
Le rappeur Youssef Swatt’s participe à la flottille qui tente de briser le blocus imposé par Israël à Gaza. Face à des « injustices aussi criantes », dénonce-t-il, la neutralité des artistes « devient une forme de complicité ».
Par Alexandre-Reza KOKABI.
Depuis le port de Catane, en Sicile, Youssef Swatt’s a pris la mer pour Gaza. Le rappeur belge de 27 ans, lauréat de l’émission Nouvelle École sur Netflix et auteur de l’EP Chute libre, fait partie des quelque 150 citoyennes et citoyens de la flottille internationale Thousand Madleens to Gaza et la Coalition de la flottille de la liberté, qui tentent de briser le blocus imposé par Israël et d’acheminer une aide humanitaire symbolique à la population palestinienne, confrontée à une famine.
Depuis son voilier Anas al-Sharif, il a accordé à Reporterre un entretien alors que la flottille s’approche des eaux internationales où d’autres navires humanitaires ont déjà été interceptés. Il affirme vouloir passer de la parole à l’action, refusant de laisser ce génocide sous silence.
Reporterre — En tant qu’artiste et citoyen, pourquoi avoir rejoint cette flottille internationale en route vers Gaza ?
Youssef Swatt’s — Comme beaucoup, je me sens parfois impuissant face à ce qui se passe dans le monde, et notamment face au génocide en Palestine. J’ai voulu passer des paroles à l’action. Participer à la flottille, c’est une forme d’action directe, concrète, qui peut vraiment faire bouger les lignes.
Notre objectif est clair : briser le blocus illégal imposé par Israël à la population palestinienne et contribuer à l’ouverture d’un corridor maritime sûr pour l’acheminement de l’aide humanitaire. Nous transportons nous-mêmes une partie de cette aide — du lait en poudre, des médicaments, de la nourriture —, même si nous savons bien qu’elle ne suffira pas à répondre aux besoins immenses des Palestiniens.
Cette initiative vise aussi à mettre en lumière l’inaction des institutions et des gouvernements, et à rappeler, preuves à l’appui, l’illégalité des pratiques israéliennes. Ce que nous faisons est parfaitement légal, au regard du droit international, du droit de la mer comme du droit humanitaire. Nous sommes des citoyens pacifistes, non violents, qui transportent de l’aide. Et la manière dont Israël réagit — en nous arrêtant, en nous empêchant d’accoster — révèle, à elle seule, l’illégalité de ses actes.
À Gaza, on parle à la fois d’« effondrement humanitaire » et d’« écocide ». En quoi cette cause rejoint-elle les combats écologistes ?
Pour moi, c’est très simple. Beaucoup de gens pensent encore que la cause écologiste se résume à l’environnement, à la protection de la planète. L’enjeu, ce n’est pas de sauver la Terre : c’est de préserver le vivant, la santé et la dignité des êtres humains qui y habitent. La planète, elle, survivra. Ce sont les humains qui disparaîtront.

C’est pour ça que la justice écologiste est indissociable de la justice sociale et de la liberté des peuples. Les grandes figures des luttes pour le climat l’ont très bien compris — je pense à Adélaïde Charlier [une activiste belge], que j’ai eu la chance de côtoyer à Bruxelles, et à Greta Thunberg, qu’on retrouve aujourd’hui sur les flottilles. Si ces militantes se lèvent pour le climat, c’est parce qu’elles se lèvent pour la vie, pour les peuples qu’on écrase au nom d’intérêts économiques et géopolitiques. On ne milite pas pour que « les arbres restent à leur place », mais pour la dignité, pour la survie, pour un monde habitable.
La flottille Sumud, partie avant la vôtre, a été interceptée et ses passagers expulsés. Comment vous préparez-vous à cette éventualité, et pourquoi prendre malgré tout ce risque ?
Certains passagers de la Sumud ont été expulsés rapidement. Beaucoup d’autres ont été privés de leurs droits les plus élémentaires : sans avocat, sans assistance consulaire, emprisonnés dans le désert dans une prison de haute sécurité connue pour ses conditions inhumaines. Les premiers témoignages évoquent des agressions, des humiliations… On est donc loin d’une simple arrestation suivie d’un retour à la maison. C’est d’un tout autre ordre.
Nous savons à quoi nous nous exposons. On ne s’attend pas à plus de moralité de la part de l’armée israélienne. Bien sûr, il y a des craintes, mais elles nourrissent surtout notre détermination — et l’urgence d’appeler nos gouvernements, nos ministres des Affaires étrangères, à exercer une réelle pression pour garantir notre sécurité.
« Le vrai risque, ce n’est pas de s’engager, c’est de se taire »
Je tiens à le rappeler : le sujet, ce n’est pas nous, c’est le peuple palestinien. Nous ne sommes pas là pour être leur voix. Les Palestiniens ont toujours eu une voix, et ils ont toujours parlé fort. Nous sommes là pour l’amplifier, parce que trop souvent, personne ne les écoute.
