
Depuis un an, le RN a le plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale. StreetPress a examiné la production législative du parti lepéniste et identifié ses figures clés. Malgré ses troupes, il se concentre autour d’un petit noyau d’élus.
Par Christoph-Cécil GARNIER, Caroline VARON.
En 2024, le Rassemblement national (RN) a subi un nouvel échec électoral avec une troisième place aux législatives. Une défaite, certes. Mais un pas de plus dans leur conquête du pouvoir : le parti de Jordan Bardella est celui qui dispose du grand contingent de députés. Une première pour l’extrême droite sous la Ve République. Fort de ses 123 élus — deux ont été évincés du navire —, le RN a désormais un poids conséquent dans la vie parlementaire française.
Le constat s’est évidemment traduit depuis un an par la chute des gouvernements Barnier, Bayrou ou Lecornu. Il s’illustre aussi dans le travail législatif. Plus d’amendements RN passent, plus ses élus se spécialisent, notamment dans le domaine militaire. Et les alliances avec la droite et la coalition présidentielle se manifestent davantage, comme début octobre avec l’élection de deux députés d’extrême droite à la vice-présidence de l’Assemblée. Le tout en continuant de promouvoir une xénophobie décomplexée dans son travail parlementaire.
StreetPress a analysé avec le « contre-lobbyiste » Jordan Allouche — qui a déjà épluché l’année dernière les votes du parti d’extrême droite au Parlement européen pour relever leurs liens avec les lobbies — l’activité des députés RN en un an. Celui qui lutte en faveur des mesures environnementales a combiné le recensement des amendements déposés et leur taux d’adoption ou l’analyse des interventions orales. Mais également l’observation de l’activité des députés RN sur les réseaux sociaux et l’exploitation de leurs questions écrites adressées au gouvernement.
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Des alliances avec Les Républicains et la Macronie
À l’Assemblée, le RN a multiplié par neuf son taux d’adoption des amendements déposés par ses élus. De 1,4% entre 2022 et 2024, il est désormais à 9,1%, ce qui ne le sort toutefois pas de la moyenne basse des autres groupes parlementaires — le Parti socialiste est à 17,2%, Ensemble à 22,1%. « C’est la plus forte progression parmi tous les groupes parlementaires », pointe Jordan Allouche. Cette hausse importante témoigne des alliances ponctuelles avec les groupes de droite et du centre sur des textes précis, liée à la nouvelle fragmentation de l’Assemblée en trois blocs après la dissolution d’Emmanuel Macron, note le contre-lobbyiste :
« Elle permet aux députés RN de transformer en victoires législatives des propositions qui, dans la précédente mandature, restaient systématiquement marginalisées. »
Une telle proximité se retrouve dans les scrutins publics de l’Assemblée. Si les votes du RN sont très similaires à ceux de l’Union des droites pour la République d’Éric Ciotti (85% d’analogie), il est aussi proche du groupe parlementaire Les Républicains avec 66% de suffrages communs. Vient ensuite la coalition présidentielle — Modem, Horizons, Ensemble — à 49%. D’ailleurs, sur les dix projets de loi présentés par le gouvernement depuis un an, le groupe RN en a adopté neuf. Il a donc soutenu le gouvernement dans 90% des cas.
La hausse importante des amendements RN adoptés montre ses alliances ponctuelles avec la droite et le bloc présidentiel sur des textes précis, liée à la fragmentation de l’Assemblée. / Crédits : Caroline Varon
Un petit noyau de députés actifs
À l’Assemblée, le RN vote d’une seule voix. Logique, le parti lepéniste, souvent décrit comme une PME familiale, n’a historiquement jamais aimé les frondeurs. Mais une petite équipe de députés semble mener une grande partie du boulot. Dix parlementaires sur les 123 concentrent à eux seuls plus d’un tiers des amendements déposés (36,7%) : le primo-élu de la Somme, Matthias Renault (516 amendements), le Gardois Yoann Gillet (265), le Haut-Marnais Christophe Bentz (220) — qui a comparé l’IVG à un « génocide de masse » en 2011 et voulait « distinguer les races » —, puis les cadres Pierre Meurin et Jean-Philippe Tanguy (202). Une partie de ces députés — Gillet, Tanguy ou Renault — n’a pas oublié la xénophobie du parti et sa haine des migrants : ils ont un usage récurrent dans leurs écrits de termes tels que « invasion », « menace », « illégal », « délinquance » ou « grand remplacement ».
