ArcelorMittal : Cédric, Aline, Philippe, Emerson… découvrez les témoignages de ces damnés de l’acier (H.fr-16/05/25)

« Cette année, les ouvriers n’ont touché aucune prime car notre site n’est pas  »rentable ». En revanche, les cadres, qui sont rattachés à l’échelon européen de l’entreprise, ont été récompensés. Comment expliquer cette injustice ? », interroge Philippe Lux, opérateur de ligne sur le site d’ArcelorMittal-Mardyck. © PHOTOPQR/VOIX DU NORD/Johan BEN AZZOUZ

L’annonce de la suppression de plus de 600 emplois, dont la moitié à Dunkerque, a ravivé la colère des salariés d’ArcelorMittal, confrontés depuis des années à la dégradation de leurs conditions de travail. L’Humanité magazine est allée à leur rencontre pour recueillir leurs témoignages face à une multinationale qui privilégie les profits au détriment de l’emploi et de l’avenir industriel du pays.

Par Eugénie BARBEZAT.

L’annonce de la suppression de plus de 600 emplois sur sept sites dans le Nord, dont la moitié à Dunkerque, début avril, a confirmé les appréhensions des salariés d’ArcelorMittal. Depuis des années, ils constatent la déliquescence des installations, la dégradation de leurs conditions de travail et subissent le mépris de la direction. Malgré les 300 millions d’euros d’argent public versés chaque année par l’État, la branche française du groupe, qui enregistre ses profits au Luxembourg pour échapper à l’impôt et arroser ses actionnaires, tergiverse sur son projet d’acier vert. Dans ce contexte, sauf à nationaliser l’entreprise, la fermeture à court terme des derniers hauts-fourneaux de France paraît inéluctable. L’Humanité magazine est allée à la rencontre de ces salariés en colère, qui refusent de voir leur vie brisée par les stratégies financières de la multinationale de l’acier.

« On m’a vendu du rêve, la réalité est tout autre »

Cédric Crèvecœur, Sidérurgiste sur le site d’ArcelorMittal-Mardyck

« Dans la région, sans le vouloir, on fréquente toujours un sidérurgiste », pointe Cédric Crèvecœur, 34 ans, qui exerce ce métier depuis quinze ans chez ArcelorMittal. Il travaille sur la ligne de production à froid où les brames (grands lingots, NDLR) d’acier sorties de l’aciérie de Dunkerque, arrivent sous forme de coils (bobines épaisses) pour être laminées. Les plaques revêtues de zinc sont ensuite destinées à l’industrie.

Certes, son site basé à Mardyck ne fait pas encore les frais du plan de suppression d’emplois annoncé le 23 avril dernier. Mais celui de Dunkerque, voisin, n’est pas épargné. « Et qui dit que ce ne sera pas notre tour bientôt si les hauts-fourneaux ferment et que nous perdons notre principal fournisseur d’acier ? », s’interroge Cédric, qui craint des conséquences en cascade sur toute la région si une telle « catastrophe » devait arriver. Le trentenaire, qui est sur le point de devenir une deuxième fois papa, se pose « évidemment beaucoup de questions sur (son) avenir ».

Un peu amer, Cédric se rappelle s’être battu pour intégrer ArcelorMittal qui, il y a quinze ans, rimait avec sécurité de l’emploi. « C’est un parcours du combattant pour travailler dans ce groupe, affirme Cédric. Tests d’embauche, tests psychotechniques… Ce sont des sites classés Seveso et les travailleurs sélectionnés doivent être d’une très grande rigueur », décrit celui qui se serait bien vu y travailler jusqu’à la retraite. Avant de déchanter : « Quand je suis arrivé, on m’a vendu du rêve : que j’allais bien gagner ma vie, des super conditions de travail… la réalité est tout autre. »

Automatisation ratée, suppression de postes, sécurité en berne… Au fil des années, le représentant CGT des salariés à la commission santé du CSE constate une dégradation exponentielle des conditions de travail aux conséquences délétères : « Beaucoup de collègues démissionnent ne se sentant plus considérés, alors qu’ils sont là depuis longtemps. Cela induit une fuite des compétences, déplore Cédric. Les départs affectent le moral de ceux qui restent, ça démotive. »

« Je comprends à peine que je suis sur la liste des licenciés »

