
Des centaines de Guyanais ont manifesté ce 6 octobre à Cayenne pour dénoncer les « discriminations » la « relation coloniale » entre l’État français et leur territoire. Ils demandent une évolution statutaire de la Guyane, pour plus d’autonomie.
Par Romain ALLIMANT
Cayenne, le 6 octobre — « Quand vous n’êtes pas respectés, quand vos droits sont bafoués, on doit se lever ! », crie Davy Rimane, député de la 2e circonscription de Guyane devant une foule de 500 personnes rassemblée ce lundi 6 octobre au matin devant la caserne des pompiers de la ville de Cayenne. Les drapeaux guyanais jaune, vert et étoile rouge au centre, s’agitent, ceux qui les tiennent sont animés par une colère. L’affaire du collège Auguste Dédé de Rémire-Montjoly, près de Cayenne, a ranimé des rancœurs contre l’État français. « La situation perdure sur le territoire. C’est un problème systémique et les gens vivent ça comme une profonde injustice », explique le député.
Une semaine plus tôt, lundi 29 septembre, l’équipe enseignante et pédagogique du collège Auguste Dédé se met en grève pour soutenir leur principale, convoquée par la gendarmerie après une plainte déposée pour harcèlement contre elle par les parents d’un élève. En juin, leur enfant aurait tenu des propos racistes et apologétiques de l’esclavage — reconnu comme un crime contre l’humanité en France depuis 2001. Les membres du collège ont alors demandé au collégien de rendre un travail de réflexion sur le sujet et lui ont appliqué une sanction en le privant d’une sortie scolaire. Les parents, tous deux agents de la police aux frontières, sont accusés — par les équipes du collège puis par les syndicats et par les politiques —, d’avoir usé de leur fonction pour mettre la pression à la principale.
Rapidement, le soutien s’est étendu aux responsables politiques et syndicaux de Guyane. Le samedi 4 octobre, devant près de 600 personnes, les deux députés de Guyane, Davy Rimane et Jean-Victor Castor, ont dénoncé un exemple de « racisme systémique » qui empoisonne la Guyane. Ils ont lancé un appel à la manifestation pour lundi 6 octobre.
Le racisme, « une réalité »
« On est considéré comme je ne sais pas quoi. On est en 2025, ce genre de propos racistes doit cesser », s’indigne Armide Paul, agente administrative à la mairie de Cayenne, alors que la marche vers la préfecture s’élance. « Je ne ressens pas suffisamment le soutien du préfet sur cette affaire », ajoute-t-elle. Parmi les manifestants, des enseignants, des membres de la CGT et UTG (Union des travailleurs guyannais) mais aussi quelques militants d’Urgences panafricanistes — un groupe confusionniste d’extrême droite de Kemi Seba, qui a été proche de Dieudonné et d’Alain Soral —, nombreux sont ceux qui témoignent de faits racistes observés ou vécus. Servais Alphonsine, ancien officier de police, dénonce :
« Nous subissons ce racisme depuis longtemps. Chacun de nous dans cette population a, à un moment de sa vie, subi cette discrimination… »
Pour Armide Paul, agente administrative à la mairie de Cayenne, « ce genre de propos racistes doit cesser ». / Crédits : Romain Allimant
« J’ai été vingt-cinq ans lieutenant, je ne suis jamais passé capitaine, contrairement à d’autres qui sont arrivés de métropole et qui sont montés en grade », assure-t-il. Le cortège avance lentement sur le boulevard Nelson Madiba Mandela quand il ajoute, déterminé : « Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité. »
Des mesures jugées discriminantes dénoncées
Dans les conversations, des situations d’injustice passées ou des souvenirs restés amers reviennent régulièrement, comme cette enquête administrative ouverte en décembre 2023 pour les propos d’un policier. Sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, on voit un fonctionnaire de police déclarer à une femme lors d’une altercation :
« Ma famille est en Guyane depuis deux cents ans. Ici, c’est chez moi. On est arrivés dans le même bateau mais pas au même étage. »
Ou encore les propos tenus en 2023 par l’ancien ministre des Outre-mer, Jean-François Carenco, lors d’une réunion à la mairie de Cayenne. Ce dernier aurait proposé en ironisant que l’on fasse couper de la canne à sucre aux Haïtiens en échange de titres de séjour, comme le rapportait France Guyane.