Une petite équipe de dix députés semble mener une grande partie du boulot : ils concentrent à eux seuls plus d’un tiers des amendements déposés. / Crédits : Caroline Varon
Cette radicalité ne les empêche pas de peser au Palais Bourbon. Jean-Philippe Tanguy et Yoann Gillet, qui sont les plus performants et font adopter ces amendements. Le podium est complété par Anchya Bamana, députée de Mayotte. Cette forte concentration illustre la discipline du groupe à l’Assemblée mais également sa dépendance envers ce petit cercle d’élus expérimentés. Pour Jordan Allouche :
« Une large partie des députés RN demeure dans une posture d’amateurs, davantage suiveurs que contributeurs réels. »
D’ailleurs, les données récoltées mettent en évidence un net désinvestissement collectif des élus d’extrême droite dans leur activité législative par rapport à la précédente mandature. Elle se traduit notamment par une baisse de la participation aux débats dans l’Hémicycle. Le contraste est d’autant plus visible que Julien Odoul avait été, entre 2022 et 2024, le député ayant posé le plus de questions écrites à l’Assemblée nationale tous parlementaires confondus.
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Le délaissement se ferait au profit d’une présence accrue en circonscription. Logique : pour une grande part de primo-élus, il faut s’implanter localement. Le reste doit également faire le service après-vente des choix politiques de censure ou non des gouvernements, dans un contexte marqué par la condamnation et l’inéligibilité en avril de Marine Le Pen et de son appel.
En commissions, la Défense et les Finances
Du côté des commissions, le RN glane surtout ses victoires dans celle de la Défense avec un taux d’adoption de ses amendements « exceptionnel » de 28,8%, juge Jordan Allouche : « Ça devient l’un des groupes parlementaires les plus “puissants” en terme de victoire. » Et le signe que le parti mené dans cette instance par Laurent Jacobelli — condamné en septembre pour outrage et diffamation envers un autre député — se professionnalise dans le domaine militaire.
Les votes du RN sont très similaires à ceux de l’Union des droites pour la République d’Éric Ciotti (85% d’analogie). Viennent ensuite le groupe parlementaire Les Républicains et la coalition présidentielle avec 66 et 49% de suffrages communs. / Crédits : Caroline Varon
La forte mobilisation du parti en commission des Finances, notamment dans le cadre du budget, lui a permis d’obtenir un taux de victoire notable (10,6%). Un score en nette progression par rapport à la précédente législature et aux autres groupes d’opposition, qui consacre le rôle central au RN de Jean-Philippe Tanguy. À l’inverse, les Affaires étrangères et les Affaires économiques — où les députés traitent des questions de consommation, de tourisme, du logement, d’agriculture, de l’énergie ou de l’industrie — ne réussissent pas au parti lepéniste (2,4% et 6,2% de victoires).
Séduction du patronat ou des lobbies
L’activité du groupe d’extrême droite à l’Assemblée nationale sur les sujets liés à l’économie et aux finances démontre « une véritable stratégie de séduction des milieux patronaux », note Jordan Allouche. Le « contre-lobbyiste » a également effectué une analyse lexicale des amendements RN. Ils révèlent un « tropisme net en faveur des milieux patronaux », pointe-t-il, avec un usage récurrent des registres « anti-régulation ou de simplification » et « pro-industriel ou sur la souveraineté industrielle ». Voir le RN se poser en parti de la compétitivité économique et de la défense des entreprises n’est guère étonnant : Jordan Bardella avait écrit une lettre avant le vote de confiance contre François Bayrou en septembre pour rassurer ces élites économiques. « Ça renforce aussi la cohérence de leurs alliances parlementaires avec les groupes de droite et du centre », estime Jordan Allouche.
Le contre-lobbyiste a d’ailleurs remarqué que les députés RN ne mentionnent presque plus leurs « partenaires externes » dans leurs amendements, contrairement à la précédente législature. En effet, ces textes peuvent être inspirés ou rédigés avec l’appui des lobbies. Quelques crédits subsistent, majoritairement dans le domaine de l’agriculture avec la FNSEA ou la Coordination rurale. Coïncidence ou non, l’analyse lexicale des amendements montre que les termes « écolo », « Verts », « EELV » sont associés à des connotations négatives comme « dogmatique », « extrême », « punitif ». Les amendements sont décidément un moyen pour le RN de marteler son idéologie, qui entre toujours plus à l’Assemblée nationale.
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