
Participation de ministres démissionnaires aux élections de l’Assemblée, élaboration d’un budget austéritaire, nominations et décrets passés en douce… Depuis le 16 juillet, l’exécutif multiplie les coups tordus en exploitant les flous de la Constitution.
Par Lisa GUILLEMIN.
« Si on s’était endormis avant la dissolution, et qu’on se réveillait aujourd’hui, on n’aurait absolument pas l’impression que le gouvernement a démissionné », grince le député Benjamin Lucas du groupe « Écologiste et Social ». Lors des jeux Olympiques, les ministres démissionnaires, Gabriel Attal en tête, étaient pourtant partout, y compris à la télévision. Sur le plan institutionnel, le même flou persiste.
Si Emmanuel Macron a bien mis fin aux fonctions du gouvernement Attal le 16 juillet, plongeant la vie politique française dans une situation inédite, les oppositions l’accusent d’avoir exploité les imprécisions de la Constitution pour maintenir son pouvoir, malgré sa situation politique minoritaire. « La situation est inédite et totalement lunaire. Un gouvernement qui démissionne et qui gère bien au-delà des affaires courantes, ce n’est pas acceptable sur le plan démocratique », dénonce le sénateur communiste Ian Brossat.
Aux élections de l’Assemblée, la théorie du mort-vivant
Cela a commencé dès le lendemain des législatives, avec la participation des 17 ministres aux élections des postes clés du bureau de l’Assemblée nationale. Grâce à eux, Yaël Braun-Pivet a pu être réélue le 19 juillet au perchoir avec sept voix d’avance sur le candidat du Nouveau Front populaire (NFP), le communiste André Chassaigne.
« Cela a été possible car le ministre a contourné l’article 23 de la Constitution, qui érige une séparation stricte entre pouvoirs exécutif et législatif, en interprétant de manière originale la loi organique qui le met en application », explique le constitutionnaliste Benjamin Morel, même si le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour statuer.
L’article LO123 du Code électoral prévoit que lorsqu’un député devient ministre, celui-ci dispose d’un mois pour démissionner et ne peut cumuler les indemnités ministérielles et parlementaires, sauf si le gouvernement est démissionnaire. Cette incompatibilité entre ministre et député ne jouerait dont que pour le gouvernement de plein exercice. « C’est la théorie du mort-vivant, le gouvernement a démissionné, donc il peut siéger à l’Assemblée », poursuit le maître de conférences.
Coup de Trafalgar
Bien averti, Emmanuel Macron a ainsi accepté la démission de son gouvernement trois jours avant l’élection du perchoir. Une situation qui s’était déjà présentée en 1988 lorsque les ministres sortants rocardiens avaient permis l’élection de Laurent Fabius à la présidence du Palais Bourbon. « S’il n’y avait pas eu ce vote à cette date-là, le président n’aurait pas accepté la démission de son gouvernement tant qu’il n’en avait pas un autre sous le coude », raille Benjamin Lucas à propos de 2024.
Mais comme interprétation ne vaut pas vérité, les écologistes ont tenu à riposter en déposant un recours auprès du Conseil d’État. « Il y a un trou dans la raquette, la loi organique prévoit les choses lorsqu’un député devient ministre, mais pas quand c’est un ministre qui devient député. Et tant qu’il n’y a pas eu de passation de pouvoir, le ministre démissionnaire est encore ministre, corrige la députée Léa Balage El Mariky. C’est comme cela qu’on se retrouve avec un ministre des Affaires européennes démissionnaire qui est président d’une commission parlementaire des Affaires étrangères censée le contrôler. »
Nominations abusives
Outre la séparation des pouvoirs, ce sont les séries de nominations et de décrets pris par le gouvernement, et qui dépasseraient le cadre « affaires courantes » (l’ensemble des actes d’un gouvernement démissionnaire assurant la continuité de l’État sans orientation politique), qui ont provoqué l’ire des oppositions.
Comme avec le décret du 19 juillet, signé par Gabriel Attal, autorisant l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) à mettre en œuvre un fichier regroupant des données opérationnelles de cyberdéfense, attaqué encore une fois par le groupe écologiste à l’Assemblée, ou la nomination de Bérangère Couillard, ancienne ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la tête du Haut Conseil à l’égalité le 17 juillet.
Mais c’est surtout en prévision de sa défaite à venir que le gouvernement a mis les bouchées doubles en termes de nominations sensibles en publiant, entre le 9 juin et le 16 juillet, 790 décrets et arrêtés de nomination, dont un nouveau gouverneur militaire de Paris, un nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air, trois ambassadeurs et deux recteurs. Ce qui avait mené Olivier Faure à déposer un recours devant le Conseil constitutionnel, mais qui n’aura que peu de chances d’aboutir. Si la temporalité paraît politiquement peu légitime, elle n’est pas illégale sur le plan constitutionnel.
Un budget embourbé
À l’heure actuelle, le dossier le plus sensible se situe surtout sur le front du budget. Si tout le monde reconnaît la nécessité de se doter d’un projet de loi finances pour la rentrée, son orientation s’annonce plus qu’austéritaire. De quoi provoquer un tollé : comment un gouvernement battu deux fois dans les urnes et démissionnaire peut-il prétendre fixer les orientations de la nation ?
Or, « si ce budget comporte des éléments d’austérité, le travail du Parlement va être contraint par l’article 40 de la Constitution », prévient Paul Cassia. Celui-ci interdit aux parlementaires de proposer des amendements qui alourdiraient la charge publique.
« Là réside tout le problème, plus un gouvernement démissionnaire dure dans le temps, plus il acquiert potentiellement les compétences d’un gouvernement de plein exercice », analyse de son côté Benjamin Morel. D’autant que le gouvernement démissionnaire ne peut être renversé par l’Assemblée et les parlementaires n’ont aucune possibilité de contrôler son action. « Typiquement, il y a une canicule en ce moment, et nous les parlementaires nous ne pouvons pas interroger le gouvernement », regrette ainsi Benjamin Lucas.
Face aux dérives possibles et vides juridiques, Ian Brossat a déposé une proposition de loi pour limiter la durée d’un gouvernement démissionnaire à huit jours. Car « avec la tripartition de la vie politique, cette situation sera certainement amenée à se reproduire ».
Gabriel Attal propose un « pacte d’action », sauf au RN et à LFI Au pied du mur et toujours sans majorité, la Macronie tente une nouvelle carte. Celui qui est à la fois chef de file des députés du parti présidentiel et premier ministre démissionnaire, Gabriel Attal, a adressé ce mardi un courrier aux groupes parlementaires de l’Assemblée nationale, à l’exception de la France insoumise et du Rassemblement national. Renvoyant une fois de plus dos à dos la formation de Jean-Luc Mélenchon et l’extrême droite, en toute indécence. Par cet écrit, il propose un « pacte d’action pour les Français » avec plusieurs priorités. Rétablissement des comptes publics et renforcement de « notre souveraineté économique », défense de la laïcité et « renouveau de nos institutions », pouvoir d’achat, logement, travail, environnement, sécurité et service publics. « La base sur laquelle nous sommes prêts à engager des discussions », précise-t-il. |
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/budget-poste-cles-et-decrets-passes-en-douce-le-gouvernement-demissionnaire-multiplie-les-abus-de-pouvoir-h-fr-13-08-24/