
Exposés aux plans de licenciement ou à la délocalisation d’entreprises implantées sur leur territoire ayant pourtant reçu de l’argent public, des militants et élus de collectivités locales cherchent à obtenir réparation et espèrent obtenir un plus grand contrôle de l’État.
Par Marie TOUGOAT.
Des milliards d’euros d’argent public versés aux entreprises sans contrepartie, sans garantie de maintien du tissu industriel et de l’emploi. Alors que le rapport d’enquête sénatorial sur les aides publiques aux entreprises, adopté en juillet dernier, a mis en lumière une manne de deniers publics déversés sur des acteurs privés sans aucun contrôle, de plus en plus de collectivités locales demandent des comptes aux entreprises implantées sur leur territoire.
Car derrière le chiffre choc des 211 milliards d’euros versés en 2024 qu’a révélé la commission d’enquête, dont le rapporteur est le sénateur communiste et directeur de L’Humanité Farbien Gay, se cachent de nombreuses situations où des sociétés disparaissent les poches pleines, faisant peu de cas de l’emploi et de l’industrie locale.
Des fermetures d’usine malgré 85 millions d’euros d’aides publiques
C’est ce qu’il s’est passé en Moselle, à Hagondange. L’aciériste Novasco, ex-Ascométal, a été partiellement repris après avoir été placé en redressement judiciaire (le quatrième depuis 2014). L’offre retenue par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg ne prévoit la reprise qu’un des quatre sites de l’industriel en France, condamnant à la fermeture l’usine lorraine et au licenciement ses 450 salariés.
Pourtant, la société a perçu pas moins de 85 millions d’argent public en juillet 2024, versés contre la promesse que le fonds alors propriétaire, Greybull, en investisse 90. Ce dernier a mis au pot seulement 1,5 millions d’euros, et l’argent public a été perdu.
Les ex-salariés de l’usine d’Hagondange ont annoncé poursuivre Greybull en justice, tout comme l’État. Patrick Abate, le maire PCF de Talange, ville jouxtant l’usine dont nombre d’habitants étaient des salariés, va plus loin : celui-ci portera plainte en janvier contre l’État. « Cela n’est pas du tout contradictoire avec la procédure des salariés, à laquelle nous pourrions d’ailleurs nous associer », précise l’édile. « Nous estimons toutefois qu’il y a eu négligence de l’État. »
Selon l’élu, sa commune a souffert d’un préjudice du fait de l’absence de contrôle du gouvernement : elle va perdre des emplois indirects, une partie de ses recettes fiscales, mais va surtout être confrontée au lourd tribut social payé par ses habitants.
La Nouvelle-Aquitaine impose des règles pour sauver les emplois
« On imagine pourtant ce que l’entreprise aurait pu faire avec 85 millions d’euros s’ils avaient été utilisés à bon escient : on aurait pu former le personnel, donner confiance aux fournisseurs, solder la dette et retrouver de la compétitivité. Cela nécessite toutefois un contrôle de l’État », martèle Patrick Abate. Celui-ci espère que la procédure judiciaire qu’il s’apprête à engager permettra de faire jurisprudence, et de dissuader des fonds propriétaires de se volatiliser avec l’argent public.
C’est également ce qu’espèrent faire les élus communistes du Lot-et-Garonne. En novembre, ces derniers ont appris la décision d’Ultra Premium, société spécialisée dans la production d’aliments pour animaux dont l’usine est installée dans l’agglomération d’Agen, à Estillac, de déplacer son activité en Ille-et-Vilaine, se séparant par la même occasion de 74 de ses salariés lot-et-garonnais.
Là encore, pourtant, l’entreprise avait perçu plusieurs centaines de milliers d’euros pour développer son activité localement, dont 274 000 euros d’aides régionales. « Une extension du bâtiment, dans laquelle a été installée une nouvelle ligne de production, a été financée grâce à ces aides, versées en mars 2025 », détaille Guilhem Mirande, secrétaire départemental du PCF Lot-et-Garonne. Depuis, toutefois, la société a été cédée à un nouveau propriétaire, IPN, qui semble opter pour une stratégie de concentration de ses lignes de production en Bretagne.
La région Nouvelle-Aquitaine, contrairement à l’État, a acté en 2023 le principe d’éco-socio conditionnalité de ses aides, qui implique un remboursement des sommes perçues en cas de délocalisation, même partielle. « Nous avons demandé à nos élus au conseil régional de rester attentifs sur le dossier pour obtenir le remboursement de ces aides ». Interrogée par Sud-Ouest, la direction d’Ultra Premium assure s’engager « à rembourser ce qui est exigé par la réglementation en vigueur ».
« Grâce à la conditionnalité décidée par la région Nouvelle-Aquitaine, ce remboursement pourrait faire jurisprudence et dissuader les entreprises d’agir comme Ultra Premium. Car plus que le remboursement, ce que nous voulons est d’éviter les licenciements et de maintenir le tissu productif sur notre territoire », insiste Guilhem Mirande. Si la société venait à rendre l’argent, le geste pourrait inspirer l’État à également conditionner ses aides, espère le militant.
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