À Brest, des militants LFI tabassés et une extrême droite en roue libre (médiapart-6/09/25)

Édouard Edy, militant de La France insoumise (LFI), à Brest le 3 septembre 2025. © Photo Lucie Weeger / Mediapart

Quatre militants insoumis ont été violemment agressés par deux hommes cagoulés, identifiés comme appartenant à la mouvance d’extrême droite. L’une des victimes est le compagnon du député LFI Pierre-Yves Cadalen. La gauche locale dénonce un sentiment d’impunité face à ces groupuscules en recrudescence.

Par Mathieu DEJEAN.

Brest (Finistère).– Le soleil couchant caresse les visages déterminés d’environ 200 personnes, aux halles de Kérinou, mercredi 3 septembre. L’assemblée générale de préparation du 10 septembre commence, les prises de parole s’enchaînent, parfois vigoureuses, souvent sarcastiques. On parle de « bloquer » le port, des ronds-points et des entreprises stratégiques. On invite à rejoindre un collectif de ravitaillement, pour tenir dans la durée, et les clowns activistes, pour désarçonner les forces de l’ordre.

« Il faut que ce soit festif », insistent plusieurs « septembristes ». Un homme au béret noir se fait plus grave. Il évoque des « ratonnades » qui auraient eu lieu dans la ville l’été dernier et la présence nouvelle, dans l’espace public, de symboles de l’extrême droite radicale. « Il faut le dire : on est clairement antifascistes. Et il est temps de s’organiser », conclut-il, sous les applaudissements. Les militant·es de gauche présent·es ce soir-là approuvent d’un air entendu.

Au milieu de la foule, Édouard Edy ne dit rien, mais le militant à La France insoumise (LFI), entouré de camarades, porte les stigmates de cette résurgence de l’extrême droite violente. La partie gauche de son visage est jaunie et il se déplace avec précaution. Avec trois autres militant·es, il a été tabassé samedi 30 août, peu avant 16 heures, lors d’une collecte de fournitures scolaires pour le Secours populaire dans le centre-ville.

Le jeune homme de 27 ans, diplômé des Beaux-Arts, se remet doucement mais veut témoigner. « C’est pour créer un climat de terreur et de peur qu’ils font ça, mais ils n’entament pas ma détermination. Il ne faut rien lâcher », dit-il à Mediapart. « Vous ne m’enlèverez jamais ma joie de vivre », a-t-il posté sur Instagram peu après cette agression violente, avec une photo de son visage tuméfié mais souriant.

Une minute de grande violence

Ce jour-là, alors que ses camarades et lui rangeaient leur collecte dans leur véhicule, deux individus cagoulés, habillés en noir, se sont rués sur eux et les ont frappés. « On ne voyait que leurs yeux », rapporte Édouard Edy, qui encaisse cinq coups de poing au visage et des coups de pied à la jambe. L’agression dure moins d’une minute, selon son récit.

Alors que deux témoins répondent à leurs appels au secours, un des agresseurs s’approche d’Édouard Edy et crie : « Brest est natio ! », pour « nationaliste », avant de prendre la fuite en emportant la banderole du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. La seule militante du groupe, jetée à terre, est encore en « état de sidération », rapportent ses camarades. Tous les quatre ont porté plainte.

Joint par Mediapart, le parquet de Brest confirme l’ouverture d’une enquête des chefs de violences aggravées par deux circonstances (visages dissimulés et réunion). Édouard Edy a reçu une incapacité totale de travail (ITT) de cinq jours. S’il témoigne à visage découvert, contrairement aux autres victimes, c’est aussi parce qu’il est ciblé nommément par l’extrême droite brestoise depuis 2023, et qu’il n’en est pas à sa première plainte.

« Cela nous rappelle que, malgré les divisions politiques, nous avons un ennemi commun ».(Cécile Beaudouin, cheffe de file LFI à Brest)

Au printemps 2023, alors qu’il collait des autocollants en sortant des Beaux-Arts de Brest, deux individus l’ont suivi. Bousculade, insulte homophobe et, déjà, le même slogan : « Brest est natio ! » Connu localement pour son engagement syndical et pour les droits LGBT, son implication dans le mouvement contre la réforme des retraites et son engagement à LFI, il est visé quelques mois plus tard par deux tags dans Brest.

