« À genoux, tu dérouilles ! » : les témoignages-chocs des anciens élèves du collège Saint-Pierre envoyés aux députés (LT.fr-19/03/25)

Un membre du collectif Saint-Pierre – Kerhuon sera auditionné, ce jeudi, devant la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires. (Photo dutourdumonde/Depositphotos)

Avant d’auditionner le représentant du collectif Saint-Pierre Kerhuon ce jeudi, la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires a pris connaissance des témoignages bretons. Nous en publions des extraits, glaçants.

Par Hervé CHAMBONNIERE.

« Branlées », « raclées », « passages à tabac », « prison », « bagne », « boule au ventre », « enfer », « terreur »… Un peu moins de trois semaines après les révélations du Télégramme, le « collectif Saint-Pierre – Kerhuon » a recueilli « presque autant de témoignages de violences que celui de Bétharram en 18 mois ». Entre 1964 et 1996 au sein de ce collège situé dans l’agglomération brestoise, ces 138 témoignages esquissent un « schéma pédagogique basé sur la violence pure ».

« Je me demande encore comment j’ai pu m’en sortir, contrairement à beaucoup d’autres qui sont restés très traumatisés, au mieux », confesse François. « Je n’en parlais pas. Et encore aujourd’hui, alors que j’ai 62 ans, j’en supporte les séquelles, de la culpabilité » (Robert). « J’ai 65 piges aujourd’hui et je l’ai toujours en travers de la gorge » (Didier). « J’ai été hanté toute ma vie par les coups que nous recevions. Nous n‘étions pas des voyous » (Bernard). Voici les extraits de douze autres témoignages.

Éric, 66 ans : « À la fin de la 3e, ma mère m’a demandé d’aller voir le directeur pour mon orientation, parce que j’étais indécis. J’ai frappé à la porte de son bureau. Il m’a ouvert, attrapé par les cheveux et m’a cogné avec la pelle à charbon qu’il avait en main. Une fois sa crise passée, il m’a demandé pourquoi je venais le voir. »

François, 67 ans : « La « normalité de cette époque me fait dire que deux ou trois claques de rang ne constituaient pas ce qu’on appelait une dérouillée. C’est dire à quel point la violence était banalisée (…) J’étais devenu tellement dur au mal que j’ai réussi une fois à regarder le prof A. droit dans les yeux. Cela l’énervait encore plus certainement mais, ce jour-là, j’ai pris ça comme une victoire ! (…) Les claques et le sadisme de A. n’avaient d’égal que la force brutale, bestiale du père L. J’ai entre autres le souvenir d’être collé dans sa classe. Il marchait debout sur les tables. Dans une de ses manœuvres, il arracha deux ou trois feuilles de mon Bordas. En repassant, et en s’apercevant de l’état de mon livre, il se déchaîna littéralement sur moi, me reprochant de ne pas respecter ce que mes parents payaient par leur travail ! »

Philippe, 62 ans : « À genoux, tu dérouilles ! » J’entends encore l’injonction du professeur avant « les branlées » (…) Je me rappelle celle infligée à mon voisin de classe, Michel, handicapé de naissance, le corps tordu et qui se déplaçait avec des béquilles (…) Je me souviens de la main du professeur qui saisit ses cheveux, et qui cogne et recogne la tête de Michel sur son cahier, jusqu’à ce que celui-ci soit entaché de son sang. Le cours a repris, mais cette image reste gravée dans ma mémoire. »

À lire sur le sujet Violences au collège Saint-Pierre près de Brest : des témoignages jusqu’en 1996

Robert, 62 ans : « J’ai pris des torgnoles que même mon père ne pratiquait pas. Je n’en parlais pas et, encore aujourd’hui, j’en supporte les séquelles, de la culpabilité (…) Le professeur A., à chaque note en dessous de 10, nous recevait devant l’estrade et nous offrait des beignes proportionnelles à la note basse. Le professeur L., disant que son père avait été jardinier d’Hitler, nous amenait dans la petite pièce au bout du couloir et frappait de ses mains, nous secouait la tête en tenant les cheveux, giflait et donnait des coups de genoux jusqu’à nous faire tomber par terre. »

Alain, 64 ans : « Le professeur A. a demandé à un élève au premier rang de se lever et de venir. Il s’est alors mis à le frapper violemment au visage, jusqu’au sang, le mettant ainsi à genoux. La raclée finie, le professeur lui a ordonné de nettoyer ses excréments, c’est-à-dire son sang. Ce climat transformait les élèves en bêtes sauvages entre eux. J’ai été tabassé dans la cour. Des raclées étaient pratiquées dans le bus du soir entre élèves ».

