Bétharram : ce qu’il faut retenir des 50 propositions de la commission d’enquête (H.fr-2/07/25)

Les co-rapporteurs de la commission d’enquête parlementaire sur les violences et agressions sexuelles en milieu scolaire Paul Vannier, député de La France Insoumise (LFI) et Violette Spillebout, députée d’Ensemble Pour la République (EPR).
Gaizka IROZ / AFP

Plus de quatre mois de travaux de la commission d’enquête parlementaire et un rapport, rendu public mercredi 2 juillet, qui en résume la teneur et formule 50 recommandations pour en finir avec les violences sur les élèves. Avec l’engagement de poursuivre jusqu’à leur traduction dans la loi.

Par Olivier CHARTRAIN.

Il a le sentiment de « vivre une révolution en direct ». Pour Alain Esquerre, le fondateur du premier collectif des victimes de Notre-Dame de Bétharram, la publication, mercredi 2 juillet, du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la « prévention des violences dans les établissements scolaires » et leur « contrôle par l’État », c’est « l’aboutissement de vingt mois de travail pour moi et un monde nouveau qui s’ouvre à nous ».

Cinquante-six heures d’auditions, 135 personnes entendues, des déplacements, des recherches d’archives… Les 300 pages du rapport rendent justice à cet intense travail collectif. Il se lit comme un récit, une plongée impressionnante, détaillée et courageuse au cœur de ce qu’on ne voulait pas voir jusqu’à présent : un système – une culture même – de la violence et de la domination exercées sur les enfants.

Il constitue aussi un témoin de la libération de la parole des victimes, et un jalon : « Beaucoup d’entre nous se disent : “Enfin, on nous reconnaît !” », souligne Alexandre Falinski, du collectif des victimes de Riaumont. Surtout, en alignant 50 recommandations, le rapport formule la promesse que la France se donne enfin les moyens d’en finir avec cette abomination.

Se libérer d’une certaine conception de l’éducation

Les corapporteurs, Violette Spillebout (EPR) et Paul Vannier (LFI) mettent au grand jour une certaine conception de l’éducation, qui part de la « gifle éducative » – encore revendiquée par le premier ministre, François Bayrou, lors de son audition par la commission – pour aller jusqu’à de véritables tortures physiques, des atteintes sexuelles, des viols, commis sur des enfants.

Une conception datée – la première circulaire proscrivant la « fin des vieilles pénalités physiques » a été émise en 1890 – mais persistante, révélatrice, au final, du statut réel de l’enfant dans nos sociétés. L’école, pensée au moins depuis la Libération comme lieu d’émancipation et de construction d’adultes libres, est restée concomitamment un lieu de domination des enfants par les adultes à qui ils étaient confiés.

Entendre aujourd’hui des invocations au « retour à l’autorité » présenté comme remède aux maux de la société, depuis Gabriel Attal jusqu’à la droite la plus conservatrice, n’a à cet égard rien de rassurant. Ces structures de pensée sont restées encore plus vives dans l’enseignement privé.

Omerta et défaillances au sein de l’enseignement catholique

Il n’y a pas de hasard : tous les collectifs de victimes, dont les témoignages sont à la base de la création de la commission d’enquête, émanent d’anciens élèves d’établissements confessionnels catholiques. On peut, pour l’expliquer, faire référence à une culture de l’obéissance, poutre maîtresse de l’Église.

Mais ce n’est qu’une partie de l’explication. Le rapport montre les effets de structure. Celle de l’enseignement catholique, où s’entremêle une forme de cogestion entre parents d’élèves et associations de gestion des établissements, souvent les mêmes personnes, sous le regard complice de réseaux de notables locaux et celui, distant ou complaisant, des autorités de tutelle : évêchés ou congrégations.

Pour eux, l’image des établissements constitue la valeur suprême parce qu’elle est la condition économique de leur existence. Quoi qu’il se passe derrière leurs murs.

Les structures de l’État, chargé du contrôle de tous les établissements – publics comme privés, sous contrat ou hors contrat – dont les défaillances sont pointées aussi du doigt : contrôles insuffisants voire inexistants, complaisances multiples, dispositifs de prévention insuffisamment déployés, prise en charge défaillante des signalements et insuffisance de protection des personnels lanceurs d’alerte, etc. Le tableau dressé est catastrophique et inquiétant quant à l’existence réelle d’une volonté d’en finir avec ces crimes.

Un fonds d’indemnisation pour les victimes

Pour donner aux enfants la protection effective à laquelle ils ont droit, le rapport liste donc 50 recommandations, selon plusieurs axes. Premièrement, la reconnaissance due aux victimes, avec, en particulier, la création d’un fonds d’indemnisation manifestant la reconnaissance par l’État de sa responsabilité. Un travail sur les délais de prescription des faits, la plupart de ceux aujourd’hui connus étant prescrits, est également préconisé.

