À Mayotte, ils prennent soin des lémuriens rescapés du cyclone (Reporterre-10/02/25)

Depuis le passage du cyclone Chido, les makis (ou lémuriens) peinent à trouver à manger. – © Olivier Ceccaldi / Reporterre

Depuis que le cyclone Chido a ravagé Mayotte fin 2024, les lémuriens ont perdu leur garde-manger et leur habitat. Une partie des Mahorais les aide avec leurs maigres vivres.

Par Marine GACHET & Olivier CECCALDI ( photographies).

Plage de N’Gouja (Mayotte), reportage

Une vingtaine de makis sont, comme à leur habitude, en quête de nourriture sur la plage de N’Gouja, dans le sud de Mayotte. L’endroit est connu pour ses lémuriens peu farouches amusant les résidents de l’hôtel sur place, à qui ils viennent piquer les petits-déjeuners… en temps normal. Car, plus d’un mois après le passage du cyclone Chido le 14 décembre, une partie des bungalows git toujours au sol et les makis scrutent désormais les pique-niques des plagistes, faute de mieux.

« Ils ont l’air plus agressifs entre eux qu’avant », remarque une femme dont la glacière est à deux doigts d’être prise d’assaut. Quelques minutes auparavant, des tensions se sont fait sentir entre deux groupes aux queues hérissées et aux coups de pattes faciles. Une conséquence typique du manque de nourriture, explique Laurent Tarnaud, primatologue associé au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.

Sur la plage de N’Gouja, les makis s’approchent des humains pour récupérer leur nourriture. © Olivier Ceccaldi / Reporterre

Alors que le cyclone Chido a dévasté l’île, faisant au moins 39 morts et des milliers de blessés — un bilan humain probablement sous-estimé —, la détresse de ce petit animal a ému une partie des habitants. Sa survie à Mayotte est menacée : Eulemur fulvus est une espèce vulnérable inscrite depuis 2018 sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Introduit sur le territoire il y a environ 1 000 ans par les Malgaches qui commerçaient sa viande, l’animal frugivore n’a plus de garde-mangers et, habitué à vivre et à se déplacer d’arbre en arbre, il se retrouve désorienté. Les lémuriens doivent dorénavant marcher, se mettant ainsi en danger : sur les routes, on croise régulièrement des corps fauchés par des automobilistes, des dizaines parfois sur certains tronçons.

« Je n’ai pas pu le laisser »

Quelques jours après le passage du cyclone, des enfants d’un des bidonvilles de Kahani, au centre de l’île, sont ainsi venus voir Manzola, qui tient une exploitation pédagogique à côté du quartier informel. Ils avaient trouvé un bébé maki orphelin depuis la tempête, et ont décidé de l’apporter à leur voisin, connu pour s’occuper de nombreux animaux. « Il avait dû être séparé de son groupe, je n’ai pas pu le laisser », dit le fermier, qui a alors commencé à prendre soin de celui qu’il a baptisé « Chido ». Avec les papayers qui lui restaient encore ou des pommes achetées en supermarché, il l’a nourri et a commencé à l’intégrer à la vie de sa ferme. « Je lui mettais de l’eau dans un petit récipient », raconte Manzola.

Un mois et demi après, la cage à chat dans laquelle il mettait Chido pour le protéger de ses chiens est vide. « Il n’a pas survécu à l’absence de sa maman », déplore le Mahorais, en montrant le pied de vanille sous lequel il l’a enterré. La survie des makis, des animaux sociaux, est compromise lorsqu’ils sont isolés, explique Laurent Tarnaud. Manzola continue de laisser les quelques lémuriens venant encore visiter son exploitation manger les derniers fruits qui s’y trouvent.