Aline*, Informaticienne sur le site d’ArcelorMittal à Dunkerque

À 52 ans, dont vingt-trois dans l’entreprise, Aline a appris, voilà quinze jours, que son nom était sur la liste des 300 emplois supprimés sur le site d’ArcelorMittal-Dunkerque pour cause de délocalisation des fonctions support du groupe en Inde. « Mais la direction nous explique que notre poste n’est pas supprimé puisqu’il est récupéré par des collègues… indiens ! », s’étouffe l’informaticienne, révoltée par tant d’indécence. « Personne n’est épargné, ajoute-t-elle. Le nom de ma belle-sœur, qui se bat depuis deux ans contre un cancer, est également sur la liste des licenciés. Il n’y a pas de quartier pour les malades ! »

Le mercredi 23 avril dernier, dans l’affolement des annonces, Aline n’a pas compris tout de suite qu’elle était directement impactée. Occupée à mesurer l’ampleur des dégâts et à rassurer ses collègues, la déléguée syndicale CGT s’est d’abord attachée à construire une riposte. « J’ai d’abord pensé aux autres, à comprendre et à me battre. C’est seulement récemment, en discutant avec mon mari que j’ai pris conscience que j’étais concernée et que ma famille allait pâtir de ma perte d’emploi », confie la mère de famille, dont la fille cadette souhaitait effectuer sa dernière année d’étude à l’étranger, afin de se spécialiser. « C’est un coût auquel je dois réfléchir aujourd’hui, soupire Aline. Je n’aurais jamais cru devoir me poser cette question. »

Fille de sidérurgiste – son père a fait toute sa carrière chez Arcelor – Aline s’est très vite syndiquée, juste après avoir obtenu son CDI. Un engagement viscéral, payé de discrimination. « Contrairement à d’autres collègues, on ne m’a pas permis d’évoluer en tant que cadre ou ingénieure », souligne l’informaticienne qui regrette aussi l’absence de formation, « notamment dans les nouvelles technologies » au sein du grand groupe de sidérurgie. « Je ne suis pas du tout adaptée au marché de l’emploi dans mon secteur », remarque-t-elle d’une voix teintée d’inquiétude.

Toutefois, pas question de se résigner. Dans le local syndical, les représentants des salariés s’activent à construire un mouvement social. Aline, chasuble rouge sur le dos, est sur tous les fronts. Elle est également conseillère prud’homale, et, depuis fin avril, les appels pleuvent : « J’ai de plus en plus de collègues qui me contactent car ils viennent d’apprendre par leur supérieur qu’ils sont sur la liste des licenciements… » À 52 ans, elle relativise sa situation. « Je pense surtout aux jeunes qui commencent dans la vie : certains viennent de contracter des crédits sur vingt-cinq ans. Ça me touche, car je ne sais pas comment j’aurais fait dans la même situation il y a vingt ans. »

Aujourd’hui, le seul espoir d’Aline réside dans la cohésion des salariés : « Un combat syndical n’est pas individuel, mais collectif, c’est primordial », assure-t-elle. Et de conclure, tête haute : « Les salariés doivent être respectés, c’est mon combat depuis toujours, d’autant plus aujourd’hui. »

« J’ai l’impression de revivre ce que ma famille a subi à Florange »

Philippe Lux, Opérateur de ligne sur le site d’ArcelorMittal-Mardyck

Lorrain d’origine, l’homme de 48 ans a déménagé dans le Nord à l’adolescence pour suivre son père qui venait y travailler après la fermeture des mines. Entré comme apprenti sur le site Arcelor de Mardyck en septembre 1995, il est resté intérimaire jusqu’en 2005, date de son embauche. « J’ai très vite adhéré à la CGT, ça a mis un sacré coup de frein à ma carrière », précise-t-il d’emblée.

Toujours « posté » – en horaires décalés alternant sur la semaine, matins, après-midis et nuits –, il a occupé différentes fonctions dans l’usine. « J’ai d’abord été affecté à la récupération et au traitement des effluents qui émanent de l’usine, comme les eaux usées qui passent par des décanteurs avant de rejoindre le canal, ou les acides qui sont reconcentrés par des procédés complexes d’évaporation et réutilisés », décrit avec passion et fierté Philippe, devenu ensuite opérateur sur la ligne d’électro-zingage de 2003 à 2012, avant de passer sur celle de galvanisation. « On reçoit des bobines à leur sortie du four de dégraissage, soit à peu près à 800 °C et on les plonge dans un bain de zinc liquide. À l’issue d’un processus de séchage et de recuisson, on sort différentes qualités d’acier galvanisé destiné au bâtiment ou à l’automobile. Nos produits sont parfois exportés du port de Dunkerque jusqu’aux usines Toyota à l’autre bout de monde », décrit l’ouvrier. Avant de lâcher : « Moi, je suis au bout de ma carrière mais ça me fait mal au cœur pour les jeunes. On va les former à des métiers techniques et intéressants, avant de les laisser sur le carreau. »