A cause du soleil, je me suis retrouvé sur l’estrade pour éviter un faux jour. Le père D. est rentré dans la salle. Croyant que j’étais puni, il m’a collé une méchante avoine qui m’a laissé sonné. Mon prof lui a dit que non, je n’étais pas puni. Le père D. lui a rétorqué que c’était une avance…

Loïc, 63 ans : « Une matinée, nous avons été invités à rester en récréation un quart d’heure supplémentaire pendant que le directeur et les professeurs « s’occupaient » d’un élève qui s’était rebellé lors du tabassage perpétré par un enseignant sur sa personne. Pour le punir et sans doute pour montrer aux autres élèves ce qui pouvait advenir dans une telle situation, le directeur et les professeurs ont formé un cercle autour de l’élève « récalcitrant » pour lui donner des gifles et autres coups répétés, en se le passant de l’un à l’autre. »

Didier, 59 ans : « En 1984, à cause du soleil, je me suis retrouvé sur l’estrade pour éviter un faux jour. Le père D. est rentré dans la salle. Croyant que j’étais puni, il m’a collé une méchante avoine qui m’a laissé sonné. Mon prof lui a dit que non, je n’étais pas puni. Le père D. lui a rétorqué que c’était une avance… »

Patrick, 64 ans : « Le père L. nous a convoqués et fait agenouiller dans une classe face à l’estrade, les bras dans le dos. Sans dire un mot, il a déambulé lentement pendant un temps assez long sur l’estrade en nous regardant d’en haut et, subitement, sans prévenir, il a décoché un coup de pied magistral dans la gorge d’un élève de 13 ans qui se tenait près de moi, comme s’il tapait dans un ballon de football. J’ai cru qu’il l’avait tué… »

Claude, 66 ans : « J’ai, pour ma part, réussi à éviter la majorité des distributions de baffes, coups de pied, règles, compas et autres outils pédagogiques à portée de main de ces brutes, cela en rasant les murs et en apprenant mes leçons non pas par envie mais par crainte de me faire tabasser. Cela bien sûr n’a pas empêché, de 1978 à 1981, de prendre tous les jours le chemin de l’école la peur au ventre (…) Certains ont eu leur bac par la suite, oui c’est vrai. Pour combien d’échecs scolaires, bascules dans la délinquance, l’alcool, la drogue ou gestes de désespoir ? »

Jean-Luc, 62 ans : « On entend dans le couloir le prof A. taper comme un fou sur un élève. Dans la classe, personne ne bouge (…) Un élève fait le tour de la classe en se faisant taper dessus par le prof O. L’élève finit par saigner. Le prof O. : « Va te laver cochon ! » »

Didier, 61 ans : « L’autre, prof de math, quand il te convoquait au tableau et que tu ne savais pas répondre, te demandait de choisir la main avec laquelle il allait te frapper. Ensuite, il prenait un malin plaisir à retirer toutes ses bagues lentement, puis te giflait copieusement. Une fois, ma tête a rebondi contre le tableau et m’a sonné un temps. »

David, 63 ans : « Le prof L. nous faisait lécher les crachats et bourrait la bouche de cigarettes les élèves lorsque ceux-ci étaient surpris en train de fumer. La règle ou le compas aussi, j’ai connu. »


« La quasi-totalité d’entre nous était atteint d’un handicap »

« Des baffes qui vous tombent sur la tempe avec des bourdonnements après, pendant au moins 3 heures », des coups donnés sur la tête « avec un trousseau de clés, jusqu‘au sang », « des gifles à vous décoller la mâchoire, ou vous rendre sourd, des coups de poing », des « brosses de tableau jetées au visage », des coups de compas géant, des règles cassées sur la tête, les bras, des tympans déchirés sous l’impact des coups…

« La charge émotionnelle livrée par ces hommes mûrs, redevenus subitement des garçons et ados terrorisés et couverts de bleus, est un tsunami auquel nous ne nous attendions pas », écrit Frédéric B., cofondateur du collectif finistérien, dans une lettre adressée aux députés de la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires, que Le Télégramme a pu consulter.

Didier Vinson représentera, ce jeudi, devant cette commission ses « frères de misère ». « La création immédiate d’un groupe de discussion WhatsApp nous permet de nous réparer les uns les autres », poursuit le représentant du collectif breton. Il leur a permis aussi de mettre au jour une autre terrible réalité : « La quasi-totalité d’entre nous était, dès notre plus jeune âge, atteint d’un handicap dénommé aujourd’hui trouble « dys » (dysphasie, dyspraxie, dyslexie…) ou trouble spécifique du langage et des apprentissages (TSLA). Les enfants « difficiles » évoqués par certains n’étaient que des enfants que la nature avait privé d’une incapacité à réagir ou interagir selon les normes du plus grand nombre. »

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Source: https://www.letelegramme.fr/finistere/relecq-kerhuon-29480/a-genoux-tu-derouilles-les-temoignages-chocs-des-anciens-eleves-du-college-saint-pierre-envoyes-aux-deputes-6782023.php

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