
© Matthieu Delaty pour l’Humanité
Malgré la censure du gouvernement, qui suspend les dispositions du budget 2025, les agents de la fonction publique étaient près de 200 000 personnes dans les rues en France, selon la CGT. Une mobilisation qui sonne comme un avertissement à Emmanuel Macron.
Par Hayet KECHIT .
C’était la grande inconnue. La chute du gouvernement Barnier allait-elle démobiliser les agents publics en ce jour de grèves et de manifestations dans toute la France ? La densité et la longueur du cortège parisien, qui a défilé ce 5 décembre sous un ciel pluvieux, du boulevard de Bercy jusqu’à la place d’Italie, montrent que les braises sont encore incandescentes.
Selon Natacha Pommet, secrétaire générale de la fédération CGT des services publics, les premiers chiffres révèlent des taux de grève jusqu’à trois fois supérieurs au niveau de la mobilisation du 19 mars et équivalents aux grandes journées de mobilisation de 2019 contre la réforme de la transformation publique. À l’échelle nationale, près de 200 000 personnes seraient descendues dans la rue, selon la CGT.
Si le spectre des trois jours de carence, d’une année de gel du point d’indice, de la perte de la Gipa (garantie individuelle de pouvoir d’achat) – autant d’attaques qui ont joué un rôle de détonateur dans l’appel lancé par un front syndical quasi unanime (CGT, CFDT, Unsa, FSU, CFE-CGC, Solidaires et FA-FP, à l’exception de FO) – s’est éloigné, l’inquiétude, mais aussi la combativité dominent dans les paroles des manifestants interrogés.
« C’est certes un soulagement, mais très mitigé, car on a bien peur que ce ne soit que partie remise », explique Frédéric, représentant de Force ouvrière (FO) à la Ville de Paris, présent dans le cortège, même si son syndicat appelle à se mobiliser du 10 au 12 décembre.
Les mesures risquent de revenir par la fenêtre
Même état d’esprit chez Olivier, agent territorial dans le secteur du bâtiment, dans le Val-d’Oise, et militant CFDT. « Rien n’a changé dans nos mots d’ordre car ces mesures risquent de revenir par la fenêtre. On est là pour maintenir la pression et dire au président de la République que si Barnier est tombé, nous, on ne laisse pas tomber. S’ils veulent qu’on s’aligne sur le privé pour les jours de carence, alors qu’ils nous accordent les mêmes salaires ! »
La censure du gouvernement Barnier, la veille au soir, a pourtant donné une tonalité particulière à cette mobilisation nationale. Pour nombre d’agents, elle a désormais valeur d’avertissement directement envoyé au président de la République.
« On s’adresse aujourd’hui à Emmanuel Macron. Pour qu’un gouvernement puisse gouverner dans la durée, il faut qu’il réponde aux exigences sociales et démocratiques exprimées par les fonctionnaires pour une véritable défense des services publics avec un budget à la hauteur de ces exigences », prévient Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qui a réitéré les mots d’ordre de son syndicat : « Stop à la stigmatisation des fonctionnaires, stop à la saignée de la fonction publique ! »
Son homologue de la CFDT, Marylise Léon, pour qui « les jours de carence, c’est la mesure emblématique qui coche toutes les cases de l’injustice », estime également que, « si on reste sur les vieilles recettes du néolibéralisme, on ne répondra pas à la crise de la fonction publique ». La représentante syndicale a par ailleurs décliné les conditions « pour un bon signal politique » de la part d’un futur gouvernement : « Qu’on ne regarde plus la fonction publique uniquement sous le prisme budgétaire », mais aussi la désignation d’un « ministre ouvert au dialogue social, et qui sache de quoi il parle ».
Une description qui paraît être l’antithèse du désormais ex-ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, une « erreur de casting », selon Sophie Binet, révélatrice du « mépris de la Macronie pour l’intérêt général ». Un ministre qui, estime-t-elle, a mis « à nu le logiciel du néolibéralisme dont l’objectif est de mettre l’État au service d’intérêts privés ».
La colère à l’égard de la politique menée par Emmanuel Macron contre la fonction publique est très vive, particulièrement dans les cortèges très denses des syndicats d’enseignants. « Nous sommes face à un président qui méprise le peuple et assume le fait de gouverner sans le peuple », affirme Audrey, enseignante en lettres au lycée Darius-Milhaud, dans le Val-de-Marne, et militante au Snes-FSU, particulièrement échaudée par le passage en force de la réforme des retraites, malgré le refus populaire massif qui s’est exprimé dans la rue.
Si Pierre Sabourin, délégué départemental au Snes, reste « convaincu de la possibilité de voir arriver un gouvernement qui changera de paradigme sur la fonction publique », pour d’autres manifestants, l’espoir politique d’un changement à court terme reste improbable. Ils misent avant tout sur le rapport de force. À l’instar de Caroline Gloria, infirmière dans un hôpital psychiatrique à Paris et militante CGT, pour qui « le seul espoir est de voir les gens créer du collectif, prendre la rue, et organiser une résistance ».
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