Budget : François Bayrou, un 49.3 et puis s’en va ? (H.fr-2/02/25)

François Bayrou déclenchera le 49.3 pour tenter de faire passer le budget lundi 3 février 2025.
© Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM

Le premier ministre a indiqué qu’il engagerait, lundi 3 février, la responsabilité de son gouvernement sur le très austéritaire projet de loi de finances. Il s’apprête à affronter une motion de censure dont l’issue reste pour l’heure incertaine car ni le PS ni le RN n’ont pris leur décision.

Par Emilio MESLET.

François Bayrou dissipe, par voie de presse, un brouillard… qui n’existait pas. Oui, le premier ministre montera bien à la tribune de l’Assemblée nationale pour annoncer aux députés que « sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution », il « engage la responsabilité de (son) gouvernement » sur le projet de loi de finances (PLF) 2025.

C’était un secret de polichinelle, et le locataire de Matignon l’a confirmé, ce week-end, dans un long entretien à la Tribune dimanche. « Ce sera fait lundi » car « c’est le seul moyen », argue-t-il façon Thatcher, pour que le pays se dote d’un budget. « There is no alternative », vraiment ? « Je suis contre le fait que la France soit le seul pays où le gouvernement puisse passer en force », aurait pu rétorquer le François Bayrou de 2006, favorable à une nouvelle République, au François Bayrou de 2025, prêt à tout pour se maintenir à son poste.

Le retour de la rhétorique du chaos

Comme aveu d’échec, le premier ministre s’apprête donc à user de l’article, certes constitutionnel mais le plus antidémocratique de la Ve République, après que son ministre de l’Économie Éric Lombard a négocié, à Bercy, prioritairement avec le PS. Le chef du gouvernement compte aussi le dégainer sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Une autre option eut été d’accepter un vote des parlementaires sur les deux textes en affichant sa volonté de construire, dès sa nomination, de réels compromis parlementaires témoignant d’une inflexion politique dans la lignée du résultat des législatives. « S’il s’était engagé dès le départ à ne pas utiliser l’article 49.3 comme nous le lui avions demandé, le budget aurait été très différent », rappelle le député PCF Nicolas Sansu, spécialiste des finances publiques.

L’exécutif a fait un autre choix : reprendre le budget austéritaire de Michel Barnier, y adjoindre quelques minimes concessions – terme que récuse François Bayrou – faites aux oppositions, notamment socialiste, et espérer que celles-ci « prennent part à l’urgence nationale » en ne votant pas la censure. Ce choix de la « méthode Bayrou », comme elle a été surnommée, pourrait provoquer sa chute, le déclenchement de l’article 49.3 ouvrant la possibilité de déposer une motion de censure. Celle-ci devrait être examinée au plus tard mercredi. François Bayrou serait alors, après Michel Barnier, le second premier ministre à tomber en moins de deux mois. Du jamais-vu depuis 1958.

Pour sauver sa peau, le centriste ne cherche d’ailleurs pas à défendre la pertinence de son budget, fruit d’un accord en commission mixte paritaire (CMP) entre les groupes du « socle commun » (Ensemble pour la République, Modem, Horizons et « Les Républicains »).

Celui-ci prévoit de résorber le déficit à 5,4 % du PIB d’ici la fin de l’année, avec plus de 50 milliards d’euros d’économies : 32 milliards de dépenses en moins et 21 milliards de recettes supplémentaires. Le premier ministre n’essaie pas de convaincre que les coupes budgétaires qui frappent l’écologie, la culture, l’agriculture, l’enseignement supérieur, les collectivités locales ou l’aide médicale d’État sont idoines.

Comme son prédécesseur, François Bayrou agite le chiffon rouge du chaos comme un appel à la « responsabilité » : « Ces mois de crise politique se chiffrent en milliards, car c’est l’image du pays et la confiance des investisseurs qui ont été atteintes », dit-il, insistant sur la « bonne » réaction des marchés financiers à l’accord de la CMP.

En une du Parisien, sa ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, enfonce le clou. « La censure a coûté 175 euros par Français », chiffre-t-elle. Tout en évitant évidemment de préciser que l’entêtement des libéraux à ne pas changer de cap économique et à poursuivre l’asphyxie des services publics a conduit les oppositions à ladite censure.

« Nous demeurons plus que jamais dans l’opposition »

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, voilà que la survie du gouvernement Bayrou ne tient plus qu’à un fil. Les insoumis ont déjà annoncé qu’ils se prononceraient pour le faire tomber. « Ceux qui ne votent pas la censure seront dans un soutien sans participation », estime Manuel Bompard, coordinateur du mouvement mélenchoniste.

Sauf surprise, les écologistes et les communistes, dont les groupes trancheront officiellement en début de semaine, devraient aussi ajouter leurs voix à la censure. « Je ne vois pas comment on pourrait faire autre chose, assure le communiste Nicolas Sansu. Ce budget est pire que celui de Michel Barnier : il ne fait qu’amplifier la société de la rente et de l’héritage à laquelle nous nous opposons. »

L’inconnu demeure concernant les socialistes, échaudés par les propos du premier ministre sur la « submersion migratoire ». S’ils n’ont pas apporté leurs suffrages à la motion contre François Bayrou le 16 janvier, la donne est-elle aujourd’hui différente ? Comme l’ensemble du Nouveau Front populaire, le PS a voté contre le budget lors de la CMP. « Nous demeurons plus que jamais dans l’opposition de gauche à ce gouvernement de droite », rappelle le groupe, qui estime « insuffisants » les efforts consentis par l’exécutif.

Mais l’aile droite du parti à la rose – qui veut marquer sa différence avec la FI – souhaite jouer la carte de la responsabilité. Elle a reçu l’appui inattendu de l’ancien premier ministre Lionel Jospin : « Qui pourrait faire face au drame de Mayotte ? Qui chercherait la réconciliation en Nouvelle-Calédonie ? Qui assurerait la sécurité ? Qui lancerait enfin ce plan contre le narcotrafic ? Voter la censure aujourd’hui, effectivement, ne serait pas responsable », a-t-il lâché sur France 5. Le groupe est aujourd’hui très partagé. « Il y a une envie de censure et en même temps l’acceptation quasi résignée qu’il faut un budget », rapporte un député. « La question n’est pas encore tranchée, affirme Boris Vallaud, le président de groupe. La censure est toujours sur la table. »

De l’autre côté de l’hémicycle, l’extrême droite s’interroge aussi. Le RN n’a pas su dicter la politique du gouvernement Bayrou, comme ce fut le cas entre septembre et décembre avec l’équipe Barnier. Pour le parti lepéniste, ce PLF contient trop d’impôts. Ce qui fait dire au président délégué du groupe, Jean-Philippe Tanguy, que « ce budget est pire qu’une absence de budget » et qu’il faudrait donc le « bloquer ». Marine Le Pen prendra sa décision « entre lundi et mercredi ». Et les gages donnés sur l’immigration par le premier ministre ne suffiront peut-être pas.

« La concrétisation de ces menaces serait rejetée avec colère par les Français », croit savoir François Bayrou. Une personne sur deux souhaite pourtant voir son gouvernement censuré, d’après un sondage Toluna-Harris Interactive. Et seuls 34 % des sondés affirment avoir confiance dans la politique du premier ministre. Ceux dont le budget protège les intérêts.

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Source; https://www.humanite.fr/politique/article-49-3/francois-bayrou-un-49-3-et-puis-sen-va

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/budget-francois-bayrou-un-49-3-et-puis-sen-va-h-fr-2-02-25/

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