
Rattrapée par le développement touristique et l’essor des maisons secondaires, la ville industrielle de Douarnenez peine à loger ses habitants. Une manifestation contre le mal-logement y est prévue ce samedi 10 septembre.
apparence« D’apparence commune, les Douarnenistes se distinguent par leurs chants territoriaux remarquables […], leur pelage paré de couleurs bariolées en fin d’hiver. Toute l’année, ils installent leurs nids dans tous les quartiers de la ville pour élever leurs marmouz [enfants en breton – ndlr]. Leur présence est cependant menacée dans un environnement soumis à une forte pression immobilière. » Les affiches, au format A4, ont commencé à fleurir sur les murs de la petite ville côtière de Douarnenez (Finistère), à la veille d’une manifestation contre la crise du logement ce samedi 10 septembre.
Sur le ton humoristique, ces affichettes décrivent les menaces que font peser sur l’écosystème urbain le « syndrôme d’achat balnéaire » ou la « consommation de logements saisonniers ».
Douarnenez, marqué par son histoire industrielle, est aujourd’hui rattrapé par le récent développement touristique et l’essor des résidences secondaires, au point que ses habitants n’arrivent plus à se loger.
À l’agence immobilière Foncia du centre-ville, la question fait lever les yeux au ciel. « Les annonces parlent d’elles-mêmes », lance, laconique et agacée, une employée de l’agence en désignant sa vitrine couverte de panneaux « vendu ».
Rien à louer, rien à vendre.
Les locations de courte durée, type Airbnb, ont commencé à grignoter le parc locatif ces dernières années. « L’ancien quartier du Rosmer, qui était un quartier ouvrier, aujourd’hui, c’est 20 % de Airbnb »,souligne Maxime Sorin, membre du collectif Droit à la ville qui mène depuis trois ans une « recherche-action » sur la question du logement à Douarnenez.
Avec le Covid, le nombre d’achats de résidences secondaires – des achats parfois rentabilisés par une mise en location sur les périodes estivales – s’est envolé, contribuant à faire flamber les prix au mètre carré dans une ville jusqu’ici abordable.
« Cela crée des gens qui se disent habitants mais qui ne sont là en fait presque que l’été. Cela ne produit pas des voisins », relève Maxime Sorin, qui participera à la manifestation de ce samedi parce qu’« il est devenu impossible de se loger ».
Douarnenez l’ouvrière, la première à élire un maire communiste en 1921, est longtemps restée à l’écart des circuits touristiques qui lui préféraient les communes voisines, au front de mer plus conforme à l’image de carte postale du port breton.
Pionnière dans la conserverie, la ville a abrité un temps près de 30 usines, principalement autour de la pêche à la sardine. « Comme la sardine est un produit fragile, il fallait avoir les usines et les ouvriers à proximité du front de mer », décrit le militant en montrant les imposants HLM construits à cet endroit dans l’après-guerre. Une exception sur les côtes bretonnes.
Les besoins en logements étaient alors énormes, avec un habitat très dégradé en centre-ville et marqué par la suroccupation. À Pouldavid, dans le fond de la baie de Douarnenez, un quartier est même construit sur le comblement d’une ria, une vallée fluviale envahie par la mer.
Les élus ont tout misé sur le tourisme pour pallier le déclin industriel
Concurrencée par des ports plus importants, comme Lorient, l’activité industrielle de Douarnenez commence à décliner dès les années 1970 et n’est plus aujourd’hui que l’ombre de ce qu’elle a été, même si l’entreprise Petit Navire y a encore son siège social et une usine qui emploie près de 300 personnes.
Pour pallier ce déclin, les élus de la ville, aujourd’hui passée à droite, ont misé sur la conversion touristique, perçue comme le seul levier de développement économique.
Il faut changer à tout prix l’image de la ville, quitte à en gommer l’histoire et à nier sa sociologie. La maire Les Républicains (LR) Jocelyne Poitevin l’assume : elle veut attirer les investisseurs et créer des logements destinés aux cadres, pour qui l’offre à Douarnenez n’est pas adaptée, comme elle le rappelait récemment dans la presse locale.

