Bretagne : l’inquiétante résurgence d’un parti collaborationniste (BlastInfo-18/03/25)

Par Thierry VINCENT.

Agression d’un élu municipal nantais, prise de parole lors d’une réunion publique, tags et affiches racistes, le Parti national breton (PNB), héritier du parti indépendantiste pronazi des années 1930 et 1940 réapparu en 2021, tente de se faire une place dans la mouvance régionaliste. Si la plupart des mouvements, plutôt ancrés à gauche, ne l’acceptent pas, d’autres se montrent plus accommodants.

Ce devait être le lancement d’un mouvement unifiant les différentes tendances régionalistes bretonnes, mais trois petites lettres auront suffi à gâcher la fête : PNB, pour Parti national breton. Ce 1er mars 2025 ils sont environ 120 dans les halles de Carhaix (Finistère), à l’appel de Bretagne notre avenir, une toute nouvelle plate-forme unitaire qui entend « rassembler et  dépasser les clivages afin de mieux travailler pour la Bretagne ».

Le rassemblement, mais jusqu’où ? Caroline Glon, conseillère municipale de la Baule (Loire-Atlantique), élue sur la liste du sarkozyste Franck Louvrier et co-fondatrice du mouvement, en a visiblement une conception très large : « De l’extrême droite à l’extrême gauche, (…) on est capable d’être tous ensemble. (…) On a des points communs, on a une histoire commune (…). Aujourd’hui vous avez beaucoup de partis qui sont là, il y des représentants de l’UDB (Union démocratique bretonne, gauche régionaliste, NDLR), il y a des repréentants du PNB, il y a des représentants du Parti breton (centre droit, NDLR). »

Le PNB n’était visiblement pas indésirable.

Hervé Archier, porte-parole du PNB, formation indépendantiste d’extrême droite au passé sinistre, prend brièvement la parole. « Fachos ! Vous n’avez pas à être là ! » hurlent des spectateurs. « Laissez-le parler », lance un autre. Le mouvement unificateur est déjà divisé.

Le lendemain, Bretagne notre avenir publie un communiqué désavouant le PNB et sa propre co-fondatrice Caroline Glon – laquelle persiste et signe en s’en prenant à ceux qui lui reprochent d’avoir toléré le parti d’extrême droite : « Certains veulent déjà gâcher la fête (…). Je ne les laisserai pas faire et ce collectif (…) continuera son travail de réflexion et de rassemblement. » Bretagne notre Avenir est depuis mis en sommeil.

Florian Le Teuff, conseiller municipal écologiste de Nantes en charge des enjeux bretons, agressé le 12 octobre dernier lors d’une manifestation pour la réunification de la Bretagne, est scandalisé : « Ce ne sont pas des militants d’extrême droite qui se sont infiltrés dans la réunion, Caroline Glon annonce leur présence, ils n’étaient visiblement pas indésirables. On ne peut pas tolérer l’intolérable. » Il a écrit au procureur pour lui demander de faire cesser les activités du parti.

La pendaison pour les immigrés illégaux

Car si le PNB est largement méconnu en dehors de la région, les Bretons sont familiers de cette organisation, qui a repris le nom d’un parti collaborationniste et dont les positions actuelles, aussi radicales que délirantes, feraient presque passer Bruno Retailleau pour un aimable social-démocrate. Qu’on en juge : quel autre parti préconise dans son programme l’interdiction de l’islam et promet la potence aux immigrés illégaux et à ceux qui faciliteraient leur entrée ? Qui d’autre pour vouloir punir aussi de la pendaison les organisateurs d’ « infanticides » (qualificatif pour désigner non seulement les avortements, mais aussi l’utilisation de la « pilule du lendemain » ) ? Quelle autre formation oserait interdire tout type de contraception non naturelle, dont le commerce serait passible de dix ans de prison incompressible ?

Rien d’étonnant néanmoins, lorsque l’on sait que le PNB d’aujourd’hui, réapparu au début des années 2020, se veut l’héritier du parti homonyme des années 1930, converti au fascisme, puis pronazi au point d’être dissous en 1939 puis de réapparaître sous l’Occupation, pour collaborer activement avec les autorités allemandes ? « Au départ, le Parti national breton est une scission des éléments les plus radicaux du Parti autonomiste breton, lequel comprenait aussi des tendances de gauche, explique Erwan Chartier, journaliste et écrivain spécialiste du mouvement breton (*). Dans les années 1930, sous l’impulsion de son chef de file, Olier Mordrel, le parti adopte les positions du Troisième Reich, au point de se lancer dans de grands débats pour savoir qui de la Bavière ou de l’Auvergne est la plus touchée par la “contamination sémitique“. Pendant l’Occupation, le parti qui s’est reconstitué est totalement instrumentalisé par les Allemands et aligné sur leurs positions ». « Vive la Bretagne libre », « La Bretagne aux Bretons », « Les Juifs dehors » étaient alors des slogans classiques dans le mouvement.

Le fils du chef pronazi du mouvement adoube le nouveau PNB

La reformation du PNB, disparu après guerre, est annoncée sur internet en septembre 2021. Il prend la suite du parti indépendantiste d’extrême droite Adsav (Renaissance en Français), actif entre 2000 et 2016, fondé par Padrig Montauzier, un militant indépendantiste au départ d’extrême gauche condamné à 15 ans de prison pour un attentat à la bombe qui avait détruit la galerie des glaces du château de Versailles en 1978.

