
Oubliées de la prime de spécificité du gouvernement, les aides-soignantes en réanimation ont fini par obtenir gain de cause, le 2 novembre. Une victoire pour les battantes du CHRU de Brest qui n’ont jamais lâché le morceau, parfois toutes seules.
Elles s’appellent Caro, Cat, Régine, Charlotte. Dans leur petite salle de pause qui touche les chambres aux lits surarmés de la réa médicale, elles ont inscrit sur le tableau blanc : « Brest, capitale de la France », avec un soleil à côté. Tout commence par un haut-le-cœur, des larmes, un dégoût, il y a moins d’un an. « J’étais devant ma télé et j’ai vu Castex sortir de je ne sais plus quelle réa. Il promettait une prime de 118 € bruts aux infirmières, rembobine Caro. Il parlait d’une prime de spécificité ». Elle se souvient en avoir pleuré d’avoir encore été oubliée. Parce que celles qui avaient écopé les vagues, celles que l’on avait applaudies aux balcons, celles qui se sont pliées aux emplois du temps de guerre, celles qui n’étaient pas assez, soudain « n’existaient plus ». Ces aides-soignantes en réa, portées au pinacle et sur le front hier, avaient disparu du tableau d’honneur.
Un combat hors limite
C’était le 10 janvier 2022, dans le hall du CHRU et Caro parle, la voie étranglée de sanglots, encore enragée et meurtrie. Elle montre le moment capturé par son téléphone : dans un petit micro, elle crie à l’injustice profonde et au mépris. Comment récompenser les gradés, en laissant les soldats sur le talus ? « Nous ne voulions pas dire que les infirmières et les cadres de santé ne méritaient pas cette prime, c’est pas ça », corrige Charlotte. « Nous avons reçu le soutien de tout le service. Ici, c’est comme une famille ».
Dans les couloirs, Cécile, une infirmière du service de réa médicale, abonde. « Quand l’annonce a été faite, nous avons toutes été très étonnées. On travaille toujours en binôme avec elles. On rentre ensemble, on fait tout ensemble ». Alors « on les a soutenues » bien sûr, mais pour les opiniâtres aides-soignantes de la réa du CHRU de la Cavale-Blanche, il fallait aller plus loin. Hors syndicat, hors politique, hors tout. Mener la guérilla pour restaurer leur portefeuille (un peu) et leur reconnaissance (beaucoup). Dans un sourire vainqueur, Cat murmure que « de toute façon, nous n’avions rien à perdre et c’est ça qui était bien ».
« Vous ne rentrerez pas »
Caro, sourire contagieux, ne se lasse pas de raconter cette année passée par les petits chez les gros. Bien sûr, elles se doutent bien que la rédaction d’un nouveau décret incluant les aides-soignantes à la liste des récipiendaires de primes suit des dédales de pouvoir qui leur échappent. Mais enfin, « il est évident que si on avait fermé notre gueule, il ne se serait rien passé ». Elles, les Brestoises, noyau dur d’une fronde comptée à 30 le 6 octobre dernier à Paris dont 25 d’ici-même. « Il y avait plus de CRS que de manifestantes. On nous a tellement dit que l’on rêvait ». N’empêche.
À force de jouer les mouches du coche, avec une constance qui frôle le harcèlement, les passionarias de la réa brestoise ont poussé les portes de l’ARS à Rennes, « là où les syndicats nous disaient que l’on ne rentrerait pas » et les battantes du ministère de la Santé. Deux fois.
« Moi, j’ai honte »
« Je suis venue vous voir parce qu’il n’y a plus d’aide-soignantes et que vous ne nous mettez jamais en valeur. Moi, je peux vous souffler des idées pour garder votre personnel ». Voilà ce que Caro, la première fois, et Régine, la deuxième, ont dit aux huiles ministérielles. « Un conseiller m’a regardé et m’a dit : « Vous débarquez avec votre cœur, et moi, j’ai honte » », affirme Caro. Pour autant, l’espoir n’a jamais fleuri en bouquet, même si le député Didier Le Gac a porté la parole des oubliées de l’Ouest aux oreilles de François Braun, le nouveau ministre. Pour autant, la reconnaissance et l’éligibilité des aides-soignantes à cette prime de spécificité étaient loin d’être gagnées avant ce mercredi 2 novembre 2022 où leurs revendications ont été entendues. « Moi, j’ai pleuré. J’ai pleuré toute la soirée », dit Caro. Comme l’on guérit d’une profonde blessure d’estime, comme l’on vainc la mortalité du mépris. Après, finalement, qu’importent la réciprocité et les sinuosités juridiques pour la mise en place de la prime, l’important est ailleurs.
Le sourire de la confiance retrouvée
Assises dans la petite salle de pause qui touche ces chambres de lutte entre la vie et la mort, ces chambres multipliées sous le sale règne de la covid-19, ces femmes n’ont pas gagné qu’une prime. Caro dit avoir été approchée par Didier Le Gac pour l’aider à travailler sur la nécessaire formation supplémentaire des aides-soignantes en réa.
Dans le couloir, le docteur Gwénaël Prat salue « ce combat pour un salaire de misère » de celles (majoritairement, très majoritairement) qui « accompagnent les familles et les patients dans des moments importants de vie ». Le sourire des aides-soignantes est resté intact. Il a juste gagné un peu d’assurance.
Auteur : Steven Le Roy