« Ce que nous demande Marine équivaut à ce qu’on signe pour des emplois fictifs » : au procès du RN, Marine Le Pen au cœur du système (H.fr-15/10/24)

Marine Le Pen, pendant une pause de l’audience au tribunal de Paris, le 15 octobre 2024.
© Sarah Meyssonnier/REUTERS

Interrogée par le tribunal correctionnel cette semaine, la députée d’extrême droite est accusée d’avoir été le cerveau d’un détournement de fonds organisé et centralisé au Parlement européen. La nervosité commence à gagner celle qui risque une peine d’inéligibilité, et peine jusqu’ici à convaincre.

Par Florent LE DU.

Marine Le Pen ne tient pas en place. Attendant, ce mardi 15 octobre, de revenir s’expliquer à la barre, elle quitte son banc d’accusée régulièrement, rejoint son avocat, trépigne, passe ostensiblement devant les journalistes en affichant un sourire aussi sincère que celui d’un vendeur de dentifrice.

Sans doute espère-t-elle montrer que ses sautes d’humeur répétées, la veille, ne reflètent pas son état d’esprit. Sa veste verte, venue remplacer l’austère costume noir du lundi, entre aussi dans ce récit. Marine Le Pen est loin d’être tranquille et cherche à le masquer.

Interrogée par le tribunal correctionnel, en compagnie de quatre de ses anciens assistants parlementaires, depuis lundi 14 octobre et jusqu’à mercredi soir, la prévenue s’agace en écoutant les réponses, parfois maladroites et souvent compromettantes, de Catherine Griset et Micheline Bruna, ex-collaboratrices que l’instruction accuse d’emploi fictif.

C’est Marine Le Pen qui « décidait quel assistant était imputé au budget de quel député »

Elles n’ont pas l’assurance (confinant à la condescendance) de leur ancienne employeuse officielle, qui s’attache depuis lundi midi à esquiver les faits qui fâchent pour éloigner le tribunal des éléments qui lui sont concrètement reprochés.

Alors, quand Micheline Bruna (ancienne assistante personnelle de Jean-Marie Le Pen) lâche que c’est Marine Le Pen qui, après son élection à la tête du FN en 2011, « décidait quel assistant était imputé au budget de quel député », celle-ci est coincée.

Pour la première fois, ce mardi, la patronne de l’extrême droite française, poursuivie pour détournement de fonds publics et complicité de ce même délit, s’est vue confrontée à l’accusation la plus grave de cette affaire : celle d’avoir été, à la suite de son père, le cerveau d’un système centralisé consistant à détourner l’argent public du Parlement européen pour rémunérer des personnes travaillant en fait pour le Front national (devenu Rassemblement national). « L’enquête a montré qu’elle était codécisionnaire, avec Jean-Marie Le Pen, des choix d’équilibrage des enveloppes budgétaires (…) et agissait dès lors délibérément, en toute conscience de détourner les fonds publics », indiquent les juges d’instruction.

Acculée, Marine Le Pen conteste : « Je n’ai jamais suggéré d’assistant à personne. Les députés ne sont pas des enfants de 4 ans à qui on dicte ce qu’ils doivent faire. » Pourtant, plusieurs témoignages indiquent qu’en juin 2014, lors d’une réunion avec les 23 autres eurodéputés FN, elle aurait exigé de chacun qu’ils ne prennent qu’un seul assistant, afin de laisser le reste des enveloppes à disposition du parti. « Ce que nous demande Marine équivaut à ce qu’on signe pour des emplois fictifs », s’inquiète alors l’élu Jean-Luc Schaffhauser auprès du trésorier du FN Wallerand de Saint-Just qui répond : « Je pense que Marine sait tout cela. »

Marine Le Pen soutient que les assistants étaient « mutualisés »

Des éléments accablants qui n’ont pas encore été abordés par le tribunal. Cela n’a pas empêché le parquet de tenter, mardi, un résumé de la méthode Le Pen au Parlement européen : « Si nous comprenons bien, vous considériez que les enveloppes des députés sont un tout (…) et que les contrats peuvent être rattachés comme on l’entend à n’importe quel député. »

Une interprétation qui fait écho à la ligne de défense principale des prévenus : la théorie du « pool ». Lors des trois premières semaines de procès, plusieurs prévenus ont reconnu que plusieurs collaborateurs ne travaillaient presque jamais pour leurs députés.

