Au cœur d’un été étouffant, le RN instrumentalise la crise climatique (Reporterre-6/09/25)

Une femme marche sur une route à travers un terrain ravagé par les incendies de forêt près du village de Fontjoncouse, dans l’Aude, le 18 août 2025. – © Lionel Bonaventure / AFP

Incendies, canicules… L’été 2025 a été un bon poste d’observation de la stratégie du Rassemblement national face à la crise climatique. Fini le climatoscepticisme grotesque, place à l’instrumentalisation.

Par Emmanuel CLEVENOT & Laure NOUALHAT.

« Il y a un bouleversement climatique, personne ne peut le nier. » Quiconque s’amuserait à deviner l’auteur de cette citation risquerait d’y passer la nuit, sans y parvenir. Autant lui épargner ce mal : la réponse est… Philippe Ballard. Le 1er juillet, ce député du Rassemblement national (RN) se lamentait sur le sort des écoliers confinés dans des classes en ébullition. Les pensées climatosceptiques des élus d’extrême droite avaient-elles fondu sous les températures suffocantes de la canicule de juin ? Pas tout à fait.

Les petits soldats de Marine Le Pen ont seulement changé de stratégie. Terminé le « rien ne prouve l’effet de serre du CO2 » qu’osait encore prononcer un député du Territoire de Belfort en 2019. Ces sorties de route ont perdu toute crédibilité tant les répercussions de la crise climatique sont devenues impossibles à ignorer. L’été 2025, troisième plus chaud jamais enregistré en France, a été le théâtre d’incendies et de canicules historiques.

Dès lors, plus question pour le RN de nier l’indéniable. Place, en revanche, à la démagogie : « Chaque hectare de terre brûlée, chaque maison ravagée par les flammes devient pour eux du pain bénit, analyse le politologue Stéphane François, professeur de sciences politiques à l’université de Mons, en Belgique. Leur seul objectif est de pointer l’incapacité d’Emmanuel Macron à résoudre la crise climatique. Une stratégie identique à celle utilisée du temps de Jean-Marie Le Pen. »

À fond la clim’

Les hostilités ont débuté dès le mois de juin. Au cœur de l’épisode caniculaire — durant lequel au moins 480 morts « en excès » ont été recensés —, Marine Le Pen s’est fait le chantre du technosolutionnisme : « Il est grand temps que la France déploie un grand plan d’équipement pour la climatisation », soupirait-elle sur le réseau social X, le 30 juin. Une mesure qu’elle promet d’instaurer « dès son arrivée au pouvoir ».

Seulement, promettre des climatiseurs à tout le monde est comme éteindre un feu avec de l’essence, tel que le martèle la science. « Aucune étude scientifique ne montre que la climatisation est nocive pour l’écologie », affirmait pourtant le porte-parole du RN, Yoann Gillet, le 14 août sur Franceinfo. Faux. En 2022, des chercheurs étasuniens ont évalué que près de 4 % des émissions de gaz à effet de serre sont dus à la climatisation.

« La démagogie prime »

Évoquant une « écologie de bon sens », l’élu du Gard enchérissait pour autant : « Comment est-ce que l’on conçoit aujourd’hui, en 2025, de construire des écoles, des Ehpad sans climatisation, alors que l’on sait pertinemment que l’on aura besoin de refroidir l’air à l’intérieur pour pouvoir protéger les personnes les plus vulnérables ? » Là encore… raté. « Merci, ça fait depuis 2004 que c’est obligatoire [dans les maisons de retraite médicalisées] », claquait en réponse la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, moquant ces « incompétents [venant] de découvrir la Lune ».

« Cette proposition est un pansement sur une jambe de bois, analyse le politologue Stéphane François. Encore une fois, la démagogie prime. Le RN promet à ses électeurs de leur offrir leur vie d’avant, avec des véhicules diesel et plus d’éoliennes salissant le paysage. Et sinon ? Rien. Questionnez Jordan Bardella [le président du RN] sur la crise climatique et vous obtiendrez des réponses plus floues les unes que les autres. »

« Escroquerie en bande organisée »

Politiquement, cette opération miracle — sitôt annoncée, sitôt oubliée — est rentable. La clim’ étant un objet tangible, son déploiement massif serait visible et résonnerait grandement chez les publics touchés de plein fouet par les températures suffocantes, les classes populaires urbaines et les personnes âgées en premier lieu. La patronne lepéniste neutralise ainsi toute attaque d’absence de programme écologique, et se déleste par là même des investissements à horizon lointain — comme la simple baisse des émissions de dioxyde de carbone et l’isolation des bâtiments —, passant plus inaperçus.

Ici s’illustre toute l’hypocrisie des parlementaires du Rassemblement national. Main dans la main avec Les Républicains, Marine Le Pen et ses alliés défont les politiques climatiques françaises. Zone à faibles émissions (ZFE), zéro artificialisation nette (ZAN), MaPrimRénov’… Au lieu d’améliorer ces programmes, certes bourrés de lacunes, l’extrême droite cherche tout bonnement à les effacer.

Le 19 juin, le député de l’Aude Frédéric Falcon scandait ainsi dans l’hémicycle : « S’il existe un scandale en macronie, c’est bien la politique de rénovation énergétique. » Il qualifiait en outre celle-ci d’« escroquerie en bande organisée », menée « avec la bénédiction des écologistes, devenus les parfaits idiots utiles de ce hold-up ». Résultat ? Le jour même où un consortium international de scientifiques affirmait que l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C est désormais inatteignable, le RN optait pour reporter le calendrier d’interdiction des locations de passoires thermiques.