Pour les manifestants du jour, ce « racisme systémique » serait diffus au sein de plusieurs politiques menées par l’État, en Guyane. « L’exemple du 100 % contrôle c’est flagrant », affirme Naomi (1), membre de la police nationale, sous couvert d’anonymat :
« Les chances de se faire contrôler sont beaucoup plus fortes quand on est noir… »
Depuis le 1er décembre 2022, la police aux frontières peut empêcher un passager de prendre l’avion s’il y a une suspicion que celui-ci participe à un trafic de drogue. Entre décembre 2022 et juillet 2024, près de 13.000 arrêtés préfectoraux ont donc été émis, selon le directeur régional des douanes à l’époque, Richard Marie. Le député Davy Rimane a souvent dénoncé ce dispositif, qu’il qualifie d’être un « contrôle au faciès ».
Le député de la 2e circonscription de Guyane, Davy Rimane, a participé à la manifestation du 6 octobre ayant réuni près de 500 personnes dans la ville de Cayenne. / Crédits : Romain Allimant
« On est en situation coloniale »
Pour le député Jean-Victor Castor du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale, ces sujets sont à aborder comme les résultantes d’un « système » :
« On est en situation coloniale. »
Et développe, au milieu du cortège, dans les rues de Cayenne le 6 octobre : « On est sur des rapports de domination structurelle et on permet à des groupes de se structurer et d’avoir de l’influence sur les institutions. Il n’y a plus d’égalité, ce sont des abus de pouvoir permanents. »
La manifestation passe devant la cour d’appel et le commissariat pour rejoindre la préfecture, l’administration qui cristallise les reproches et les tensions « Mouché colon ? Madanm colon ? » (en français : « Monsieur colon ? Madame colon ? »), chante une femme sur le trajet, mégaphone à la main, provoquant à chaque fois la même réponse de la foule : « Pas viré encore ! » Ou bien, lance-t-elle : « Christophe Colomb ? », sous les rires du cortège.
Derrière la question de la « relation coloniale » entre la France et la Guyane, les manifestants ouvrent la porte à d’autres revendications, dont la majorité tourne autour de la précarité. « Aujourd’hui, on est à 53 % de gens qui vivent sous le seuil de pauvreté », déplore Xavier Nelson, enseignant. Au premier trimestre de 2025, le taux de chômage s’établissait à 17 %.
Pour Xavier Nelson, enseignant, « 53 % de gens vivent sous le seuil de pauvreté ». / Crédits : Romain Allimant
« Il y a qu’en Guyane qu’on lance des fusées sur un nid de bidonville comme le disait François Mitterrand. Il y a une volonté politique de ne pas développer ce pays, de maintenir les gens dans l’ignorance et la précarité », abonde Papa Demba Diouf, enseignant lui aussi. Pour régler ces problèmes, plusieurs manifestants appellent à une évolution statutaire de la Guyane, pour accorder plus d’autonomie au territoire. Un changement déjà demandé lors des mobilisations sociales de 2017, qui avait engendré le blocage du département pendant un mois.
« Ce n’est que le premier acte »
Devant la préfecture, les manifestants attendent le retour d’une délégation de huit représentants, dont les deux députés et la maire de Cayenne, Sandra Trochimara, partis échanger avec le préfet. Certains s’abritent de la chaleur sous l’ombre d’un grand manguier, d’autres s’assoient près de la fontaine de la place. Une heure plus tard, la délégation annonce que les deux membres de la police aux frontières ont été suspendus de leurs fonctions jusqu’à la fin de l’enquête administrative.
Une décision confirmée par la préfecture dans un communiqué qui parle de « faits d’usage abusif de leur qualité de policier dans leurs échanges avec le personnel du collège Auguste Dédé ». La principale du collège a réagi dans un communiqué aux manifestations de soutien : « Je tiens à vous remercier sincèrement pour cet élan de solidarité et d’humanité », écrit-elle avant d’appeler au « temps de l’apaisement […] pour consolider le vivre-ensemble. »
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Même si une première victoire a été remportée, il ne s’agit que du « premier acte », promet Davy Rimane, sous les vivats des manifestants. « Les élus de Guyane ont validé le principe d’un changement statutaire, il va falloir qu’on l’accélère. Aujourd’hui, nous passons en mode combat ! » Peu à peu, la foule se disperse dans les rues de Cayenne. Les esprits encore échauffés par les injustices jurent être déterminés à réitérer le mouvement.
(1) Le prénom a été modifié.
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