquement intéressant par les entreprises car il concerne beaucoup les pays en voie de développement, regrette-t-il. Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé estime qu’avec la montée de l’antibiorésistance, les maladies infectieuses vont redevenir la première cause de mortalité mondiale d’ici à 2050. »

Aujourd’hui, c’est le modèle économique même des 15 IRT et des ITE (instituts pour la transition énergétique) du pays qui semble remis en question. Au printemps, d’autres structures avaient tiré la sonnette d’alarme, ne voyant pas venir de nouvelles perspectives de fonds publics.

Avant que l’État ne coupe les vivres à Bioaster, en avril 2024, Yannick Neuder, député LR de l’Isère devenu ministre de la Santé sur le départ, s’était inquiété de l’avenir devant l’Assemblée nationale : « Quel calendrier et quels montants de financement sont prévus par l’État afin de permettre aux instituts de recherche technologique de continuer à participer au déploiement de projets majeurs pour le rayonnement et l’avenir de la nation ? » Contacté pour des précisions, le ministère de la Santé n’a pas donné suite.

* Les prénoms ont été modifiés

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/biotechnologie/derriere-la-disparition-de-bioster-le-naufrage-de-la-recherche-publique-en-france

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