
Ses ministres à peine nommés, Sébastien Lecornu a présenté sa démission, lundi, à la surprise générale. Bien que plusieurs options s’offrent au président de la République, celui-ci choisit pour l’instant de s’entêter, en demandant au premier ministre démissionnaire de mener d’ultimes négociations.
Par Anthony CORTES.
Il marche seul. À peine quelques heures après avoir composé son gouvernement, le premier ministre, Sébastien Lecornu, a remis, lundi matin, sa démission à Emmanuel Macron, qui l’a acceptée. Sur fond de tensions entre la Macronie et son partenaire LR, l’équipe nommée n’a même pas eu le temps de s’installer dans ses bureaux.
Après l’échec de Michel Barnier et celui de François Bayrou, le président de la République voit désormais son premier ministre renoncer avant même sa déclaration de politique générale, initialement prévue mardi 7 octobre. Un véritable fiasco politique, un séisme même : la Macronie n’en finit plus de pourrir sur pied, de sombrer dans le grotesque institutionnel, l’isolement politique et le déni démocratique.
Lundi matin, le chef de l’État a même été aperçu sur les quais de Seine, errant dans la grisaille, téléphone en main, entouré seulement de trois agents de sécurité. Toute la journée, le président a été pressé de renoncer à placer son camp à Matignon ou de convoquer de nouvelles élections. Mais il s’entête.
Dernière idée en date, tombée ce lundi en début de soirée : demander à Sébastien Lecornu de mener « d’ici mercredi soir d’ultimes négociations » sur une « plateforme d’action ». « J’ai accepté à la demande du président de la République de mener d’ultimes discussions avec les forces politiques pour la stabilité du pays. Je dirai au chef de l’État mercredi soir si cela est possible ou non, pour qu’il puisse en tirer toutes les conclusions qui s’imposent », a indiqué le premier ministre démissionnaire, qui a ensuite, au cours d’un énième coup de théâtre, fait savoir qu’il ne souhaitait pas être renommé à Matignon. Emmanuel Macron, en cas de nouvel échec des négociations, a indiqué qu’il prendrait alors « ses responsabilités ». Mais lesquelles ?
Des appels au départ du président
Car, pour le président, l’heure est très grave. Dès l’annonce de la chute éclair de Lecornu, une petite musique s’est fait entendre d’un bout à l’autre du champ politique : celle de son départ. « Le compte à rebours est lancé. Macron doit partir ! » a immédiatement lancé Mathilde Panot, cheffe des députés LFI. Jean-Luc Mélenchon, lui, a demandé « l’examen immédiat de la motion déposée par 104 députés pour la destitution d’Emmanuel Macron ». « Puisque tout a échoué, il faut en revenir à la décision du seul souverain que connaît ce pays : le peuple, a fait valoir l’insoumis. Le retour au peuple est la réponse que les démocraties apportent quand elles se trouvent dans une impasse. » Même Gabriel Attal « ne comprend plus les décisions d’Emmanuel Macron » et dénonce « une forme d’acharnement à garder la main ».
« L’intérêt de la France commande qu’Emmanuel Macron programme sa démission, pour préserver les institutions et débloquer une situation qui était incontournable depuis la dissolution absurde. Il est le premier responsable de cette situation », a également soutenu David Lisnard. « L’avenir de notre pays est en jeu », s’est même alarmé le président LR de l’Association des maires de France. Dans son camp, Jean-François Copé, maire de Meaux, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, ou Olivier Paccaud, sénateur, s’expriment aussi en ce sens.
« Alors que c’est le chaos en France, le peuple attend qu’Emmanuel Macron prenne (enfin) ses responsabilités. Dissolution ou démission, il est temps de rendre le pouvoir aux Français », affirme pour sa part le Rassemblement national (RN). L’extrême droite annonce qu’elle « censurera systématiquement tout gouvernement » jusqu’à la dissolution.
La droite dit « non » à la gauche, qui demande à gouverner
Du côté du Château, ce lundi, toute allocution du président de la République a été écartée. Un silence écrasant : la présidence préférait attendre et observer les différentes réactions politiques pour jauger de ses différentes marges de manœuvre.
