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Les autorités bancaires orientent les usagers français, avec ou sans leur consentement, vers des moyens de paiement de plus en plus numériques, pour limiter leurs coûts et la fraude. Ainsi, les chéquiers pourraient disparaître dès 2027.
Par Pierric MARISSAL.
Comme un mantra, on nous répète que les usages évoluent, que plus personne n’utilise les chèques, que les espèces feront bientôt partie du passé. Mais les pratiques ne bougent pas si naturellement. Le chéquier est de moins en moins accepté, y compris dans l’administration publique et les distributeurs de monnaie se raréfient en ville, quand les paiements sans contact ou mobile sont toujours plus facilités.
Le chèque poussé vers la sortie
De moins en moins utilisé, le carnet de chèques pourrait vivre ses derniers mois. Début août, la direction générale des finances publiques a annoncé qu’elle envisageait de ne plus l’accepter pour payer les amendes ni les impôts. Désormais, 4,5 % seulement des versements au Trésor se font par chèque, pour environ 1 % des montants concernés.
Le projet semble plutôt avancé, puisque selon la CGT finances la fermeture du dernier centre d’encaissement de chèques des finances publiques de France, basé à Rennes (Ille-et-Vilaine), a été annoncée à l’horizon de septembre 2027. Bercy avait dès 2019 limité le paiement de ses impôts et amendes par chèque à 300 euros, avec majoration de 0,2 % au-delà.
Il y a vingt-cinq ans, le chèque représentait 37 % de l’ensemble des transactions en France, il n’atteignait que 2,4 % des transactions au premier semestre 2024, selon l’observatoire de la sécurité des moyens de paiement de la Banque de France. Mais ces chiffres masquent des disparités, assure la CGT : « Au SIP (service des impôts – NDLR) de Forbach, 60 % à 80 % des contribuables paient en chèque, les paiements des Ehpad sont majoritairement effectués par ce moyen de paiement. »
L’argument de Bercy est le coût comme l’aspect fraudogène (susceptible d’être fraudé) du chèque, qui représente 25 % du montant total des fraudes. « Pourtant, loin d’être un simple ”coût administratif”, le chèque reste un outil essentiel pour protéger les plus vulnérables, garantir la liberté de choix et préserver un service public pleinement accessible à toute la population », alerte Solidaires finances publiques.
« Pouvoir payer ses impôts par tout moyen de paiement y compris les chèques et les espèces renforce le consentement à l’impôt, contrairement au prélèvement, qui invisibilise cette démarche », ajoute la CGT finances.
Un front des banques centrales et privées contre les espèces
Depuis que le nombre de transactions en carte bancaire a dépassé celui des espèces, la fin du cash est régulièrement prophétisée. Sauf qu’un baromètre Ifop rappelait en 2024 que 80 % des Français interrogés se disaient « très attachés aux espèces ». Un moyen de paiement jugé simple, anonyme, immédiat…
Qu’importe, les restrictions sont de plus en plus nombreuses et cet été Gérald Darmanin a même suggéré la suppression complète de l’argent liquide comme solution pour éradiquer les trafics et le blanchiment. En France, le paiement en espèces est déjà limité à 1 000 euros.Et si les mouvements sur un compte bancaire dépassent cette somme en liquide en une fois, ou 2 000 euros cumulés par client sur un mois calendaire, les banques sont tenues d’informer le service de renseignement financier Tracfin.
Pour harmoniser ces restrictions au niveau communautaire, un projet de Règlement européen veut en limiter l’usage et imposer de nouveaux plafonds de paiement à l’horizon 2027. Les transactions en espèces ne pourront plus dépasser le seuil de 10 000 euros partout dans l’Union. Il s’agit notamment d’empêcher de blanchir de l’argent en achetant des voitures haut de gamme, œuvres d’art et objets de grande valeur dans les pays voisins.
Ce projet de réglementation viendra aussi sérieusement encadrer l’usage du liquide dans les transactions immobilières. Les banques centrales n’aime pas non plus les pièces de monnaie, souvent plus chères à fabriquer que leur valeur faciale.
La résistance ne viendra pas non plus des banques privées, occupées à réduire le nombre de distributeurs automatiques dans les grandes villes, à un rythme d’environ 2 000 par an. Quatre d’entre elles (la Société générale, BNP Paribas, le Crédit mutuel Alliance fédérale et le CIC) se sont rassemblés au sein du programme Cash Services pour fusionner leurs distributeurs d’ici à 2026, ce qui leur permettrait de diviser le nombre par deux.
Toujours plus de dématérialisation et de traçage
Lorsqu’elle a présenté l’euro numérique, la BCE a assuré qu’il n’avait pas pour but de remplacer les espèces. Mais le calendrier fait qu’il devrait arriver aussi en 2027, au moment où de nouvelles contraintes seront imposées sur le cash. D’ailleurs, l’usage des deux monnaies est proche : une transaction instantanée, sans coût…
L’e-euro est aussi conçu pour pouvoir payer sans connexion Internet, de téléphone à téléphone via le Bluetooth ou avec une carte dédiée, pour être utilisable dans la majorité des situations de proximité du quotidien. Avec un peu de mauvais esprit, on peut même arguer que tout un pan de la criminalité organisée a déjà remplacé les espèces par les cryptomonnaies pour blanchir son argent sale.
Mais un euro numérique n’aura rien à voir avec un bitcoin. Déjà sa valeur est stable : 1 euro numérique vaudra toujours la même chose que la pièce, les deux étant émis par la BCE.
Les citoyens n’auront pas de comptes auprès de la BCE : l’euro numérique serait distribué via les banques. Pour les personnes sans compte bancaire (personnes âgées, sans-abri, etc.), elles auront la possibilité d’alimenter une carte avec de l’argent liquide, mais toujours via un intermédiaire (par exemple : la poste). Bref, tout le potentiel d’inclusion financière, en se créant un compte directement auprès de la BCE, de proposer un service bancaire public et gratuit semble écarté. La BCE précise que “pour les personnes sans compte bancaire (personnes âgées, sans-abri, etc.), elles auront la possibilité d’alimenter une carte avec de l’argent liquide, mais toujours via un intermédiaire (par exemple : la poste).”
Cela aurait pourtant constitué une véritable alternative aux dollars numériques privés poussés par l’administration Trump. Mais les banques ont bien vu la menace et ont poussé les autorités européennes à plutôt mettre en avant leurs produits : repousser le maximum de paiement en sans contact, payer sans limites avec sa carte bancaire sur smartphone…
L’autre enjeu réside dans l’absence potentielle d’anonymat dans les échanges en ligne. La Cnil est consciente du problème et alerte sur un risque de « traçage généralisé des transactions ». Selon la BCE en revanche, les paiements hors ligne en euro numérique reposerait sur la technologie Near Field Communication (NFC) et un composant sécurisé des appareils mobiles, ou sur une carte NFC dédiée, selon ce que définira la législation, et qui garantirait la confidentialité des échanges.
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