Après un long retard, le gouvernement ouvre les discussions sur sa stratégie énergie-climat (reporterre-31/10/24)

La concertation publique durera six semaines. – Flickr/ CC BY 2.0/Jeanne Menjoulet

Par Emilie MASSEMIN.

Après des mois de retard, le gouvernement lance le 2 novembre une concertation publique sur sa feuille de route sur l’énergie et climat.

Bientôt la fin du suspense ? La concertation sur les troisièmes éditions de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), deux documents fondamentaux de la stratégie énergie-climat française, sera lancée samedi 2 novembre, a annoncé le gouvernement. Elle durera six semaines.

La présentation finale de la PPE devrait avoir lieu « d’ici la fin du premier trimestre 2025 », a précisé la ministre déléguée à l’Énergie Olga Givernet, le 29 octobre. Soit avec environ un an et demi de retard sur l’échéance prévue par la loi Énergie-Climat de 2019.

  • La PPE et la SNBC, quèsaco ?

La stratégie énergie-climat de la France se décline en plusieurs textes : une loi quinquennale de programmation énergie-climat, une stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui fixe les objectifs de réduction des émissions secteur par secteur, et une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui dessine les trajectoires de consommation et de production d’énergie.

Ces documents de planification doivent lui permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et de s’adapter aux conséquences du changement climatique. Ils sont en principe révisés tous les cinq ans. La dernière PPE, qui couvre la période 2019-2028, a été définitivement adoptée le 21 avril 2020. La nouvelle aurait dû l’être avant juillet 2023.

  • Pourquoi autant de retard ?

« Je suis arrivé au Réseau Action Climat (RAC) en février 2024. Le gouvernement annonçait alors une mise en consultation de la PPE et de la SNBC en mars », sourit au téléphone Bastien Cuq, du RAC.

Le feuilleton a commencé bien avant. Les travaux pour la nouvelle stratégie énergie-climat — loi de programmation quinquennale, PPE et SNBC — avaient été lancés par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) dès octobre 2021. « Mais les gouvernements successifs ont fait des refus d’obstacle en décidant d’éviter des débats qui s’annonçaient houleux au Parlement, et de passer par voie réglementaire et par une consultation publique », rappelle l’expert en énergie du RAC.

Un avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique a bien été esquissé fin 2023, mais il a été peu à peu vidé de sa substance avant d’être finalement abandonné. La consultation, elle, a été reportée à plusieurs reprises dans un contexte de forte instabilité politique, marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier.

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Ce retard n’est pas sans conséquence pour les acteurs de la transition énergétique. « L’absence de ces documents de planification amène un manque de visibilité pour les filières, notamment d’énergies renouvelables. C’est tout à fait préjudiciable à la mobilisation des investissements nécessaires, notamment privés, et à la structuration des écosystèmes industriels », alerte le coordinateur du réseau Cler, Alexis Monteil-Gutel.

En effet, les objectifs inscrits dans la PPE déterminent la taille des appels d’offres pour le déploiement des énergies renouvelables lancés par le gouvernement. « Les appels d’offres de la période précédente vont se terminer en 2026. Cette échéance doit s’anticiper pour préparer les nouveaux, en ajustant éventuellement les critères, les volumes et la répartition sur le territoire », plaide Bastien Cuq. Cette absence est également préjudiciable à la filière nucléaire, puisque la PPE est censée apporter des réponses à l’épineuse question du financement du programme de construction de nouveaux EPR2.

  • Que contiendront ces documents ?

« La publication de la troisième édition de la SNBC doit nous permettre d’atteindre l’objectif de -50 % de nos émissions brutes de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030 », a expliqué la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher le 17 octobre, sans évoquer l’objectif de -55 % d’émissions nettes (incluant les puits de carbone) fixé par l’Union européenne.

Pour ce qui est de la PPE, il est possible d’en déduire le contenu en compilant les différentes annonces et plans qui se succèdent depuis deux ans. « Quand on discute avec les administrations, c’est le discours de Belfort [prononcé le 10 février 2022 par Emmanuel Macron] qui fait foi », rapporte ainsi Bastien Cuq. À cette occasion, le président de la République a entre autres annoncé la construction de 6 nouveaux EPR2 avec une mise en service d’un premier réacteur en 2035, un objectif de 40 gigawatts (GW) d’éolien en mer d’ici 2050, et un doublement de la puissance installée en éolien terrestre entre 2021 et 2050.

Mi-octobre a aussi été dévoilé un plan ambitieux de déploiement de l’éolien en mer, avec un objectif de 18 GW de capacité installée d’ici 2035 (contre 1,5 GW aujourd’hui) et assorti d’un gros appel d’offres de 9,2 GW. En septembre, Olga Givernet a assuré qu’elle ne toucherait pas à l’objectif de déploiement de l’éolien terrestre, de 1,5 GW de puissance installée supplémentaire chaque année — objectif dénoncé comme peu ambitieux et non encore atteint par les acteurs de la filière.

« Il y a urgence »

Enfin, la France a livré en juillet dernier son plan national énergie-climat (Pnec) à la Commission européenne, censé récapituler ses grands objectifs en matière de consommation et de production d’énergie et donc donner une idée du contenu de la PPE. Las, le Pnec entretient le flou sur les objectifs hexagonaux en matière de déploiement des énergies renouvelables via plusieurs tours de passe-passe, comme une mention à des « énergies décarbonées » (et donc incluant le nucléaire) plutôt que « renouvelables ».

La PPE est tout de même attendue avec impatience par les acteurs, qui brûlent d’avoir une vision d’ensemble « gravée noir sur blanc », espère Alexis Monteil-Gutel, qui plaide aussi pour que la question de la précarité énergétique soit examinée de près. Bastien Cuq, lui, attend de la feuille de route énergétique du gouvernement qu’elle donne une trajectoire précise de sortie des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz fossile) et qu’elle précise la déclinaison territoriale des politiques énergétiques nationales.

La Commission nationale du débat public (CNDP) est en charge de l’organisation de la concertation. Dans une note d’intention publiée en mai, les garants ont annoncé qu’une place particulière dans les discussions serait accordée aux leviers pour la sobriété énergétique, à l’équilibre entre la demande en énergie et aux ressources disponibles, ainsi qu’aux enjeux spécifiques à la filière nucléaire — gestion des combustibles et les coûts liés aux déchets et au démantèlement. Les documents soumis à consultation seront disponibles en ligne et des débats devraient être organisés en région.

Reste à savoir si, cette fois, la concertation aboutira aux textes attendus. Et si ces derniers seront à la hauteur des attentes, en pleines discussions parlementaires sur le budget où les moyens accordés à la transition écologique sont rabotés au nom de la chasse au déficit. « C’est sûr qu’entre l’amputation du fonds chaleur et l’abandon du plan vélo, le contexte n’est pas le meilleur. Mais au bout d’un moment, il y a urgence à y aller quand même », estime Bastien Cuq.

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Source:https://reporterre.net/Apres-un-long-retard-le-gouvernement-ouvre-les-discussions-sur-sa-strategie-energie

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