Un mois plus tôt, le 28 mai, ces mêmes députés se réjouissaient d’avoir « [vidé] complètement de sa substance » l’objectif consistant à limiter toute extension de l’artificialisation d’ici 2050. Philippe Ballard, élu si soucieux du bien-être des enfants, savait-il seulement ce jour-là que 6 °C d’écart peuvent être observés entre une cour d’école bitumée et une autre végétalisée ?

Visiblement à l’aise avec ces contradictions, le parti est allé jusqu’à se proclamer « comme la seule force politique porteuse d’une vision claire et d’un projet ambitieux pour que la France respecte le traité de Paris tout en retrouvant sa souveraineté énergétique ».

Investir ou économiser : le RN fait la girouette

Autre chapitre phare de l’été : les feux de forêt dévastateurs ayant englouti plus de 17 000 hectares de garrigue et de pinèdes, dans l’Aude. Au lendemain de la première étincelle, les cadres du RN ont dégainé la lance à incendies. Marine Le Pen a déploré un « drame pour toute la nation », tandis que son dauphin, Jordan Bardella, a flatté la corporation des « soldats du feu » : « Soutien total aux centaines de pompiers et secours mobilisés. »

Températures extrêmes, sécheresse interminable, forêts fragilisées… Toutes les conditions étaient réunies pour ce scénario du pire. Pas question toutefois pour le RN de s’aventurer dans ce débat-là. Le parti de Marine Le Pen avait une autre cible en tête : le gouvernement. Une longue liste de griefs a dès lors été adressée à l’exécutif. À commencer par les promesses non tenues d’Emmanuel Macron.

En 2022, dans le sillage des mégafeux girondins, le président de la République promettait l’achat de seize Canadair à horizon 2027. État des lieux trois ans plus tard ? Seuls deux bombardiers d’eau ont été commandés, pour une livraison estimée à 2028. Du pain bénit pour les lepénistes, qui ont sauté sur l’opportunité en comparant l’enveloppe accordée au département meurtri à celle allouée à l’assainissement de la Seine pour les Jeux olympiques de Paris.

Ceux-ci omettent toutefois de préciser qu’à l’époque où l’ex-Premier ministre Gabriel Attal a décidé de lever le pied sur les dépenses, le Rassemblement national plaidait aussi pour l’austérité budgétaire. Pire ! Il appelait au démantèlement de l’Office français de la biodiversité (OFB), veillant notamment au respect des arrêtés préfectoraux contre les feux de forêt et aux obligations de débroussaillement. Et tant pis pour la cohérence.

La faute aux « écologistes intégristes »

Seconde polémique autour des incendies : les vignes. « Mesdames et messieurs les écologistes intégristes, elle est où maintenant la biodiversité ? » interrogeait Christophe Barthès, le 15 août. Accolé au message du député RN de l’Aude, posté sur X, figurait l’image d’un nid d’oiseau dans un sarment de vigne ayant résisté aux flammes. En ligne de mire de cette interpellation : la politique d’arrachage de vignes, orchestrée par la politique productiviste de l’État.

Débutée fin 2024, cette opération consistait à dédommager les viticulteurs désireux d’abattre certaines de leurs plantations les moins rentables. Dans l’Aude, 5 000 hectares de vignes ont ainsi été arrachés. Elles sont pourtant « le meilleur Canadair du monde », fustigeait Sébastien Chenu, député RN du Nord, à l’heure où le département s’embrasait. Et d’ajouter : « Encore une fois, ce gouvernement d’incapables a refusé d’écouter le Rassemblement national. »

La « supercherie » du RN

Si la capacité coupe-feu des vignobles tend à lui donner raison, l’élu oublie toutefois un détail non négligeable. Dans la plaine du Roussillon, l’arrachage de vignes frise le sport local, tant il est plébiscité par la filière elle-même. La consommation de vin en berne, et surtout la dégringolade des rendements — engendrée par d’interminables sécheresses — ne laissent d’autres options aux viticulteurs : « S’il ne pleut pas, dans deux ans, je suis mort ! Je ne pourrai pas me relever », confiait ainsi en février à l’AFP Nicolas Castan, contraint d’arracher des ceps plantés par ses aïeux devant le déficit pluviométrique.

Là encore, Marine Le Pen et les siens s’engouffrent dans chaque brèche et multiplient les faux procès. Par contre, hors de question pour eux d’évoquer l’éléphant au milieu de la pièce : la crise climatique.

Pour l’heure, cette stratégie semble prendre électoralement parlant. Elle risque en revanche de s’effriter à plus long terme, lorsque la répétition des catastrophes météorologiques dévoilera au grand jour l’incurie du parti pour des solutions structurelles. « Seulement, ce sera trop tard, déplore Stéphane François, spécialiste des droites radicales. Le RN est aux portes du pouvoir. Le temps que les électeurs comprennent la supercherie, nous n’aurons plus qu’à observer les dégâts a posteriori, comme les Américains subissent aujourd’hui Donald Trump. »

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Source: https://reporterre.net/Au-coeur-d-un-ete-etouffant-le-RN-instrumentalise-la-crise-climatique

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