
À l’Assemblée et en circonscription, les attachés parlementaires des députés se disent inquiets pour leur santé mentale, comme le montre une enquête de la CFDT. Traumatisés par la dissolution, menacés de perdre leur emploi « du jour au lendemain », ils travaillent sous une pression qui s’accentue, y compris la nuit.
Par Yves-Marie ROBIN.
Ce sont les travailleurs de l’ombre de l’Assemblée nationale, jamais bien loin des tumultes de l’Hémicycle. Rouages essentiels de la vie parlementaire, les collaborateurs de députés ne vont pas bien, physiquement, moralement. C’est ce qui ressort d’une enquête menée par la CFDT-collaborateurs et le Cercle des collaborateurs et assistants parlementaires, à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre dernier.
Sur les quelque deux mille questionnaires adressés à ces techniciens de la politique – 30 ans de moyenne d’âge – travaillant à Paris ou en circonscription, 327 réponses ont été reçues et analysées. Bilan ? Il est très inquiétant. Suffisamment pour alerter les services de la présidente Yaël Braun-Pivet, ainsi que les trois questeuses chargées de l’administration du Palais Bourbon.
« À la lecture des résultats, je suis littéralement tombée de ma chaise, confie Astrid Ribardière, de la CFDT-collaborateurs. C’est très grave. Près de 230 répondants se disent inquiets pour leur santé mentale ; une soixantaine n’osent pas consulter de psychologue de peur d’être reconnus en circonscription ; plus de 70 déclarent consommer des antidépresseurs ; une quarantaine ont développé des addictions ; une vingtaine expriment avoir eu des pensées suicidaires. S’il est toujours prestigieux de travailler à et pour l’Assemblée nationale, se plaindre n’est pas bien perçu… »
« Supplice chinois »
Pourquoi un tel mal-être ? Pour de nombreux répondants, c’est la crainte d’une nouvelle dissolution qui est le plus souvent mise en avant. Beaucoup ont vécu celle du 9 juin 2024 et en conservent un réel traumatisme. « On est devant sa télévision, on suit les résultats des élections européennes, on écoute le chef de l’État et on apprend qu’on est viré du jour au lendemain, sans aucune indemnité, en perdant toute notre ancienneté. C’est difficile à vivre. Une sorte de supplice chinois », détaille un collaborateur souhaitant rester anonyme.
Après avoir écarté tout renvoi rapide des députés en campagne ces derniers mois, Emmanuel Macron semble avoir changé d’avis après l’éviction de François Bayrou début septembre. En cas de censure de Sébastien Lecornu, le président de la République a prévenu les cheffes et chefs de parti qu’il n’hésitera pas à appuyer sur le bouton rouge, une fois encore. Si cette menace a failli être mise à exécution début octobre, elle pourrait très vite refaire son apparition en cas de blocage budgétaire.
« Les parlementaires sont stressés et nous le font ressentir, ajoute Marina (prénom d’emprunt) en poste au Palais Bourbon depuis deux ans. Plusieurs nous mettent la pression. J’ai moi-même été dénigrée dans mon travail, insultée, par le passé. […] En quelques heures, dès que le projet de loi de finances a été inscrit à l’ordre du jour de la séance, il nous a fallu rédiger des tonnes d’amendements. En plus, face à ce possible retour rapide aux urnes, nous devons préparer le bilan de l’action du député, commencer à organiser des réunions électorales, contacter des imprimeurs pour des tracts et affiches… Une drôle d’ambiance. »
2 500 € par mois
En cette période de forte incertitude où un mandat ne se décline plus en années mais en mois, la charge de travail des collaborateurs s’alourdit. Ils ne comptent plus leurs heures passées dans l’enceinte de l’Assemblée ou à la permanence en circonscription. « En ce moment, je quitte souvent mon bureau après minuit, poursuit Marina. Pour tenir, il est évident que l’alcool coule très souvent à flots à l’extérieur du Palais Bourbon, contre le stress… »
Titulaire d’un bac + 5, la jeune femme perçoit 2 500 € net par mois. « Difficile de vivre à Paris avec ce salaire », reconnaît-elle. Elle se dit, toutefois, chanceuse. « Certains de mes collègues touchent 600 à 700 € de moins que moi ». Marina se donne encore quelques mois à l’Assemblée avant de tourner la page. « C’est un poste très intéressant, mais il rend impossible tout projet à court ou moyen terme. Avec ces menaces régulières de dissolution, les banques sont frileuses à nous accorder un prêt. »
En cas de nouvelle élection législative, la jeune femme sait qu’elle devra se tourner vers un autre parlementaire. « Ma députée ne devrait pas retrouver son siège face au Rassemblement national ». Une plongée dans l’inconnu qui rajoute pas mal de stress. « Repartir à zéro avec quelqu’un n’est jamais simple, souligne une autre collaboratrice. Si la plupart des parlementaires sont corrects, certains abusent, nous demandant d’aller faire leurs courses à leur place, de promener leur chien, de laver leur linge sale, de prendre leur rendez-vous médical… ». L’avantage est que leur réputation les précède dans les couloirs du Palais Bourbon.
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