Vous dites dans « Générique de fin » : « Le rap m’a sauvé la vie, et je vais sauver la sienne. » Le hip-hop, depuis ses origines, est une culture de résistance. Quelle place prend cette dimension dans votre combat ?
Pour moi, c’est une évidence. J’ai grandi dans le hip-hop, qui est une culture profondément contestataire. Elle a toujours porté la voix de celles et ceux qu’on n’entend pas, elle a été un espace de prise de position et de lutte pour la justice. Au fond, je crois que c’est le rôle de tout art. Créer, c’est forcément prendre position.
Le vrai problème, ce n’est pas que certains artistes s’engagent, c’est que beaucoup préfèrent se réfugier derrière le mythe de la neutralité. Comme s’il fallait choisir entre faire de la musique et avoir un regard sur le monde. Dans un contexte d’injustices aussi criantes, cette neutralité n’existe pas : elle devient une forme de complicité. Quand on a une visibilité, un micro, on a aussi une responsabilité. C’est pour ça que je trouve la posture « tiède » insupportable. Je préférerais 100 fois qu’un artiste assume clairement : « Moi, je tiens à mes privilèges, à ma position, à mon argent. » Très bien — mais qu’il le dise, et qu’il nous laisse sa place.
Vous sortez d’une année intense : victoire dans l’émission « Nouvelle École », nouvel EP, concerts à guichets fermés. Cette période faste vous a-t-elle fait hésiter au moment de monter sur un bateau vers Gaza ?
Pas du tout. Il faut en finir avec ce mythe selon lequel s’engager, c’est mettre sa carrière en péril. Comme si prendre position allait nous ruiner ou nous couper du public. Moi, j’ai confiance dans la clairvoyance des gens qui nous écoutent : ils savent reconnaître la sincérité. Je crois qu’aujourd’hui, les artistes qui assument leurs convictions sont justement ceux que le public respecte le plus.

Alors oui, ça peut avoir un coût. Si demain, défendre la Palestine me fait perdre un contrat avec Coca-Cola, est-ce que c’est grave ? Non. Parce que, par conviction, je n’aurais jamais voulu travailler avec ce genre de marque. Le vrai risque, ce n’est pas de s’engager, c’est de se taire.
Avez-vous le sentiment d’embarquer aussi votre public avec vous ?
Oui, complètement, et ça va bien au-delà de mon public. On est sept à bord de mon voilier, mais j’ai le sentiment qu’on est des milliers. Quand je vois la mobilisation sur les réseaux, dans la rue, les dockers qui bloquent les ports, les étudiants en grève, toutes ces initiatives qui se multiplient un peu partout dans le monde, je me dis qu’on fait tous partie de l’équipage. On n’est pas seuls : ce qu’on fait en mer résonne à terre. C’est aussi ça qui donne du sens à notre action.
À quoi ressemble la vie quotidienne à bord d’un navire qui défie directement un blocus militaire ?
On navigue sur de petits voiliers, avec de petits équipages, donc chacun met la main à la pâte : les manœuvres, la surveillance des voiles, la coordination avec les autres bateaux qu’on aperçoit à l’horizon. Il y a aussi une vraie vie collective à bord. On parle beaucoup. Pour ma part, je consacre pas mal d’énergie à communiquer avec les médias et sur les réseaux, pour raconter ce qu’on vit et donner de la visibilité à la mission.
J’avais embarqué une liseuse pleine de livres, mais j’ai un peu surestimé le temps libre qu’on aurait… J’espère pouvoir lire un peu plus dans les prochains jours. Et puis j’écris. Ce qu’on vit là, c’est sans précédent dans ma vie personnelle et militante — qui est encore embryonnaire, je pense. Il y aura clairement un avant et un après cette traversée. Je m’empresserai de synthétiser tout cela dès mon retour à la maison.
Qu’aimeriez-vous que l’Europe comprenne et ressente en voyant votre bateau avancer ?
Ce qu’on voudrait qu’ils comprennent, c’est qu’on est nombreux — vraiment nombreux — à exiger la décolonisation de la Palestine, et décidés à contribuer à cette libération. Beaucoup d’entre nous ont compris que nos États, loin d’être seulement passifs, se rendent parfois complices de ce génocide. Alors ce sont les citoyens qui prennent le relais.
Notre message est simple : on ne détournera plus le regard. Tant que les gouvernements restent silencieux, nous agirons. Aussi longtemps qu’il le faudra, par tous les moyens nécessaires.
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Il manque la période chrétienne depuis au moins 1840
Petit coup de patte à la Russie, a-t-il enquêté pour savoir si cela pouvait être vrai? Pas de rappel de…
Bon , ce n'st pas lui qui va nous expliquer comment décroitre!
il n'a pas lu le livre de Zucman!!
Très intéressant !