Démission de Lecornu : «Les gouvernants s’accommodent très bien de ce qui se passe» (Reporterre-6/10/25)

Le Premier ministre Sébastien Lecornu a présenté la démission de son gouvernement à l’Hôtel Matignon, à Paris, le 6 octobre 2025. – © Stephane Mahe / Pool / AFP

Premier ministre démissionnaire, valse des ministres… Cette crise politique risque de continuer, prévient la professeure Lauréline Fontaine : « Cela leur va très bien. Ils continuent d’exercer le pouvoir. »

Il n’aura fallu que quatorze heures pour que le gouvernement nommé par Sébastien Lecornu tombe. Depuis 2022 et son second mandat, Emmanuel Macron a nommé pas moins de cinq Premiers ministres. Cette valse pourrait continuer longtemps, prévient Lauréline Fontaine.

Cette professeure de droit public à la Sorbonne Nouvelle et autrice de La Constitution au XXIe siècle, essai publié aux éditions Amsterdam en 2024, dénonce l’interprétation qui est faite de la Constitution par les dirigeants, de telle façon qu’elle leur permette de continuer à exercer le pouvoir au détriment du bon fonctionnement des institutions.

Entretien réalisé par Fabienne LOISEAU.

Reporterre — Le nouveau gouvernement a été démis quelques heures seulement après sa nomination. Comment analysez-vous cette situation avec votre regard de constitutionnaliste ?

Lauréline Fontaine — Il n’y a actuellement pas de limite réelle au bon vouloir des acteurs politiques principaux, que sont le président de la République, le Premier ministre et le gouvernement. Ça ne sert à rien de demander aux constitutionnalistes ce que la Constitution permet de faire ou pas parce que, premièrement, ces acteurs politiques font quand même, et ensuite les textes sont interprétés afin qu’ils puissent toujours tout faire.

Ce qui manque essentiellement aux gouvernants actuels, c’est ce que j’appelle l’éthique de leur fonction, pas au sens moral, mais dans le sens d’une éthique attachée à leur fonction, autrement dit l’état d’esprit dans lequel et pour lequel cette fonction existe. Depuis que les constitutions s’écrivent, elles ont une éthique qui correspond à l’idée de limites : on n’écrirait pas des Constitutions pour instituer les pouvoirs si on ne les instituait pas de manière limitée.

Or, depuis quelque temps, les gouvernants sont complètement en dehors des clous. Ils n’ont pas intériorisé cette éthique et cette idée de limites. Ils cherchent surtout à savoir comment interpréter le texte constitutionnel, comment s’en débrouiller pour faire exactement ce qu’ils veulent, plutôt qu’à chercher à savoir ce qu’on est censé ne pas pouvoir faire en vertu de l’existence de ce texte.

Selon vous, quelles pistes offre la Constitution pour sortir de cette crise ?

Soyons clairs, la Constitution elle-même n’offre aucune sortie de crise, puisque ce n’est qu’un texte, qui n’a aucune portée en lui-même. En revanche, si les gouvernants avaient une éthique de leur fonction, c’est-à-dire s’ils considéraient la Constitution comme un texte qui impose des limites à leur pouvoir, et que cette vision était largement partagée par les gouvernants, cela pourrait changer les choses. Ils agiraient différemment, au bénéfice de l’intérêt général.

« Il n’y a aucun problème pour Macron »

Ensuite, on doit se poser la question de quoi veut-on sortir ? Le but est-il d’avoir un gouvernement qui dure ? Y en a-t-il d’autres ? Tout le monde n’est pas forcément d’accord là-dessus. Selon moi, le président de la République s’accommode très, très bien de ce qui se passe. Il n’y a aucun problème pour lui.

Tous ceux qui sont restés dans le gouvernement d’hier, et qui sont de nouveau démissionnaires, s’en accommodent très bien aussi. En réalité, malgré les gesticulations de Bruno Retailleau, ça leur va très bien. Ils continuent d’exercer le pouvoir. Retailleau continue de faire ce qu’il veut, Darmanin aussi… Il ne faut pas oublier ça quand même. C’est très important.

La situation de blocage actuelle pourrait donc continuer longtemps ?

La seule manière de bousculer un peu ce qui se passe, ce serait de destituer le président de la République. La procédure est inscrite à l’article 68 de la Constitution. Il faudrait que l’Assemblée nationale et le Sénat adoptent une résolution visant à convoquer la réunion de la Haute Cour de justice, qui pourrait alors se prononcer sur cette destitution. Cela pourrait être un début de sortie de crise.

Mais c’est très peu probable que la motion soit adoptée. Ce qui montre que les autres pouvoirs qui, techniquement, ont la compétence pour enrayer un peu un processus aujourd’hui complètement à la main du président de la République, laissent faire. Il y a une forme implicite de collaboration et de complicité entre les deux pouvoirs.

Cela peut durer ainsi, jusqu’à ce que le Parlement ou le corps social soit tellement excédé qu’il se révolte véritablement. Il faut que les gens en aient conscience, parce que là, on franchit un pas supplémentaire vers un amoindrissement de la démocratie. On se dit « c’est inédit ». Mais ce n’est pas le problème.

Cette nouvelle crise est-elle un pas de plus vers une perte de confiance des citoyens envers nos institutions ? Comment faire pour remettre de la démocratie et recréer de la confiance ?

Je suis un peu sceptique sur l’état actuel de la désaffection du politique. Effectivement, il y a une grosse part de résignation de la part des gens. Mais est-ce qu’ils attendent vraiment plus de démocratie ? Moi, sincèrement, je n’en suis pas si certaine.

Si l’on veut sortir de tout ça, il faut un changement profond. Je ne vois pas comment il pourrait intervenir autrement que par quelque chose d’assez vif, d’assez brutal — que ce soit violent ou pas. En tout cas, les institutions actuelles ne sont pas capables de générer le changement attendu.

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Source: https://reporterre.net/Demission-de-Lecornu-Les-gouvernants-s-accommodent-tres-bien-de-ce-qui-se-passe

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