L’un d’eux, sur la faculté de lettres, porte une croix celtique : « Eddy [sic] Édouard à mort. » L’autre, sur le local de la section brestoise du Parti communiste français (PCF), mentionne encore son nom, ainsi que « fuck LGBTQ ». Les deux plaintes déposées à ce sujet n’ont pas donné de suites. 

« Il y a un caractère homophobe à cette agression. Ils visent le militant de gauche et le militant des droits LGBT », explique le député LFI de Brest, Pierre-Yves Cadalen. Vendredi 5 septembre, il a révélé dans une lettre ouverte qu’Édouard Edy était son compagnon, « ce qui ajoute une information importante sur la motivation et le ciblage du groupe en question ». Cet élément a été versé à la plainte. 

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Tags visant Édouard Edy sur le local du PCF à Brest. © Photomontage Mediapart avec DR

En juin dernier, ils avaient retrouvé la porte de leur immeuble taguée d’une croix gammée confondue avec le sigle « LFI ». De quoi alimenter leurs inquiétudes. Dans sa lettre, le député invite « celles et ceux qui ont été victimes de ces personnes et qui ont craint, pour une raison ou pour une autre, de porter plainte, à [le] contacter »

« On prend des mesures, mais il faut continuer à vivre, ajoute celui qui tracte dans sa ville pour la destitution d’Emmanuel Macron. Leur slogan, “Brest est natio”, est un contre-sens historique complet, c’est la revendication d’une Brest qui n’existe pas : Brest est antifa, ouverte. »

Réflexe unitaire

La gauche locale – partisane, syndicale, associative – a rapidement réagi en soutien aux militant·es LFI tabassé·es : les syndicats CGT et Solidaires, la Ligue des droits de l’homme (LDH), le PCF, Les Écologistes, le Parti socialiste (PS)… La députée socialiste du Finistère, Mélanie Thomin, s’est fendue d’un message personnel.

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Le député LFI de Brest, Pierre-Yves Cadalen, tracte devant la mairie de Brest, le 3 septembre 2025. © Photo Lucie Weeger / Mediapart

« Ça fait du bien mentalement, et politiquement c’est indispensable », souligne Édouard Edy. « Cela nous rappelle que malgré les divisions politiques, nous avons un ennemi commun. On a su s’unir en 2024 et même si je ne suis pas partisane de l’union pour l’union, il faut qu’on sache qu’on peut compter les uns sur les autres dans ces moments-là », abonde Cécile Beaudouin, suppléante de Pierre-Yves Cadalen et cheffe de file insoumise pour les municipales de 2026.

L’événement survient alors qu’au niveau national, les relations sont encore plus tendues qu’à l’accoutumée entre partis de gauche. Une candidate socialiste aux législatives partielles à Paris a renvoyé dos à dos « l’extrême droite ou l’extrême gauche au sens insoumis », des « dangers l’un et l’autre », avant de se corriger. Raphaël Glucksmann assume pour sa part, dans Libération, refuser de s’unir avec LFI en cas de législatives anticipées, y compris dans les circonscriptions où le Rassemblement national (RN) risque de l’emporter. 

Des déclarations lointaines, mais qui résonnent fortement à Brest. « Je ne suis pas d’extrême gauche, je suis de gauche, et les militants d’extrême gauche ne s’en prennent jamais aux personnes. Cette mise en équivalence est insupportable », martèle Pierre-Yves Cadalen. Pour le député insoumis, la violence politique d’extrême droite est une co-construction, entre normalisation du RN, dérive à droite du parti Les Républicains (LR) et « charge permanente dans les médias » contre LFI. « Ça fait années 1930 », dit-il sombrement.