Un chapitre qu’Alexandre Falinski du collectif des victimes de Riaumont juge insuffisant. Il demande l’imprescriptibilité totale pour de tels crimes. « Il faut que les personnes qui ont commis toute forme de violence sur des enfants soient jugées », soutient-il. Pour lui, cela fait partie de la réparation due aux victimes : « Sinon, on continue à nous faire passer pour des menteurs. Il faut que ça s’arrête. »

Deuxième axe, « protéger les élèves » : interdiction effective des châtiments corporels, contrôle d’honorabilité au recrutement et suivi administratif des personnels, cellule nationale « Signal Éduc » pour le recueil des signalements, etc. L’accent est mis sur le rôle, pour la prévention et la prise en charge des violences dans les établissements, du personnel médico-social : les corapporteurs demandent un « plan pluriannuel de recrutement », et aussi un meilleur financement pour les associations qui interviennent dans le domaine de la prévention. Autre proposition, qui risque de générer de fortes réactions : la levée du secret de la confession, dans les cas de violences sur mineurs de moins de 15 ans.

Des lanceurs d’alerte insuffisamment protégés

Dix recommandations sont consacrées à « soutenir les personnels » et « structurer une culture du signalement ». Dans ce domaine, Laetitia Bramoullé, enseignante et cofondatrice du collectif Stop aux souffrances dans les établissements catholiques, ne se satisfait pas des mesures proposées pour la protection des lanceurs d’alerte. « Il n’y en a qu’une, la n° 41, sur l’affichage systématique des procédures » en la matière, remarque-t-elle. Insuffisant : « On nous refuse systématiquement la protection fonctionnelle, surtout quand des directeurs sont mis en cause, ce qui arrive souvent, alors qu’elle est de droit pour les fonctionnaires que nous sommes. »

Elle déplore que les lanceurs d’alerte qui souhaitent partir dans l’enseignement public pour « se protéger des représailles » doivent repasser les concours de recrutement… qu’ils ont déjà obtenus. Rien sur ce point, ni sur la nécessité, à ses yeux, que les directeurs et les conseillers principaux d’éducation (CPE) des établissements privés passent également un concours dont ils sont aujourd’hui totalement exemptés : « Certains directeurs n’ont même pas le bac, dénonce-t-elle, quant aux CPE, ce sont encore trop souvent d’anciens militaires qui n’ont aucune compétence avec les enfants. »

Tout un pan de ces recommandations porte sur le contrôle des établissements, en particulier l’inscription dans le Code de l’éducation d’un contrôle tous les cinq ans pour les établissements privés, et le transfert au recteur – au lieu du préfet – des compétences pour signer ou résilier les contrats d’association, avec l’inscription dans la loi d’une gradation des sanctions selon la nature des manquements constatés.

Vers un encadrement renforcé des internats

Des contrôles spécifiques pour les internats – tous les ans dans le primaire, tous les trois ans dans le secondaire – sont aussi préconisés : « Il faudrait les interdire dans le primaire, voire au collège », tranche Laetitia Bramoullé, pour qui ces internats sont avant tout « une poule aux œufs d’or » pour les établissements privés, « sans contrôle financier ».

Dernier point : l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) se verrait conférer une capacité d’autosaisine qui la rendrait plus indépendante des pouvoirs hiérarchique et politique. On y verra la traduction de l’affaire Stanislas, dont le rapport d’inspection avait été édulcoré par la cheffe de l’IGESR de l’époque, devenue depuis n° 2 du ministère, Caroline Pascal.

Il reste à voir, à présent, si tout ce travail finira dans un tiroir, comme d’autres avant lui, ou s’il se traduira en actes. L’engagement des deux corapporteurs, dont la cohésion a su résister jusqu’au bout aux secousses partisanes, à transcrire rapidement leur rapport en une proposition de loi transpartisane, constitue un motif d’espoir. Encore faut-il que la responsabilité d’accorder aux enfants la protection qui leur est due soit partagée par toutes les forces politiques.

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L’INSPECTION DU LYCEE STANISLAS EPINGLEE PAR LA COMMISSION D’ENQUÊTE

L’académie de Paris vient de rendre publiques les conclusions de son inspection sur la mise en conformité du lycée parisien Stanislas avec les recommandations de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) de juillet 2023.

Ce télescopage de l’actualité en dit long sur les dérives de l’enseignement privé – catholique – et les manquements de l’État à les contrôler et les condamner. À partir du rapport de l’IGESR, jugé « édulcoré » par les corapporteurs de la commission d’enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire, l’académie de Paris a formulé une seule mise en demeure sur les cours de culture chrétienne et un avertissement sur l’application du programme d’éducation à la sexualité.

Des conclusions jugées « pas à la hauteur de la répétition des manquements constatés », par Paul Vannier et Violette Spillebout. Les députés réitèrent leur demande « d’examiner l’opportunité de résilier le contrat d’association entre l’État et l’établissement Stanislas » – restée jusqu’ici lettre morte malgré le sexisme, l’homophobie et les discriminations qui règnent dans « l’esprit Stan ».

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Source: https://www.humanite.fr/societe/education-nationale/betharram-ce-quil-faut-retenir-des-50-propositions-de-la-commission-denquete

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