
En Gironde, les incendies de 2022 ont ravagé la monoculture de pins maritimes. Ce bouleversement a permis le retour d’un oiseau patrimonial, le courlis cendré. Sa présence remet en question la gestion forestière du territoire.
Par Nicolas BEUBLET et Timothée BUISSON (photographies).
Belin-Béliet (Gironde), reportage
C’est encore l’aube. Des repousses de fougères s’étirent sur les bords d’une interminable piste blanche. Pour les habitués du massif forestier, le regard porte inhabituellement loin dans ces landes désormais rases, jonchées des troncs calcinés des pins maritimes. Les témoins des incendies de 2022, qui ont ravagé 32 000 hectares du massif.
L’éclaircissement du paysage fait le bonheur du courlis cendré. Un oiseau échassier au long bec, qui vit dans les zones humides et maritimes, parfois jusqu’à 30 ans. Sur le plateau landais, cette espèce patrimoniale s’est raréfiée en même temps que son habitat, draîné et recouvert de pins il y a plus d’un siècle et demi.

Sur les 7 400 hectares de parcelles forestières incendiées autour de Belin-Béliet, dans le sud de la Gironde, le courlis cendré n’avait pas été aperçu depuis plusieurs décennies. L’an dernier, lors d’un suivi sur le retour de la biodiversité post-incendie, une salariée de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Aquitaine a découvert par hasard trois individus de l’espèce. « On ne le cherchait pas forcément, détaille Nicolas Mokuenko, chargé de mission biodiversité à la LPO Aquitaine. Cette année, l’association a recentré ses efforts d’observation sur le courlis dans les zones incendiées. »
Interdiction de chasse
« Il paraît qu’avant, dans la lande, on l’entendait partout. Les Landais faisaient même des omelettes de Pâques avec ses œufs », poursuit le naturaliste, entre deux silences attentifs. Pendant vingt minutes, l’homme de 31 ans tente d’écouter son chant et de l’apercevoir. Sa longue-vue est posée en direction d’une parcelle labourée, bordée de landes humides à molinie, ces plantes typiques des milieux humides et ouverts qui poussent en touffes. Une semaine auparavant, un couple y a été observé en train de se nourrir.

Dans les Landes de Gascogne, la population nicheuse de courlis cendré était estimée avant les incendies à « moins de vingt couples », d’après le naturaliste. Globalement, l’état des populations de l’espèce n’est pas satisfaisant. En août 2024, le ministère de la Transition écologique avait renouvelé la suspension de la chasse du courlis cendré jusqu’au 30 juillet 2025. En France, l’aire de reproduction initiale de l’espèce s’étend de l’Alsace au Gers en passant, entre autres, par le bassin de la Saône, le Val de Loire, l’Aisne, les Ardennes ou encore la Bretagne. Au niveau européen, ses effectifs ont diminué de moitié depuis 1980, d’après la LPO.
Protéger les nids
Le soleil se dévoile derrière les cimes. En attendant un signe des courlis, Nicolas Mokuenko note tout ce qu’il entend : alouettes et hirondelles des champs, pipit farlouse. Bénévole à la LPO depuis ses 13 ans, il connaît près de 300 chants d’oiseaux.

Le naturaliste finit par déclencher une repasse, un chant de l’animal enregistré censé provoquer une réponse de sa part. L’oiseau, très territorial, se fait entendre. Des ondulations difficiles à distinguer du vent. « Ça a répondu, mais c’était timide. Je ne sais pas d’où ça vient », conclut Nicolas Mokuenko.
Localiser le nid est primordial : la LPO doit le protéger à l’aide d’une clôture électrique. Il pourrait être détruit par des travaux agricoles ou subir la prédation des renards. Soudain, un chant plus prononcé. Le naturaliste est à sa longue-vue. « Je le vois ! » Nous l’observons pendant cinq minutes, son long bec à l’affut de nourriture, avant de perdre sa trace dans le ciel.