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Cécile Beaudouin, suppléante de Pierre-Yves Cadalen et cheffe de file insoumise pour les municipales de 2026, rentre dans le local de La France insoumise à Brest, le 3 septembre 2025. © Photo Lucie Weeger / Mediapart

Localement, les gauches mesurent amèrement le poids de ce glissement idéologique. La Bretagne est une des dernières régions où le parti de Marine Le Pen n’a ni député·es ni maires. L’extrême droite groupusculaire se charge donc d’en faire une terre de mission. Cela s’est vu à Callac (Côtes-d’Armor), où un projet d’installation de réfugié·es a été abandonné en raison des pressions de l’extrême droite. Mais aussi à Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), où le domicile du maire a été incendié en 2023 en raison de sa position favorable à un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada).

Contrer la logique de la peur

À Saint-Brieuc, Lorient, Vannes ou Nantes, le même scénario se répète, parfois sous couvert de défendre la culture bretonne. Des actions violentes, contre des militant·es ou événements de gauche, signalent une tentative d’implantation et de recrutement à grande échelle, dans une région où le militantisme d’extrême droite reste faible.

Taran Marec est bien placé pour le savoir. Le secrétaire fédéral des Jeunesses communistes du Finistère, âgé de 27 ans, est conseiller municipal à Brest, délégué à la langue bretonne. Il a été ciblé par l’extrême droite sur les réseaux sociaux, en particulier le Parti national breton (PNB) – dissous à la Libération, mais qui s’affiche à nouveau à visage découvert –, pour son engagement à gauche sur la langue bretonne : « Il faut en faire un outil de partage et d’intégration des gens qui viennent de partout dans le monde », dit-il.

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Taran Marec, militant communiste brestois et délégué à la langue bretonne, le 3 septembre 2025, à Brest. © Photo Lucie Weeger / Mediapart

Plus largement, le local du PCF dans lequel il nous reçoit, en plein centre-ville, a aussi fait les frais des agissements de l’extrême droite locale. Plusieurs fois il a été tagué avec des croix celtiques et autres symboles néonazis. La serrure magnétique a été vandalisée une dizaine de fois entre 2023 et 2024, notamment le soir des élections européennes. Il a donc immédiatement réagi pour témoigner de sa solidarité avec LFI.

« On n’est jamais à l’abri que nos militants soient les prochains à subir cette violence, dit-il. Les formations de gauche à Brest travaillent très bien ensemble, nous n’avons donc pas besoin de créer des liens nouveaux. En revanche, cette action crée réellement des inquiétudes pour le militantisme de terrain. »

La riposte antifasciste à Brest – la ville de Clément Méric, étudiant et militant antifasciste de 18 ans tué le 5 juin 2013 dans une bagarre avec des skinheads à Paris – est justement à l’ordre du jour des organisations progressistes, qui regrettent le manque de diligence des autorités vis-à-vis de l’extrême droite. « On trouve qu’il y a du laisser-faire », affirme Adrien*, militant à la CGT, qui trouve la préfecture plus prompte à fermer la salle autogérée L’Avenir – détruite en 2023 – qu’à s’occuper des groupuscules d’extrême droite.

Au mois de juillet, Pierre-Yves Cadalen a alerté le sous-préfet du Finistère au sujet d’un de ces groupuscules, Le Talion Brest. Contactée par Mediapart, la sous-préfecture de Brest n’a pas donné suite.

Les militant·es s’organisent donc en s’inspirant des réussites de villes comme Lille, Lyon et Saint-Brieuc. « L’idée d’un front commun antifasciste nous intéresse. À Saint-Brieuc, la pression mise sur la préfecture et les renseignements obtenus sur les militants d’extrême droite ont fait baisser drastiquement leurs actions », rapporte Adrien. En attendant, Édouard Edy et ses camarades résistent à la logique de la peur et de la salissure. Et comptent bien le démontrer dès le 10 septembre. 

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Source: https://www.mediapart.fr/journal/politique/060925/brest-des-militants-lfi-tabasses-et-une-extreme-droite-en-roue-libre?utm_

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