Mais le PNB se montre encore plus radical que ce prédécesseur : sur X, il qualifie les FTP (Francs-tireurs et partisans) d’ « assassins », qualifie la France de « pays dont la capitale est africaine » et rend hommage aux victimes de bombardements alliés de Dresde en 1945, qualifiés de criminels. Les tags du PNB reprennent parfois la croix celtique, symbole des néo fascistes européens, et les affiches prônent la « remigration », un néologisme inventé par les identitaires français pour désigner la déportation massive des personnes ayant des origines extraeuropéennes. Dans la plus pure tradition du PNB collaborationniste d’Olier Mordrel, qui a fui en 1945 pour échapper à une condamnation à mort.

Son fils, Trystan Mordrel, né en 1958 en Argentine, où le père avait fui, ne s’y trompe pas : « Je ne connais pas les actuels dirigeants du PNB, mais je vois ça d’un bon œil, se félicite celui qui fut aussi salarié de la librairie néonazie parisienne Ogmios dans les années 1980. Tout ce qui peut extirper le mouvement nationaliste breton de la mainmise des gauchistes est positif », déclare-t-il à Blast (**).

Exemples de communications et affichages signés par le Parti national breton.
Images DR

Manifester avec le parti d’un journaliste judéo-berbère ne forge pas une communauté ethnique nationale

« Ils sont pour l’instant encore assez groupusculaires, juge un syndicaliste engagé dans l’antifascisme, mais ils ont une grosse présence sur les réseaux sociaux, et on trouve de plus en plus de graffitis, d’affiches et de tracts du PNB. On les a vus également manifester durant l’hiver 2023 contre le projet d’ouverture d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile à Callac. Ils ont développé toute une rhétorique complotiste anti-immigration, selon laquelle la France souillerait délibérément la Bretagne en y implantant des migrants ».

Affiche signée par le PNB à l’occasion de la visite du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau à Rennes, le 1er novembre 2024.
Image DR

Pour un parti profondément anti-Français, manifester avec l’extrême droite nationale ne va pas de soi. Ainsi, le 31 octobre 2022, au début des manifestations contre le centre de demandeurs d’asile de Callac, organisées par les zemmouristes, sur son site internet, le parti faisait étalage sur son site, de son racisme crasse pour justifier ses réticences à se joindre aux mobilisations : « Brailler pendant deux heures contre des Noirs, à l’appel du parti d’un journaliste parisien d’origine judéo-berbère, ne forge pas une commuauté ethnique nationale bretonne. » « Mais ils sont quand même allés manifester avec les zemmouriens, la haine des migrants a été plus forte. », note le syndicaliste antifa.

Attaque contre l’exploitation agricole d’un migrant

En 2024, des indépendantistes bretons ont franchi un cap : à deux reprises, les 2 et 3 juillet, entre les deux tours des législatives, l’exploitation d’un migrant reconverti en agriculteur a été saccagée. Sur place, des tags « Fuck le Hamas » – mouvement avec lequel le migrant, originaire du Soudan, n’a rien en commun si ce n’est l’appartenance religieuse supposée – et « FLB », pour Front de Libération de la Bretagne, une organisation séparatiste aujourd’hui disparue, active de 1966 à 1981. Un faux nez du PNB ? C’est plausible : dès le 4 juillet, Stourm !, autre site du PNB, évoquait, à propos du saccage, une « opération contre l’ultragauche hexagonale qui organise la colonisation allogène du territoire breton » menée par « le Front de Libération de la Bretagne ».

Le saccage d’une exploitation agricole signé par le « FLB ».
Image DR

« Même si le PNB semble pour l’instant marginal, développe Florian Le Teuff, adjoint écologiste au maire de Nantes, il ne faut rien laisser passer. Ce qui est inquiétant, c’est que dans une petite partie du mouvement breton se développe un discours prétendument ni de droite ni de gauche, qui seraient des catégories politiques françaises inadaptées au contexte breton. D’où une complaisance sur le thème “on accepte toutes les bonnes volontés“.» Et donc un entrisme facilité dans les milieux régionalistes.

L’élu sait de quoi il parle. Le 12 octobre 2024, il participait à Nantes à la manifestation organisée par Bretagne réunie pour revendiquer le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. Quelle ne fut pas sa surprise de voir des militants déployer le plus tranquillement du monde une grande banderole du PNB. « C’est la première fois qu’on les voit publiquement dans une manif, et le plus grave c’est qu’ils y ont été acceptés. Je suis allé leur demander de partir, et l’un m’a donné un coup de poing au visage et frappé avec un manche de pioche. » Florian Le Teuff va se plaindre auprès des organisateurs, mais c’est lui qui se retrouve en position d’accusé. « On m’a quasiment dit que c’était moi qui avais provoqué, et que tant qu’ils se comportaient bien en manifestation, il n’ y avait aucune raison de les en exclure. » Florian Le Teuff a porté plainte et, selon lui, son agresseur a été identifié.

(*) Rédacteur en chef de l’hebdomadaire local Le Poher basé à Carhaix, il a fait l’objet de nombreuses menaces de mort de l’extrême droite début 2023, en raison de ses articles jugés trop favorables au projet d’installation d’un centre pour demandeurs d’asile à Callac (Côtes d’Armor), projet finalement abandonné suite aux pressions de l’extrême droite.

(**) Riche entrepreneur spécialiste des levées de fonds, Trystan Mordrel a reconnu auprès de Blast avoir participé au financement de la campagne présidentielle d’Eric Zemmour.

Si vous avez des informations à nous communiquer sur l’extrême droite, écrivez-nous à : enquete.extremedroite@blast-info.fr

Crédits photo/illustration en haut de page :
Margaux Simon

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Source: https://www.blast-info.fr/articles/2025/bretagne-linquietante-resurgence-dun-parti-collaborationniste-TZv025i3Q3mKiw4pl3h4MA

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