Manzola, sur sa ferme éducative qui a été fortement touchée par le cyclone Chido en décembre 2024. © Olivier Ceccaldi / Reporterre

« Souvent, les agriculteurs n’aiment pas ça, mais au moins les makis mangent quelque chose », dit-il en observant un adulte perché sur un de ses arbres. Si les makis ne font pas l’unanimité, notamment parmi les exploitants agricoles, Manzola estime lui que la faune passe avant ses fruits. « J’ai toujours grandi en voyant des makis, c’est un animal emblématique ici. »

Attristés de voir ces animaux errer en quête de nourriture, d’autres habitants se sont mis à les nourrir. Certains gestes bien intentionnés ont mis en alerte les associations environnementales. « On a pu voir des vidéos de gens leur donnant des gâteaux industriels », s’alarme Manuella Grimault, directrice du réseau d’éducation à l’environnement et au développement durable de Mayotte (EEDD 976), qui regroupe plusieurs associations et acteurs environnementaux. Une nourriture non adaptée peut entraîner des troubles digestifs importants chez ces animaux.

Les makis, qui ne mangent environ que 300 g par jour, ont tendance à se gaver quand on leur donne à manger. © Olivier Ceccaldi / Reporterre

Les associations s’inquiètent aussi de les voir prendre l’habitude de venir se nourrir sur les terrasses et, à terme, ne plus savoir se débrouiller eux-mêmes dans les forêts. Elles ont donc commencé un travail de sensibilisation pour encourager à laisser la nature suivre son cours.

« Quand il n’y a plus de fruits, les makis peuvent se nourrir de feuilles, et on voit justement les arbres reverdir. C’est une très bonne nouvelle pour l’espèce », indique Manuella Grimault, dont le réseau associatif a contribué à la diffusion des consignes. Laurent Tarnaud ajoute que certains makis à Madagascar se nourrissent exclusivement de feuilles et, à Mayotte, certains le font aussi en saison sèche.

« Il faut laisser aux makis le temps de reprendre leur ancrage dans la forêt mahoraise, connue pour sa résilience », dit le primatologue, pour qui le travail doit se concentrer sur la bonne gestion de la reprise des espaces naturels. Mais nombre de Mahorais, comme Manzola, estiment que « si on les laisse comme ça, leur population va chuter d’un coup ».

À défaut de pouvoir aller d’arbre en arbre, les makis doivent marcher, et certains se font faucher par des voitures. © Olivier Ceccaldi / Reporterre

« Il n’y a quasiment plus de nature »

Aider les makis de manière à garder leur autonomie, c’est la mission que s’est donnée Warda Bacar, une habitante de Combani. Pour elle, ne pas intervenir revient à oublier les conséquences des actions humaines sur l’habitat naturel du mammifère, déjà victime de la déforestation avant le passage du cyclone. « On nous dit de laisser faire la nature, mais il n’y a quasiment plus de nature », estime celle qui voit régulièrement des lémuriens à sa porte en quête de nourriture.

Après avoir lancé un appel aux dons auprès des grandes surfaces, elle a pu récupérer quatre palettes de bananes dans le supermarché de sa ville. Avec une dizaine de bénévoles, elle a arpenté le centre et le sud de l’île pour disperser les fruits dans la nature. « On en a laissé en hauteur, sur des arbres, pour qu’ils ne perdent pas l’habitude de se nourrir en forêt », explique Warda Bacar, qui espère pouvoir mettre en place une logistique plus importante pour la prochaine distribution, qu’elle veut effectuer dans le nord de l’île.

«  Parfois, la meilleure approche est de ne rien faire.  » © Olivier Ceccaldi / Reporterre

Une démarche intéressante, selon le primatologue Laurent Tarnaud, car la distribution a lieu dans la zone d’habitat : « Le fait de répartir la nourriture sur une zone vaste réduit aussi la compétition. » Il recommande néanmoins de voir à plus long terme, en replantant des lianes dans les haies des jardins par exemple, les makis pouvant s’en nourrir.

Du côté des associations, des groupes de travail se mettent en place pour faire face aux différentes problématiques environnementales provoquées par Chido. En s’appuyant sur des experts et leurs travaux, elles déterminent s’il vaut mieux agir ou compter sur la résilience des écosystèmes, selon Manuella Grimault : « On comprend que ce soit compliqué pour la population de ne pas nous voir agir immédiatement pour sauver les makis. Mais parfois, la meilleure approche est de ne rien faire. »

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Source: https://reporterre.net/A-Mayotte-ils-prennent-soin-des-lemuriens-rescapes-du-cyclone

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