« Ange déchu », « astre mort » : renié par ses anciens alliés, jusqu’à quand Emmanuel Macron peut-il tenir ? (H.fr-3/12/24)

La victoire d’Emmanuel Macron en 2022, la première réélection d’un président depuis l’instauration du quinquennat, a constitué un véritable trompe-l’œil. Depuis, la somme de ses errements lui a explosé au visage.
© Teresa Suarez/POOL/AFP

Un échec à Matignon de Michel Barnier, menacé de censure imminente, fragilisera un peu plus le président de la République, enfermé dans une impasse depuis la dissolution de l’Assemblée nationale surprise de juin.

Par Aurélien SOUCHEYRE.

Que reste-t-il de la Macronie ? Le président de la République, qui n’a que les plus autoritaires articles de la Ve République encore sous le coude pour espérer peser sur la fin de son mandat, déambule, lunaire, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris rénovée. Puis, il s’envole pour plusieurs jours en Arabie saoudite, l’air de rien. Pendant ce temps, la situation devient toujours plus chaotique à l’Assemblée nationale.

Ses troupes, qui ont déserté les débats budgétaires, ont vu la gauche réécrire totalement les textes, dégageant plus de 60 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Amendement par amendement, le Nouveau Front populaire (NFP) a fait voter tout ce qu’Emmanuel Macron abhorre : des impôts supplémentaires pour les plus riches, afin de refinancer notre modèle social. Pire : la gauche s’est même payé le luxe de présenter un déficit moindre que celui prévu par l’exécutif.

Une faute morale gravissime

Une déroute générale pour les prétendus « Mozart de la finance » macronistes et leurs alliés, dont les rangs se sont considérablement réduits. Les troupes présidentielles du groupe Ensemble pour la république (EPR) sont même passées de 314 députés en 2017 à 94 aujourd’hui, à la suite d’une dissolution surprise qu’elles ne parviennent toujours pas à comprendre, en plus de départs permanents de parlementaires se sentant trahis et regrettant ce qu’ils croyaient avoir vu dans le « projet » de 2017.

Et pourtant, laisser faire la gauche, ou bien négocier avec elle, aurait sans doute constitué la meilleure solution pour les marcheurs, qui, pour bloquer le NFP, se sont choisi d’autres alliés : les députés LR et le Rassemblement national (RN). Car, ce n’est que grâce à l’extrême droite que le gouvernement de Michel Barnier a pu entrer en fonction. Et c’est main dans la main avec le parti de Marine Le Pen que la Macronie et la droite ont réduit à néant le travail parlementaire de la gauche sur le budget.

Une faute morale gravissime qui prolonge plus que jamais la crise politique en cours. Car, Michel Barnier n’a parié que sur la bienveillance de Marine Le Pen, qui, de son côté, lui promet la censure. Alors que la gauche avait voté contre la hausse des tarifs d’électricité et contre le déremboursement de plusieurs médicaments, le gouvernement s’est lancé dans une course aux cadeaux vis-à-vis du RN en lui offrant plusieurs conquêtes sur un plateau.

« De nombreuses demandes ont été exprimées sur ce sujet. Madame Marine Le Pen, au nom du Rassemblement national, l’a rappelé au premier ministre, ce matin encore, lors d’un échange téléphonique. Le gouvernement s’engage à ce qu’il n’y ait pas de déremboursement des médicaments en 2025, en application du PLFSS », ont même écrit les services du premier ministre dans un communiqué hallucinant, le jour du retour du texte à l’Assemblée. « Barnier applique des amendements NFP si et seulement si Le Pen le lui demande. Il ne gouverne déjà plus », mesurait ainsi en début de semaine le député FI Rodrigo Arenas.

Le premier ministre a ensuite dégainé, lundi, le 49.3, pour faire passer en force le budget de la Sécurité sociale, promettant une catastrophe en cas d’échec. Les ministres et les députés EPR, les uns après les autres, pour faire passer leurs mauvais textes budgétaires, assurent qu’un shutdown menace la France si on ne les laisse pas faire.

Élisabeth Borne a même promis que les cartes vitales des Français ne marcheraient plus et que les fonctionnaires ne seraient plus payés si le budget ne passe pas. Rien n’est plus faux : la Ve République dispose de nombreux outils pour que les services et les paiements soient assurés, en plus de mesures permettant de faire passer des textes, notamment par ordonnances.

Un « enfant roi »

La déchéance du camp présidentiel est donc telle qu’il refuse le résultat des urnes en privant la gauche de gouverner, qu’il compte sur l’extrême droite pour se maintenir en poste et qu’il ment sur de prétendus dangers budgétaires si ses textes ne passent pas. Celles et ceux qui s’étaient engagés auprès d’Emmanuel Macron en 2017 avaient-ils prévu pareille débâcle ?

De fait, beaucoup tournent le dos au président. Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale, qualifie l’autoproclamé Jupiter d’« ange déchu ». Alain Minc, autrefois proche du président, dénonce désormais un « enfant roi » au « narcissisme poussé jusqu’à un niveau pathologique ». Gilles Le Gendre, ancien président du groupe LaREM à l’Assemblée nationale, estime que sa famille politique est davantage dans une « décomposition » qu’une « recomposition ». Et bien des cadres lâchent le chef de l’État.

« On aurait dû nommer un premier ministre de gauche depuis longtemps. »Une figure centrale de la macronie, sous couvert d’anonymat

« La censure est inévitable. Officiellement, nous sommes du côté de la stabilité et de la responsabilité, nous ne voulons pas que Michel Barnier chute, mais il n’y aura pas d’initiative de notre part pour le sauver ou appeler à le nommer à nouveau », nous confiait, lundi, une figure centrale de la Macronie. « On aurait dû nommer un premier ministre de gauche depuis longtemps », ajoutait-elle, avant d’estimer que « Michel Barnier est fautif, il a commis deux erreurs : avoir placé le RN en position centrale, et avoir pensé que sa tolérance lui était acquise. Évidemment que nous allions finir par être pris au piège ».

Michel Barnier sera-t-il censuré mercredi 4 décembre, comme le lui promettent la gauche et le RN depuis le début de semaine ? Ou bien le RN, qui voulait bien plus de gestes, notamment sur l’aide médicale d’État et les retraites, a-t-il été servi dans les grandes largeurs pour le sauver in fine ? Quoi qu’il en soit, la suite du quinquennat ne peut plus emprunter d’autre route que celle d’un long pourrissement. Le président lui-même semble hagard.

Lors d’un voyage en Haïti, il y a quelques jours, il a qualifié de « complètement cons » les Haïtiens au motif qu’ils ont récemment voulu changer de premier ministre… Un président peut-il parler comme ça ? À bien des égards, la victoire d’Emmanuel Macron en 2022, soit la première réélection d’un président depuis l’instauration du quinquennat, a constitué un véritable trompe-l’œil, et la somme de ses errements lui a depuis explosé au visage.

C’est un « astre mort », estime même le député LR Olivier Marleix. Mais que se passera-t-il demain ? La tempête s’amplifie et le navire macroniste est un bateau ivre. L’hypothèse encore farfelue, il y a quelques semaines, d’une démission du président prend de l’ampleur comme seule possible sortie de crise. À moins qu’il ne tente d’utiliser l’une des cartes antidémocratiques qu’il a encore dans sa manche…

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Source: https://www.humanite.fr/politique/emmanuel-macron/ange-dechu-astre-mort-renie-par-ses-anciens-allies-jusqua-quand-emmanuel-macron-peut-il-tenir

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