Budget : vers un passage en force du gouvernement à l’automne ? (H.fr-7/08/24)

Thomas Cazenave et Bruno Le Maire espèrent à nouveau imposer leur projet de loi des finances en contournant le plus possible l’hémicycle. © Xose Bouzas /Hans Lucas via AFP

Le ministre de l’Économie démissionnaire s’active pour mener la bataille de l’austérité. Le projet de loi 2025, qui doit arriver le 1er octobre à l’Assemblée, devrait réduire drastiquement les dépenses publiques, à l’opposé du programme du Nouveau Front populaire. Encore faut-il réussir à le faire adopter.

Par Lisa GUILLEMIN.

Le Nouveau Front populaire (NFP) se prépare à un nouveau coup de force antidémocratique de la Macronie. La semaine qui a suivi le second tour des législatives, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, avait assuré que le prochain budget, qui devra être remis au bureau de l’Assemblée le 1er octobre, serait dans la continuité du dernier.

Mais le ton s’est durci depuis le placement de la France en procédure de déficit excessif, par Bruxelles, le 26 juillet. Le gouvernement annonce une nouvelle cure d’austérité, en opposition totale avec le programme économique de relance du NFP, par de nouvelles dépenses et de nouveaux impôts. Or, celui-ci a gagné les législatives et la Macronie risque donc d’opérer un passage en force, « sans légitimité démocratique », s’inquiète la candidate du NFP pour Matignon, Lucie Castets.

Au lendemain des élections, Thomas Cazenave, conscient de la position de faiblesse de son parti, s’est voulu conciliant, en appelant un à un les responsables des groupes de l’Assemblée pour leur assurer que « le PLF (projet de loi de finances – NDLR) serait le plus neutre possible, quasiment la reconduction identique de celui de l’année dernière », se souvient Philippe Brun, député PS et vice-président de la commission des Finances. « Nous préparons des propositions avec des indications très techniques, sans arbitrages politiques, et qui seront laissées à la charge du prochain gouvernement, qui pourra choisir de s’y tenir ou pas », assurait, encore, la semaine dernière, le cabinet du ministre, auprès de l’Humanité. Car, selon le gouvernement démissionnaire, l’élaboration du budget (qui conditionne tous les arbitrages politiques à venir) relève des affaires courantes.

Retournement de veste ?

L’ouverture de la procédure pour déficit excessif est venue perturber les délicates négociations du ministre délégué. Une aubaine pour le patron de Bercy, Bruno Le Maire – conscient d’être sur un siège éjectable – qui n’a pas manqué de partir en croisade pour imposer son projet d’orthodoxie budgétaire brutal. Le 31 juillet, il affirmait sur France 2 que les plafonds de dépenses par ministère pour 2025 seront « inférieurs » à ceux de 2024 « dans des proportions qui seront significatives ».

Deux jours après, Thomas Cazenave renchérissait dans les Échos et retournait sa veste : « Un budget reconduit à l’identique ne ferait que repousser très temporairement l’impasse » de la situation budgétaire française. « Si tel était le cas, ce serait un reniement de l’engagement pris par son ministre délégué auprès des parlementaires », prévient Philippe Brun. Au total, cinq milliards d’euros d’économies seront imposés aux ministères.

Car, à Bercy, on craint plus le couperet de Bruxelles que la légitimité des urnes. Alors que la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 prévoyait un déficit de 4,9 % en 2023, celui-ci a, en réalité, dérapé à 5,5 %, selon l’alerte de l’Insee, en mars dernier. Pour atteindre l’objectif de réduction à 2,7 % du PIB en 2027, il faudrait à l’exécutif trouver 20 milliards d’euros en 2025. Mais sans lever davantage l’impôt, indique la loi de programmation, conformément au dogme macroniste. Ce qui se traduira donc par des coupes nettes dans les finances publiques.

Absence de légitimité démocratique

« Un gouvernement démissionnaire ne peut pas présenter de projet de budget, c’est éminemment politique ! » fustige Éric Coquerel, vice-président de la commission des Finances. « S’il persiste dans cette voie, il est certain que nous ne le voterons pas, et nous serons en mesure de le renverser en cas de passage en force. » Les responsables de gauche commencent à se mettre en ordre de bataille contre les tractations secrètes entre ministères.

