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Le scandale révélé dans l’institution béarnaise n’est peut-être que la partie émergée d’un monstrueux iceberg, ont estimé les experts interrogés par la commission d’enquête parlementaire, tout en distinguant quelques signes d’espoir.
Par Olivier CHARTRAIN.
« Les établissements scolaires sont le premier lieu institutionnel » où se commettent des violences sexuelles sur mineurs. Alice Casagrande, secrétaire générale de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), a donné le ton dès ses premiers mots, jeudi 20 mars devant la commission d’enquête parlementaire « sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires ». Le ton, dans la prolongation des témoignages pleins d’émotion et de colère des représentants des victimes, le matin devant la même commission, c’est celui de la mise en évidence implacable de la défaillance des institutions censées protéger les enfants, qui sont trop souvent le lieu de leur mise en danger.
Des violences plus fréquentes dans le privé
Les chiffres qu’elle a rappelés, qui figuraient déjà dans le rapport que la Ciivise avait rendu en 2023, prennent un sens nouveau depuis l’affaire Bétharram et tous les scandales révélés ensuite : si 81 % des violences sexuelles sur mineurs ont lieu dans le cadre familial, 11 % ont pour théâtre des institutions liées à l’enfance.
Parmi celles-ci, 40 % se produisent dans des établissements scolaires, dont 16 % dans le public et 24 % dans le privé – qui, rappelons-le, scolarise seulement 20 % des élèves. Elles concernent très majoritairement des garçons (28 %) plutôt que des filles (9 %).
La secrétaire générale de la Ciivise a ajouté que selon elle, la différence d’exposition au risque de violences ne se pose pas tant en termes de statut (public ou privé) des institutions concernées, mais en termes de situations, en particulier quand des jeunes sont amenés à passer « des nuits, des week-ends, des vacances » avec leurs agresseurs potentiels.
Le cas des internats se voit ainsi mis en avant : interrogé un peu plus tard, Jean-Marc Sauvé, le président de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) a rappelé que si l’enseignement privé représente 2 % des 5,5 millions de cas d’abus recensés dans le cadre de ses travaux et le public, 3,4 %, le premier scolarise seulement 20 % des élèves et le second, 80 %. « Le taux de prévalence n’est donc pas le même » dans le privé où, a-t-il souligné, « la proportion d’élèves en internat est sensiblement plus élevée ».
Éducation nationale : du personnel qualifié mais en nombre insuffisant
Si le matin certains témoins ou députés avaient pu appeler de leurs vœux un « MeToo des violences sexuelles sur les enfants » ou un « tsunami » qui fasse exploser le mur de silence qui les entoure depuis l’éternité, on a en cette fois entrevu les prémices. Répondant à une question du député Paul Vannier (LFI), co-rapporteur de la commission, Alice Casagrande a estimé – non sans prudence – qu’on pouvait « prévoir que la proportion de violences dans les institutions pourrait être amenée à évoluer, notamment dans les écoles ». Elle a d’ailleurs rapporté que Bétharram a réveillé les souvenirs de victimes, qui se manifestent directement auprès de la Ciivise.
Les intervenants ont jugé plutôt positives les annonces de la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, dans ce domaine, en particulier l’extension du dispositif de signalement « Faits établissements » à l’enseignement privé, alors qu’il est réservé aujourd’hui au public. Mais Alice Casagrande a insisté sur « l’immense marge de progression » qui demeure en termes de formation des professionnels de l’éducation.
Son collègue de la Ciivise, Frank Burbage (par ailleurs inspecteur général de l’Éducation nationale) a pour sa part insisté sur les insuffisances non qualitatives des professionnels, mais quantitatives : il manque tant d’infirmiers scolaires, de médecins, de psychologues, d’autant plus débordés par la multiplicité des tâches qui leur incombent, qu’il ne faut pas s’étonner a-t-il avancé par sous-entendu, que leur action sur les violences sexuelles puisse parfois être jugée insuffisante. Même chose pour les écoutants du 119, le n° d’appel enfance en danger, trop souvent précaires et mal reconnus.
L’Evars, point d’appui pour établir une « culture de prévention »
Le même Frank Burbage a relevé un autre élément positif pour l’avenir, en termes de prévention : la mise en œuvre, après bien des polémiques, du nouveau programme Evars (Education à la vie affective, relationnelle et sexuelle), de la maternelle à la Terminale, « ne sera pas une baguette magique mais ce sera un instrument pour établir une culture de prévention » sur ces questions du corps, de l’intimité et des violences sexuelles.
L’Evars « aidera les élèves à identifier les situations dysfonctionnelles et à connaître les personnes de confiance » à qui se confier. Reste à lever, dans ce domaine, les vives réticences d’au moins une partie de l’enseignement privé sous contrat, qui n’hésite pas à agiter son « caractère propre » pour tenter d’échapper à ses obligations dans ce domaine.
Sans parler du hors contrat, sur quoi l’inspecteur général a confessé, si l’on ose dire, « une difficulté de régulation ». Suprême euphémisme pour indiquer que le hors contrat échappe en vérité à tout contrôle. Un véritable trou noir des violences les plus extrêmes, que les témoignages du matin avaient amplement mis en évidence.
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