Pour ce faire, d’importantes friches urbaines ont été concédées à des promoteurs. Deux projets récents incarnent cette politique et cristallisent les critiques des habitants.
L’ancienne caserne des pompiers a ainsi été vendue à un promoteur, qui y a créé 69 logements neufs de standing, vendus à des prix au mètre carré tels qu’ils restent inaccessibles aux Douarnenistes.
Le très beau site des anciennes colonies de vacances de la ville du Mans a, lui, été vendu à un autre promoteur, qui a prévu d’y construire 18 logements de standing, avec une piscine chauffée face à la mer. Pas vraiment de quoi, là encore, résorber la crise du logement.
Une crise aggravée aussi à Douarnenez par la pratique, dans le parc privé, des « baux à mobilité », une forme de location – de septembre à mai la plupart du temps – normalement très encadrée, pour les stages ou les missions courtes, mais qui s’est généralisée ici pour pouvoir louer l’été à des prix plus élevés.
Des HLM insalubres, rayés de la carte postale
Malgré un important investissement jusque dans les années 1980-1990, le parc social peine à répondre aux besoins des habitants. « Les listes d’attente sont très importantes car je n’ai plus de logements vacants. Il n’y a plus de rotation : les gens ne partent plus et il y a pourtant de plus en plus de demandes », reconnaît ainsi Catherine Cavatz, directrice générale de Douarnenez Habitat, qui précise que la demande de logement social a explosé depuis le Covid.
Ironie de l’histoire, lorsqu’elle est elle-même arrivée dans la ville pour prendre ce poste, elle n’a d’ailleurs trouvé à louer que de septembre à mai. « Je me suis retrouvée au camping avec mes enfants pendant l’été », raconte-t-elle.
Autre défi pour la ville, qui ne semble pourtant pas trop s’en préoccuper, une bonne partie des HLM du quartier de Pouldavid est devenue complètement insalubre. Construits sur pilotis dans l’après-guerre, en fond de baie, alors qu’il fallait répondre aux énormes besoins de logements, les immeubles – malgré les coups de peinture en façades – s’effritent, rongés par l’humidité.

Élodie Batot, qui vit au rez-de-chaussée d’un de ces immeubles avec ses trois enfants, demande en vain à être relogée depuis des années. « Les murs de l’appartement noircissent de plus en plus à cause de l’humidité. Les radiateurs sont tellement vieux que, même poussés au maximum, on n’arrive pas à chauffer l’hiver : je suis obligée de faire dormir mes trois enfants dans la même pièce l’hiver », raconte cette mère au foyer qui attend un bébé pour l’automne et s’inquiète déjà pour sa santé.
Son fils aîné de neuf ans est devenu asthmatique et doit constamment prendre de la Ventoline et des corticoïdes. Les factures d’électricité du foyer sont devenues exorbitantes et les odeurs qui remontent dans l’appartement sont souvent pestilentielles.
« Cela fait des années qu’on dénonce l’envasement du quartier et l’état déplorable des logements », rappelle pourtant Brigitte Ralec, qui a créé en 2018 avec son mari Gérard l’association Le Dahut pour défendre les habitants de ce quartier populaire de Douarnenez.
L’association s’est récemment battue contre la fermeture d’une classe dans l’école du quartier. « C’est le dernier service public à Pouldavid. Si on pouvait accueillir des familles dans des conditions décentes ici, l’école ne fermerait pas », fulmine Brigitte Ralec, qui dénonce le mépris de la mairie pour ce quartier, une mairie accaparée par le développement touristique de la ville.
Le bailleur social a promis que des travaux, après avoir été plusieurs fois différés, allaient commencer en janvier 2023. Avec l’envol des prix de l’énergie, l’hiver s’annonce pourtant terrifiant pour beaucoup de familles du quartier.
L’important projet de revitalisation économique de Douarnenez, présenté par la ville et labellisé « petite ville de demain », ne fait aucune mention du quartier de Pouldavid, délibérément rayé de la carte postale.
Auteur : Lucie Delaporte
Source : À Douarnenez, « il est devenu impossible de se loger » | Mediapart