Dans une vidéo publiée le 5 août, la secrétaire nationale des écologistes, Marine Tondelier, s’inquiète des « 2 milliards d’euros (en moins) pour les hôpitaux en 2025 » que ce budget pourrait signifier. « Ce gouvernement démissionnaire travaille sans légitimité démocratique. Or, revenir à l’austérité quand l’économie ralentit, comme on l’a vu en juillet, c’est une grave erreur », a affirmé, de son côté, Lucie Castets, dans Sud-Ouest, le 7 août.

Le Nouveau Front populaire espère, au contraire, profiter de la nouvelle configuration de l’Hémicycle pour faire avancer ses pions budgétaires. Un coup à jouer, notamment en ce qui concerne le retour de certaines taxes supprimées depuis 2017, ou l’instauration de nouveaux impôts qui iraient dans le sens d’une plus grande justice sociale.

L’année dernière, la gauche avait réussi à faire voter en commission un amendement sur le budget 2024 ouvrant la voie à la taxation des superprofits grâce à l’aide du Modem. Une mesure qui aurait permis de trouver 15 milliards d’euros de recettes.

Et qui avait finalement été balayée par le 49.3, dégainé par le gouvernement en plénière. Sauf que, cette fois, user de l’article controversé exposerait le gouvernement à une motion de censure qui, nouvelle donne, a toutes les chances de passer (les votes cumulés du NFP et du RN représentant à eux seuls 235 sièges).

La droite au secours de la Macronie ?

La Macronie et ses 173 députés est-elle seulement en mesure d’adopter une loi de finances ? « La réalité de la situation politique nous impose de réfléchir dès maintenant aux conditions dans lesquelles le pays pourra être doté d’un budget », assure-t-on à Bercy. Mais de quelle manière ? Une certitude se dessine dans les rangs des députés macronistes : il faut déjà s’assurer du soutien des 47 députés LR menés par Laurent Wauquiez, qui avaient présenté, l’année dernière, un contre-budget encore plus austéritaire tablant sur 25 milliards d’euros d’économies.

« C’est le groupe le plus apte à discuter de notre projet budgétaire », analyse Daniel Labaronne, député Ensemble, et vice-président de la commission des Finances. D’où les signaux envoyés par Thomas Cazenave dans son entretien aux Échos : « Je pense que c’est autour du budget que se construira ou pas une coalition ou un pacte législatif. » Le ministre reprend ici la formule proposée par Laurent Wauquiez fin juillet. Le message semble reçu côté LR : « Pour cette législature, il sera très difficile de trouver des alliances pour des textes non budgétaires. C’est différent concernant les textes budgétaires », veut croire Véronique Louwagie, vice-présidente LR de la commission des Finances.

Mais, les seules voix des « Républicains » ne suffiront pas (avec LR, la coalition présidentielle ne totaliserait que 220 sièges, pas assez pour renverser la censure). « Il ne faudrait pas se priver non plus du vote des sociaux-démocrates responsables », concède Daniel Labaronne.

Le professeur d’économie, pourtant fervent partisan de l’orthodoxie budgétaire au sein de la Macronie, n’ignore pas qu’il faudra toutefois donner des gages de souplesse à ces potentiels alliés, sans « avoir de tabous ». « Peut-être que nous n’avons pas été assez à l’écoute d’un certain nombre d’élus sociaux-démocrates. On pourrait regarder les nouvelles recettes, comme la suppression de niches fiscales ou sociales », reconnaît le député macroniste d’Indre-et-Loire. Encore faudrait-il que le patron de Bercy accepte de revoir sa position sur l’impôt. Au risque, cette fois, de braquer « Les Républicains ». Inextricable équation.

Le gouvernement sortant anticipe déjà un blocage de son projet de loi à l’Assemblée à l’automne. Ce pourquoi la direction du budget peaufine déjà le scénario d’un recours à l’article 47 de la Constitution, qui permet au gouvernement de demander en urgence l’autorisation de percevoir les impôts, en reconduisant le budget de l’année précédente. « Ce serait une mesure d’urgence absolue, qui n’empêche à aucun moment qu’une autre loi de finances soit reproposée les mois suivants », tempère-t-on au cabinet du ministre des Comptes publics. Un énième outil constitutionnel dans l’arsenal d’Emmanuel Macron pour dévoyer les résultats des urnes.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/austerite/budget-vers-un-passage-en-force-du-gouvernement-a-lautomne

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