Même si son poste, sur la partie transformation de l’acier n’est pas directement menacé, Philippe s’inquiète car il pressent l’arrêt prochain des hauts fourneaux. Pour le militant CGT, le sous-investissement chronique sur les sites de Dunkerque et Mardyck, qui contraint les usines à fonctionner « en mode dégradé » depuis plusieurs années, est de mauvais augure. Tout comme la démission, en février, du directeur général d’ArcelorMittal France, Matthieu Jehl. « J’imagine qu’il avait connaissance de la stratégie de délocalisation de Mittal et de l’abandon de toute velléité de faire de l’acier vert à Dunkerque malgré l’argent public empoché pour la décarbonation. Alors il a quitté le navire », soupire le syndicaliste qui redoute de « vivre la même chose que sa famille à Florange ».

Aujourd’hui, c’est la colère qui l’emporte face au mépris des dirigeants. « Cette année, les ouvriers n’ont touché aucune prime car notre site n’est pas ”rentable”. En revanche, les cadres, qui sont rattachés à l’échelon européen de l’entreprise, ont été récompensés. Comment expliquer cette injustice ? En CSE, alors même que la CGT représente plus de 66 % des salariés, on n’a jamais de réponse à nos questions, ni d’information sur notre avenir. La situation est inflammable ! », prévient Philippe, toujours combatif même s’il a déconseillé à ses enfants de 26 et 22 ans de postuler chez ArcelorMittal car « ce n’est pas un avenir pour eux ».

« On craint la fermeture des hauts fourneaux »

Emerson Haegman, Fondeur puis technicien de maintenance aux hauts fourneaux d’ArcelorMittal-Dunkerque

Lors de la manifestation du 1er Mai, la pancarte, tenue à bout de bras par sa fille de 8 ans, a fait mouche. « Je marche pour que mon papa garde son travail », pouvait-on y lire. « C’était son idée », précise Emerson Haegman en faisant défiler sur son portable les nombreux articles de presse qui ont relayé ce message teinté d’inquiétude. Il fait écho à l’annonce quelques jours plus tôt de la suppression de 636 emplois en 2025 par ArcelorMittal, qui veut délocaliser ses fonctions support d’Europe en Inde. Mais Emerson craint que toute la production d’acier ne soit délocalisée, pour ne garder, au mieux que la métallurgie sur place.

À 44 ans, ce Calaisien embauché en 2006 comme fondeur voit son emploi menacé. « J’ai passé 12 années sur les trois hauts-fourneaux du site, au plus près de la matière incandescente », explique celui qui a été ensuite affecté à la surveillance des installations. « J’étais chargé de repérer les points de défaillance, de les signaler puis de planifier les réparations. Et quand des arrêts étaient nécessaires, nous effectuions les dégazages pour sécuriser les interventions. » Si Emerson parle au passé, c’est que la direction « a eu la brillante idée de supprimer les postes de surveillants pour les fondre avec la maintenance. Du coup, moins de détections en amont : c’est comme si on attendait la panne ou l’accident pour réagir ! », s’agace ce père de quatre enfants qui, après quinze ans en horaires décalés a pu passer « de jour » depuis un an « pour suivre d’un peu plus près la scolarité des petits ».

Désormais affecté à la maintenance, il est bien placé pour savoir que seuls les travaux « vitaux » sont effectués. Et encore, pas toujours. Le plus gros des trois hauts-fourneaux est à l’arrêt depuis bientôt un an après un incendie. Si la direction décide de ne pas le redémarrer, cela signera la fin du « chaud » à Dunkerque. Et la perte de 1 500 emplois. « Les camarades s’inquiètent. Certains préparent leur CV, mais les compétences spécifiques des fondeurs ne sont pas transférables. Ils repartent de zéro sur le marché du travail ».

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/arcelor/arcelormittal-cedric-aline-philippe-emerson-decouvrez-les-temoignages-de-ces-damnes-de-lacier

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/arcelormittal-cedric-aline-philippe-emerson-decouvrez-les-temoignages-de-ces-damnes-de-lacier-h-fr-16-05-25/

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