Accidents, stress, précarité, isolement… L’Anses alerte sur la santé des 71 000 livreurs ubérisés (H.fr-26/03/25)

Plus de 71 000 travailleurs indépendants sont concernés en France, selon un décompte de l’Autorité de régulation du secteur (Arpe). © Denis ALLARD/REA

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dévoile, mercredi 26 mars, les résultats de son étude consacrée aux conditions de travail des livreurs de repas à domicile. D’une « organisation du travail à risque » à « l’absence de relations professionnelles », la politique commerciale des plateformes comme Uber Eats et Deliveroo y est épinglée par l’agence, qui demande aux pouvoirs publics de mieux réguler la situation.

Par Tom DEMARS-GRANJA.

Livrer des repas en deux roues expose à une situation sociale précaire, à une situation physique fragile et à une situation mentale friable. La condamnation de la plateforme Deliveroo France, comme de trois de ses ex-dirigeants, pour « travail dissimulé » en juin et septembre 2024 – plus de 375 000 euros d’amende et près de 10 millions d’euros d’arriérés de cotisations et d’indemnités pour les livreurs portés partie civile – en est l’un des nombreux exemples.

Seule porte de sortie pour des travailleurs en quête de revenus, la livraison de repas à domicile – notamment à travers des applications telles que Deliveroo ou Uber Eats – est au centre d’une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui en dévoile les conclusions mercredi 26 mars.

« Une organisation du travail à risque pour leur santé »

Le constat est sans appel : le management via l’intelligence artificielle (IA) des plateformes fait peser des risques sur la santé des livreurs de repas à domicile – soit près de 71 000 travailleurs indépendants concernés en France, selon un décompte de l’Autorité de régulation du secteur (Arpe). Des accidents aux risques psychosociaux, en passant par la pollution de l’air, l’Anses a examiné les conditions de travail des livreurs à deux-roues pour son avis d’« évaluation des risques liés à l’activité des livreurs des plateformes de livraison de repas à domicile ».

Une enquête qui fait suite à une alerte de la CGT. Le syndicat s’était ainsi inquiété, en 2021, des conditions de travail des livreurs à domicile, amenant l’Agence à se pencher sur ces formes de travail entretenues par des plateformes avides de profits.

Pour « optimiser leur rendement économique », une intelligence artificielle attribue les livraisons « sans interaction humaine directe », rappelle ainsi l’Anses dans les conclusions de son étude, qui offre le panorama de cette « organisation à risque » pour la santé. « Les processus automatisés gérés par des algorithmes, tels que l’évaluation des prestations par les consommateurs, les évolutions des modalités de rémunération, les règles d’attribution des courses ou encore les sanctions infligées aux livreurs, génèrent une organisation du travail à risque pour leur santé », énumère l’Anses.

En découlent des accidents de la route, des chutes, des troubles musculaires et des atteintes à la santé mentale : « Stress, fatigue, épuisement lié à la pression constante des notifications, à l’isolement et à l’absence de relations professionnelles stables. » Les livreurs souffrent aussi de troubles du sommeil, de maladies métaboliques, respiratoires ou cardiovasculaires liées à l’activité exercée en horaires irréguliers, le tout dans un environnement de travail difficile, entre la pollution urbaine et le bruit.

« Avec cette utilisation de technologies numériques pour attribuer des tâches de travail, les évaluer, surveiller les performances des travailleurs, les sanctionner, les livreurs n’ont pas de marge de manœuvre, de négociation possible, ni de soutien d’une personne physique qui pourrait répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain », appuie Henri Bastos, directeur scientifique santé et travail à l’Anses. « Il y a aussi des conséquences sociofamiliales, ajoute-t-il. Pour s’assurer un niveau de vie décent, les livreurs vont accepter un grand nombre de courses et donc avoir des amplitudes d’horaires importantes, travailler parfois sept jours sur sept. »

Un épuisement physique et mental

De même, le scientifique issu de l’Agence du travail pointe la charge mentale inhérente au travail pour des plateformes, qui amène à un conditionnement insidieux. Ces « stratégies, appelées “auto-accélération”, consistent à essayer d’anticiper les décisions prises par l’algorithme pour répondre à ses exigences, donc à intensifier le rythme de travail : elles conduisent à un épuisement physique et mental, et peuvent augmenter les accidents sur la route », détaille par exemple Henri Bastos.

Or, en majorité indépendants, ces travailleurs ne bénéficient « ni d’une politique de prévention des risques adéquate, ni d’une protection sociale suffisante », souligne l’agence. Il n’y a pas d’obligation de déclarer leurs accidents du travail. En outre, le contexte réglementaire de cette activité est en construction.

À l’échelle française, où un accord entre plateformes et syndicats fixant un revenu minimal horaire a été récemment signé, et européenne, les États membres ayant deux ans pour intégrer dans leur législation la directive de novembre 2024 renforçant les droits de ces travailleurs. Ce texte prévoit de requalifier comme salariés quelque cinq des 30 millions de livreurs travaillant sous statut d’indépendant en Europe. Les modalités de requalification dépendent des États, ce qui permet à l’Anses de formuler des préconisations.

L’Anses « appelle à responsabiliser les plateformes, pour qu’elles assurent une protection de la santé et de la sécurité de ces travailleurs », qu’elles « fournissent les équipements – gants, casques, etc. – nécessaires et une formation sur la sécurité routière, la santé et la sécurité au travail », résume Henri Bastos. L’agence sanitaire veut aussi rendre obligatoire la collecte de données pour continuer à documenter les effets de cette organisation du travail. La CGT s’est déclarée satisfaite de la « qualité du rapport » dans un communiqué, publié mercredi 26 mars. Selon cette dernière, l’Anses « confirme ce que nos syndicats dénoncent depuis des années : ces travailleur·euses sous statut d’autoentrepreneur dépourvu·es de toute protection sociale subissent des cadences et des conditions de travail dangereuses imposées par des algorithmes ».

L’Anses recommande enfin aux pouvoirs publics de rendre obligatoire, pour ces travailleurs, l’application des dispositions en matière de santé et sécurité prévues pour les salariés dans le Code du travail et d’imposer « une limitation et un contrôle de leur temps de travail ». Sans quoi les livreurs de repas à domicile n’auront aucun moyen d’échapper à la précarité.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/anses/accidents-stress-precarite-financiere-isolement-lanses-alerte-sur-la-sante-des-livreurs-de-repas-a-domicile-et-les-consequences-du-management-par-lia

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/accidents-stress-precarite-isolement-lanses-alerte-sur-la-sante-des-71-000-livreurs-uberises-h-fr-26-03-25/

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