Les points d’écoute s’enchaînent toute la matinée. À rester immobile au milieu de ces landes humides jonchées de molinie, on imagine les bergers landais sur leurs échasses en bois, outil essentiel dans ces zones autrefois très marécageuses.
Pas de temps mort pour la production de bois
Le courlis cendré s’en accommode parfaitement. Plusieurs dizaines d’hectares d’étendues ouvertes lui suffisent pour s’installer en période de reproduction. Il cache son nid dans les touffes des landes à molinie et trouve les vers, criquets et sauterelles dans les sols nus. « L’arrivée des couples est fin mars et les jeunes s’envolent début juillet vers les zones d’hivernage sur les littoraux », poursuit Nicolas Mokuenko, au volant d’un véhicule tout-terrain sur une piste sableuse. Cette saisonnalité permettrait d’adapter les périodes d’entretien des sols forestiers.
Au quatrième point d’écoute, après une repasse de son chant, un autre courlis cendré se fait entendre. Une première sur ce site. Trois individus ont été contactés cette année, comme l’année passée. Le retour de l’oiseau — et d’autres espèces patrimoniales des landes humides comme la fauvette pitchou, la cisticole des joncs et le pipit rousseline — amène forcément son lot de questions sur la gestion forestière. Nous longeons des parcelles parfois replantées il y a deux ans, directement après les incendies. La forêt doit rester productive, il ne peut y avoir de temps mort.

En l’état, les possibilités de revenir nicher sur ces parcelles vont se réduire année après année. « On va voir comment l’espèce va se comporter avec des replantations, tance Nicolas Mokuenko, peu optimiste, alors qu’il n’a déjà pas de contact avec l’espèce dans de nombreuses parcelles potentiellement favorables. C’est normal qu’on n’en voie pas beaucoup, c’est une espèce fragile. »
En 1949, déjà, de gigantesques incendies avaient permis un retour du courlis cendré, documenté par des naturalistes. Puis, la forêt avait retrouvé sa fonction productive, refermant rapidement les habitats de l’espèce. Dans la région, 92 % de la forêt est privée et appartient à près de 59 000 propriétaires sylviculteurs, d’après la Fibois, l’interprofession de la filière forêt-bois. Économiquement, l’industrie pèse lourd. Près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Retrouver l’écosystème initial des landes
Le Parc naturel régional (PNR) des Landes de Gascogne a engagé avec une dizaine de sylviculteurs une réflexion sur l’évolution des pratiques forestières pour permettre à la biodiversité patrimoniale de se réinstaller sur le plateau. « Ne pas trop draîner les sols, remettre des feuillus en lisière de parcelles, avoir différentes classes d’âges d’arbres dans les parcelles, énumère Nicolas Mokuenko. Il semble même que le courlis pourrait s’accommoder de quelques coupes rases car on le voit se nourrir dans les parcelles de sol nu. Il lui faut juste des landes à molinie humides pour nicher et pas de dégradation sur le nid. »

« On pourrait pérenniser des landes humides, qui ont disparu lors de l’assainissement du plateau landais, avec des zones Natura 2000 ou des réserves naturelles sensibles », présente William Caudron, chargé de mission forêt et biodiversité au PNR des Landes de Gascogne. « Ces espaces seraient même multi-usages, car ouvrir le milieu est également un outil anti-propagation en cas d’incendie », ajoute-t-il.
Bernard Rablade est propriétaire de 90 hectares de parcelles forestières cultivées, dont un tiers ont été décimées par les incendies de 2022. Le feu s’est arrêté à 200 mètres de sa maison. Comme il l’a fait en 1999 et 2009 après les grandes tempêtes Martin et Klaus, il prévoit de reboiser. Sans rien changer.
« Quand on fait une coupe rase, il revient »
« Le courlis a toujours été là, mais en ce moment, on le voit plus que d’habitude. Là, on parle de 30 000 hectares incendiés, ça fait un bel espace ouvert. Mais même quand on fait une coupe rase de trois, quatre ou dix hectares, il revient », assure-t-il. Le sylviculteur se dit prêt à décaler les travaux forestiers en fonction de la période de nidification, mais ne se voit pas préserver des landes humides à molinie.
« Les saisons passent, des espèces arrivent. Dans nos forêts de pins maritimes, la biodiversité est toujours présente. Aujourd’hui il y a des courlis cendrés autour de moi. Dans quinze ans, il y aura de nouvelles espèces », argumente le sylviculteur, à rebours des travaux et des recommandations scientifiques.
« Tous ces milieux ouverts, c’est là où il y a le plus de biodiversité. Les travaux de l’Inrae [Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement] le montrent. Ça apporte aussi de la biodiversité dans la parcelle forestière voisine, donc on a moins d’impact des ravageurs, des insectes, des champignons », détaille William Caudron.
Au niveau du dernier point d’écoute, Nicolas Mokuenko marque un temps d’arrêt. Face au pare-brise de la voiture, les landes rases viennent d’être labourées. « La dernière fois que je suis venu, c’était de la belle lande à molinie, constate-t-il, fataliste. Je vois mal comment on pourrait avoir un courlis ici. »
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Source: https://reporterre.net/Apres-les-incendies-en-Gironde-le-retour-inespere-d-un-oiseau-disparu
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