En fin de matinée, chez « Les Républicains », Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur démissionnaire qui a mis le feu aux poudres en s’insurgeant contre la désignation de Bruno Le Maire aux Armées, a réuni les siens pour « évoquer la suite ». « Il faut qu’Emmanuel Macron prenne la parole ! » a-t-il lancé à l’issue de ce huis clos, assurant que, malgré tout, la droite « ne bascule pas dans l’opposition ».
Et de poursuivre sur le plateau du JT de 13 heures de TF1 : « Je suis gaulliste, je respecte les institutions. La clé de voûte, c’est le président de la République. Il a le pouvoir de dissoudre et celui de nommer un autre gouvernement. C’est à lui de choisir. S’il y a situation de blocage, alors il faudra un retour aux urnes. Mais je crois qu’il y a d’autres moyens avant d’en arriver là. » Lesquels ? « Nous laisser constituer un gouvernement par exemple, souffle un participant à la réunion. Nous le ferons avec un cap clair, celui du bon sens majoritaire. »
Un souhait qui n’a pas été émis, du moins officiellement, par le chef du parti, qui s’est contenté de préciser qu’il s’opposerait dans tous les cas à la désignation d’un premier ministre de gauche et qu’il existe dans le pays une « majorité nationale » notamment hostile à l’immigration. Message reçu cinq sur cinq à l’extrême droite : Marion Maréchal, eurodéputée ex-Reconquête qui s’est récemment rapprochée du RN, n’a guère attendu pour lui proposer de former « une coalition des droites le plus large possible ». Le but : faire barrage à la gauche.
Un « socle commun » aux abois
Car de ce côté, hors LFI, on assume clairement une volonté de gouverner. « Les macronistes et les Républicains sont les seuls responsables du chaos, a souligné le socialiste Pierre Jouvet à l’issue d’un bureau national exceptionnel du PS lundi après-midi. Trois solutions s’offrent au chef de l’État : la démission, la dissolution ou la nomination d’un premier ministre issu de la gauche et des écologistes. Nous n’appelons ni à la démission ni à la dissolution, nous appelons à des solutions qui permettent aux Françaises et aux Français d’être enfin respectés et de vivre mieux. »
« La crise démocratique est inédite, Emmanuel Macron mène le pays dans l’impasse. Pour en sortir, qu’il nomme enfin la gauche », revendique également Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. « On envisage aussi de pouvoir gouverner, mais la personne qui ne l’envisage pas est à l’Élysée, déplore Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. Il refuse de suivre les résultats d’une élection qu’il a lui-même commandée. Il faut qu’il arrête l’obstruction ! »
Mais entre la droite et la gauche, cela fait bien longtemps qu’Emmanuel Macron ne regarde que d’un côté. La situation tragique du pays depuis des mois, aggravée par le tournant inattendu de ce lundi, pourrait-elle le faire flancher en cas de nouvel échec d’ici mercredi ? C’est du moins ce que certains parlementaires Renaissance interrogés espèrent sans vraiment trop y croire. « Il lui reste une carte à jouer pour pouvoir dire qu’il a tout essayé : un premier ministre consensuel de gauche. J’ose espérer qu’il ne s’en privera pas avant de dissoudre », glisse l’un d’eux. « À ceux qui pensent que l’on pourrait gouverner en faisant l’économie de la gauche, je dis : vous vous trompez », a d’ailleurs écrit sur X la ministre démissionnaire de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
« La voie du dialogue est encore possible, veut croire de son côté la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, appelant toutes les parties au compromis. Nos concitoyens attendent que nous nous mettions autour de la table. Il est urgent de définir un pacte de stabilité et de responsabilité pour répondre à leurs attentes. » Une voie prônée aussi par le Modem, bien que les membres de son groupe parlementaire se disent auprès de l’Humanité « sonnés » et « honteux » face aux derniers événements. « J’ai la gueule de bois », se désole même une députée centriste.
Une nouvelle dissolution effraie cependant bien des députés macronistes. « À quoi bon ? s’interroge l’un d’eux. Au mieux, ce serait un retour aux mêmes équilibres : un Parlement divisé en trois blocs. Au pire, ce serait ouvrir grand les portes du pouvoir au RN. » Cette option est pour le moment rejetée par Emmanuel Macron. Jusqu’à ce mercredi ? En Macronie, depuis le 7 juillet 2024, chaque jour est une aventure. Elle vire désormais à la farce tragi-comique.
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