Jean-Pierre Cayard, le magnat du rhum qui rafle des millions de l’Europe (Reporterre-1er/10/25)

Jean-Pierre Cayard, riche homme d’affaires à la tête du groupe La Martiniquaise, a indirectement touché environ 20 millions d’euros d’aides européennes de la PAC par an entre 2014 et 2021.

Par Emma CONQUET et Léopold SALZENSTEIN

Quand les consommateurs trinquent, c’est l’Union européenne qui régale ! Alors que la consommation d’alcool est la première cause de mortalité évitable en France avec 49 000 morts par an, cette industrie est l’une des plus subventionnées par l’Europe. En épluchant les aides européennes, Reporterre a découvert que Jean-Pierre Cayard, patron du groupe La Martiniquaise (Label 5, Poliakov, Saint James…), est l’un des plus grands bénéficiaires de la Politique agricole commune (PAC).

Entre 2014 et 2021, 25 filiales de son groupe, détenues via sa holding Cofepp, ont touché plus de 150 millions d’euros d’argent public européen, selon nos calculs. Soit approximativement 20 millions d’euros par an. Les trois quarts de ces subventions proviennent de l’enveloppe française. Le reste, des quatre autres pays où le groupe détient des entreprises : l’Espagne, l’Italie, la Bulgarie et le Portugal.

Jean-Pierre Cayard est l’héritier d’un empire de spiritueux qui fabrique du rhum, du gin, du porto et de la vodka. La Martiniquaise occupe la deuxième place du marché des spiritueux en France, derrière Pernod Ricard. Selon le magazine Challenges, Jean-Pierre et Édith Cayard figuraient à la 61ᵉ place des plus grandes fortunes françaises en 2025, avec une richesse estimée à 2 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros). En 2018 et 2019, le Parlement européen le désignait pourtant comme le premier bénéficiaire de la PAC. Sollicitée, La Martiniquaise n’a pas répondu aux questions de Reporterre.

Un dispositif européen spécial outre-mer

La Martiniquaise bénéficie surtout du programme Posei (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité). Ce dispositif européen soutient les régions ultramarines face aux désavantages économiques qu’implique leur isolement géographique. Le Posei finance notamment la production de cannes à sucre, matière première du rhum principalement cultivée aux Antilles. Selon nos calculs, 90 % des subventions reçues par les sociétés françaises de Jean-Pierre Cayard proviennent de ces aides, spécifiques à la France, au Portugal et à l’Espagne. 

« Le problème du Posei, c’est qu’il est extrêmement mal distribué, déplore David Cormand, député européen Les Verts/Alliance libre européenne. C’est un programme différencié, qui répond à la question de la vie chère et des difficultés agricoles sur ces territoires ultrapériphériques, donc ce n’est pas une mauvaise idée, mais il est dévolu à une économie majoritairement destinée à l’exportation. »

Contacté, le ministère de l’Agriculture confirme que « personne ne décide au cas par cas quel producteur peut bénéficier ou non d’une aide [Posei] ». Pour obtenir ces subventions, il suffit d’être considéré comme agriculteur actif, opérant dans une structure agréée par l’État. Selon le ministère, les aides dont bénéficie Jean-Pierre Cayard soutiennent « l’ensemble de la chaîne de valeur permettant le développement de l’agriculture locale », dont feraient partie « les industriels transformateurs de cannes à sucre ». Il rappelle que ce soutien financier vise à « compenser l’écart de compétitivité entre distilleries des DROM [département et région d’outre-mer] et distilleries de pays tiers ».

La holding de Jean-Pierre Cayard affichait pourtant un bénéfice d’environ 16 millions d’euros par an en moyenne entre 2015 et 2021 — avec de fortes variations. Parmi les principaux bénéficiaires de subventions, la sucrerie-distillerie Gardel, située en Guadeloupe, reçoit presque la moitié des aides du groupe, soit plus de 9 millions d’euros par an. Cette manne ne l’a pas empêchée de licencier sept employés en 2024 à la suite du blocage de l’entreprise par des salariés demandant de meilleures conditions de travail, selon la CGT. Sollicitée à ce sujet, la sucrerie-distillerie Gardel n’a pas répondu à Reporterre.

L’alcool avant la souveraineté alimentaire

Pour Goulven Le Bahers, chargé du dossier PAC au Collectif Nourrir, « les grands groupes savent très bien combiner les dispositifs existants. Ils peuvent être à la fois propriétaires d’exploitations éligibles aux aides découplées de la PAC mais aussi capter des financements pour la structuration des filières ». Un usage qui pose la question du sens politique de ces aides dès lors qu’elles sont destinées à l’industrie de l’alcool.

De fait, cette filière concentre de forts enjeux en termes de santé humaine et sur le plan environnemental. Le sucre de canne utilisé dans le rhum boit 1 100 litres d’eau pour la production de 1 kilo de sucre de canne, presque deux fois plus que pour la betterave, selon le WWF [1]. Cette culture accélère également l’érosion des sols et consomme de nombreux pesticides.

Comment un milliardaire ayant fait sa fortune dans un tel secteur parvient-il à toucher autant d’aides publiques ? La Commission européenne défend auprès de Reporterre que la PAC « prend déjà des mesures en faveur d’une répartition plus équitable des aides », et assure que « la future PAC sera […] plus ciblée sur ceux qui en ont le plus besoin ». Selon l’institution, c’est aux États membres « d’examiner et expliquer comment leur plan pour la PAC rendra la distribution des paiements directs plus équitable ».

Les mesures européennes ne sont pourtant pas toujours appliquées au niveau national. Selon Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), la PAC contient ainsi de nombreuses mesures facultatives, qui sont appliquées au bon vouloir des États membres.

Par exemple, l’État pourrait fixer un plafond au montant d’aides reçues. «  La France n’applique pas le plafonnement, sous prétexte qu’il n’y aurait pas de gros bénéficiaires », indique Pauline Lécole, enseignante-chercheuse à l’institut Agro Montpellier. Un argument mis à mal par les millions d’euros d’aides versées au groupe de Jean-Pierre Cayard.

Pendant ce temps, les agriculteurs français reçoivent de l’Europe une aide moyenne de 33 700 euros par an et par exploitation, soit 0,17 % de ce que touche le milliardaire. La grande majorité des agriculteurs perçoivent même des montants bien inférieurs : selon une étude de l’institut de recherche Inrae publiée en 2021, les trois quarts des exploitations européennes reçoivent moins de 5 000 euros par an de la PAC.

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Source: https://reporterre.net/Jean-Pierre-Cayard-le-magnat-du-rhum-qui-rafle-des-millions-de-l-Europe

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