« À la place, on aurait pu envoyer les gosses en vacances » : les JO vus de Ménilmontant (H.fr-4/08/24)

Habitants du quartier Ménilmontant massés pour encourager les coureurs des Jeux olympiques 2024.
©Samir Maouche

Près du passage de la course de cyclisme en ligne, les responsables de ce bar-restaurant du 20e arrondissement parisien, qui se veut « fédérateur de toutes les forces de gauche », déplorent le coût social et financier des Jeux et constatent une baisse d’affluence surprenante pour la saison.

Par Emma MEULENYSER .

Dans quelques dizaines de minutes, les premiers coureurs de la course masculine de cyclisme en ligne vont débouler à Belleville. Il est 15 h 45, samedi 3 août, et les spectateurs commencent timidement à s’approcher des barrières qui protègent la longue pente. Les courageux concurrents ont quitté le Trocadéro dans la matinée et pédalé jusqu’au sud-ouest des Yvelines (78), traversant la vallée de Chevreuse, avant de revenir vers la capitale pour la boucle finale. Les habitants du quartier se pressent vers la rue Ménilmontant.

« On les a ratés ? », s’inquiète une retraitée. « Non, non, ils ne sont pas encore passés », rassure son mari. Un peu plus loin, Sara discute avec son amie Anissa, adossée aux barrières. Cette prof de français qui fait beaucoup de vélo n’a pas suivi les épreuves. Mais celle-ci « n’est pas loin, il fait beau », et surtout « c’est gratuit ! ».

L’envers du décor

Au milieu des maillots et tee-shirts floqués Paris 2024, quelques drapeaux palestiniens s’élèvent, comme celui de Maiji, « pour montrer qu’on n’oublie pas les Gazaouis ». À quelques mètres de là, rue Sorbier, le Lieu-Dit ouvre ses portes une heure plus tôt que d’ordinaire, espérant repêcher quelques clients de la ferveur populaire. Hossein, le propriétaire, enchaîne les allers-retours entre la terrasse et l’intérieur du bar sobre et rustique, les murs peints en rouge et la salle parsemée de tables en bois.

Hossein regarde avec grande distance les JO. « On ne peut pas nier l’ambiance. Mais ce n’est pas parce qu’il y a un engouement pendant les Jeux qu’on peut oublier le reste. Tout ça a un coût financier et environnemental. À la place, on aurait pu envoyer les gosses en vacances, organiser des événements dans les quartiers et améliorer le cadre de vie par exemple, au lieu de virer les SDF de Paris », accuse-t-il.

Hossein a fondé le Lieu-Dit en 2004, où sont organisés quotidiennement des réunions, des débats ou des rencontres littéraires. Un lieu engagé, qu’il veut « fédérateur de toutes les forces de gauche ». Dès 2017, il avait accueilli une réunion de lancement « Non aux JO à Paris en 2024 », pointant du doigt « l’éternel refrain du pouvoir ”pour distraire le peuple, du pain et des jeux”, alors que le pain manque à beaucoup, alors que l’austérité frappe partout et que les aménagements d’infrastructures devraient être pensés pour l’utilité commune et non pour un spectacle éphémère ».

Quelques personnes s’installent en terrasse, accueillies par Lorenzo, un des serveurs. Avant de travailler avec Hossein, l’ancien étudiant en philo à Paris-VIII, fac située à Saint-Denis, venait souvent au bar pour son côté intellectuel et politique. À 24 ans, il partage ce goût amer pour les JO.

Pendant ses études, il a pu observer, « de loin, les mauvaises gestions qui ont augmenté avec les Jeux. Depuis tout petit, j’ai été sensibilisé à l’envers du décor ». Sa mère était adolescente lorsque Barcelone a accueilli les Jeux d’été en 1992. « Les JO ont radicalement changé la ville, ça l’a beaucoup marqué, elle m’en a souvent parlé », se souvient-il. Lorenzo s’interrompt. Il est 16 h 45, les bruits de la foule s’intensifient : les cyclistes dévalent la pente à grande vitesse.

Le jeune homme sourit, contaminé par les cris de la foule à chaque passage des coureurs. Sa main effleure les égratignures sur sa tempe et l’épais pansement qui recouvre un de ses genoux : il y a quelques jours, c’était lui qui dévalait les pentes du quartier à vélo. Malheureusement, la course ne s’est pas terminée comme prévu.

L’affluence finalement en baisse

Contrairement aux attentes, l’affluence au restaurant a nettement baissé depuis le début des Jeux. « Depuis le 15 juillet environ, nous avons une baisse significative de fréquentation, car tous les habitants ont quitté Paris, de peur d’être pris dans les difficultés liées aux Jeux. Tous mes confrères ont constaté la même chose. En principe on devrait travailler beaucoup mieux », déplore Hossein, qui estime sa baisse de chiffre d’affaires aux alentours de 25 % à 30 %.

Le développement d’Airbnb depuis plusieurs années avait amené des touristes dans ce quartier moins prisé, au nord-est de la capitale. Mais cette année, « bizarrement, il y en a beaucoup moins ». « C’est presque plus difficile de venir travailler, explique Lorenzo. Être ici, voir la course passer, ça m’enthousiasme, mais on a l’impression de subir ces Jeux. » À 17 h 30, les rues commencent à se vider. Certains espèrent encore voir les derniers coureurs, mais, selon les gendarmes, ils sont passés par un autre chemin. Hossein, lui, s’est rapproché de la piste pour discuter avec des connaissances, constatant avec eux la ferveur du quartier.

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Source:https://www.humanite.fr/politique/belleville/a-la-place-on-aurait-pu-envoyer-les-gosses-en-vacances-les-jo-vus-de-menilmontant

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