Après l’annulation de l’A69, des médias et des élus crient au «scandale» (Reporterre-4/03/25)

Vue aérienne d’une usine à bitume près d’une section de l’autoroute A69, près de Verfeil (Haute-Garonne), le 28 février 2025. – © Ed Jones / AFP

Arguments mensongers, désinformation… Depuis l’annulation de l’autorisation environnementale de l’A69, des médias locaux, des politiques et des industriels se rangent en ordre de bataille pour contester la décision du tribunal.

Par Justin CARRETTE.

Toulouse, correspondance

« Habitants du sud du Tarn […] pardonnez aux magistrats du tribunal administratif et à la rapporteure qui les a inspirés. » Ce n’est pas le pamphlet d’un élu, d’un militant ou d’un industriel dépité après l’annulation de l’autoroute A69, mais la plume de Lionel Laparade, directeur de l’information de La Dépêche du Midi, un journal local tiré quotidiennement à 100 000 exemplaires dans neuf départements d’Occitanie. Le directeur du journal lui-même, Jean-Michel Baylet, prend également position dans les colonnes de son quotidien : « Cette décision est proprement scandaleuse. […] La justice administrative ne grandit pas en prenant de telles décisions », écrit-il.

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Le 27 février, quelques heures après la décision du tribunal administratif de Toulouse d’annuler l’autorisation de l’A69, les pro-autoroutes étaient déjà en ordre de bataille. Lionel Laparade a rédigé dans la foulée un éditorial amer, débordant de populisme. Le journaliste s’est mué en représentant autoproclamé des Sud-Tarnais dans le quotidien régional, face à des magistrats qui ne connaîtraient rien au Tarn et qui bénéficieraient d’une « existence toulousaine faite de déplacements à vélo cargo pour leur trajet domicile-travail » et d’une « sécurité de l’emploi ».

Lionel Laparade l’affirme : « Ils ne sont pas comme vous », avant de faire un parallèle entre l’abandon de l’autoroute et « le maire rural qui regarde le rideau de son cabinet médical se baisser pour toujours, ou l’exode de sa jeunesse vers une vie plus confortable ailleurs ».

Au bas de l’article, un utilisateur commente : « Lionel Laparade, quelle est votre légitimité pour parler au nom de tous les habitants du Tarn ? » Une question qui restera sans réponse.

Des positions « inquiétantes »

Cette légitimité est d’autant plus questionnable qu’un sondage réalisé par l’institut Ifop en octobre 2023 révèle que 55 % des Tarnais interrogés sont favorables à l’abandon de l’A69. Une tendance qui avait été largement confirmée lors de l’enquête publique sur l’autorisation environnementale fin 2022. Ironie du sort, La Dépêche a même réalisé un sondage sur son site il y a quelques jours, où 72 % de ses lecteurs et lectrices pensent que la décision de « suspendre » le chantier de l’A69 est justifiée.

Les résultats du sondage de «  La Dépêche du Midi  » sur l’A69. Capture d’écran/La Dépêche du Midi

Selon les propos du directeur de l’information de La Dépêche, l’élite toulousaine aurait donc fait annuler cette autoroute au nez et à la barbe du peuple tarnais. Une lecture simpliste et volontairement grossière de la situation, dans un journal habitué à offrir de nombreuses tribunes aux « pro-A69 », à commencer par le groupe pharmaceutique Pierre Fabre, ancien actionnaire du journal et financeur de l’autoroute.

À la suite de la décision de justice enterrant cette infrastructure autoroutière entre Toulouse et Castres, Pierre-Yves Revol, président de la Fondation Pierre Fabre, a une nouvelle fois déclaré dans La Dépêche qu’une telle situation poussait le groupe à « privilégier des territoires d’accès plus rapide et mieux sécurisé ». En novembre dernier déjà, le président du groupe pharmaceutique avait exercé un chantage à l’emploi dans les colonnes du quotidien pour tenter de peser sur le délibéré du tribunal administratif de Toulouse, sans succès.

Lire aussi : Pour sauver l’A69, le « chantage à l’emploi » du groupe Pierre Fabre

Ces déclarations semblent en décalage avec les investissements du groupe dans la région, qui, loin de remettre en cause son développement local, va ouvrir un nouveau siège social de 10 000 m² à Castres.

De nombreux élus pro-autoroutes ont également pris la parole dans La Dépêche du Midi, comme le maire d’extrême droite de Lavaur, Bernard Carayon ; le président du conseil départemental du Tarn, Christophe Ramond ; le député macroniste du Tarn, Jean Terlier ; et l’ancien Républicain et maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc. Tous parlent d’un « scandale » et remettent en cause la décision du tribunal administratif de Toulouse en réutilisant les arguments du concessionnaire Atosca — notamment sur le désenclavement de Castres, alors que la justice a pris soin de démonter minutieusement cet argument dans un délibéré clair et sourcé.

Des prises de position « inquiétantes », qui remettent en cause l’État de droit, selon des juristes interrogés par France 3 Occitanie : « Une partie de la classe politique refuse d’accepter le fonctionnement de la justice […] Cela fait partie intégrante du fonctionnement démocratique. S’y opposer est assez inquiétant », réagit Julien Bétaille, spécialiste du droit de l’environnement et du droit public à l’université de Toulouse.

Les pro-autoroutes s’organisent également en ligne, avec une pétition réclamant la reprise des travaux, qui réunit plus de 15 000 signatures. Dans cette lancée, les défenseurs de l’A69 appellent à une manifestation samedi 8 mars à Castres, pour réaffirmer leur soutien au projet autoroutier annulé par la justice.

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Source: https://reporterre.net/Apres-l-annulation-de-l-A69-des-medias-et-des-elus-crient-au-scandale

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