Marine Le Pen soutient qu’ils étaient « mutualisés » et mis à disposition de l’ensemble des parlementaires. Un argumentaire qu’elle a eu plus de difficulté à défendre quand, mardi soir, elle a été interrogée sur son contrat la liant à Thierry Légier, alors garde du corps personnel de Jean-Marie Le Pen – une fonction qui, de plus, n’entre pas dans les fonctions possibles pour un assistant parlementaire.

Autre problème : non seulement les textes précisent que le collaborateur doit assister directement son député, mais en plus le FN n’a pas inscrit ce fonctionnement dans le cadre du « groupement ». Un dispositif prévu par le Parlement européen selon des règles strictes que les députés d’extrême droite ont donc contournées.

Marine Le Pen jouait-elle sciemment avec le feu ? Au détour de quelques phrases, à la barre, elle a laissé échapper l’idée que son parti savait qu’il n’était pas forcément dans la légalité. « Il y a des cas où l’administration était au courant et, comme elle ne réagit pas quand elle le sait, on peut se dire qu’il n’y a pas de problème », se défend-elle.

Marine Le Pen se répète, bafouille, s’agace

Or, au-delà de l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, a précisé sur ce point, la semaine dernière, que « les explications sur les règles non comprises, le tribunal en tirera les conséquences, en prenant compte les capacités et connaissances juridiques des uns et des autres. »

Marine Le Pen, avocate de formation, qui revendique avoir été « la cheffe de 24 députés » entre 2014 et 2019, ne devrait pas être épargnée. Lundi, elle a eu beaucoup de difficultés à se sortir de cette impasse, entretenant le flou autour de sa connaissance du cadre légal : « On me dit que les règles étaient claires, OK, j’entends. Mais bon, on a vu passer tellement de modifications… »

Parfois, sa fameuse assurance disparaît. Marine Le Pen se répète, bafouille, s’agace en voyant que ses explications ne prennent pas. La tension monte, elle sait qu’elle joue gros : une peine d’inéligibilité pour cinq voire dix ans, et une image écornée auprès d’un électorat qu’elle veut continuer d’élargir.

D’où sa fébrilité en voyant son ancienne assistante (personnelle, mais aussi parlementaire) Catherine Griset acculée par le tribunal. Alors qu’elle était censée, selon son contrat, « résider à Bruxelles et exercer à 100 % au siège du Parlement européen », elle a fini par avouer, après trois heures d’interrogatoire, qu’elle ne passait que « deux nuits à Bruxelles par semaine ». « Vous travailliez pour Marine Le Pen, présidente de parti ? », poursuit la présidente. « Non, j’ai travaillé pour Marine Le Pen, personnalité », a-t-elle timidement répondu.

Un autre témoignage laisse à penser que Catherine Griset avait gardé les mêmes missions d’assistante personnelle de la présidente du RN, y compris en devenant sa collaboratrice parlementaire. Gaël Nofri, lui-même ex-assistant parlementaire, a assuré durant l’enquête qu’il croisait « tous les jours au QG de campagne » l’assistante de Marine Le Pen dans les mois qui ont précédé l’élection présidentielle de 2012. « Gaël Nofri est un dingue, scande froidement Marine Le Pen à la barre pour balayer ce récit. Ce garçon est un fou. »

Des saillies bien loin de la « sérénité » qu’elle servait aux journalistes à l’ouverture du procès, deux semaines plus tôt. Entre-temps, elle s’est plusieurs fois montrée sur les dents. Lorsque le 2 octobre, le tribunal a annoncé ajouter plusieurs contrats, et une somme de plus d’un million d’euros aux « montants reprochés au RN », Marine Le Pen s’est mise à taper ses talons sur le parquet et à bougonner à l’endroit du tribunal. La semaine suivante, voyant l’ex-eurodéputé RN Bruno Gollnisch se faire rabrouer par la juge, on l’a vu s’agiter sur le banc des accusés.

A-t-elle senti le vent tourner ? Au Point, elle a confié que les premiers jours d’audience l’ont « un peu refroidie ». « J’ai perçu de la part de la présidente une tonalité de partialité », ajoute-t-elle. Le discours sur l’acharnement des juges et le procès politique, à charge, est déjà prêt.

En réalité, l’ancienne avocate a surtout compris que tous les axes de défense jusqu’ici avancés par elle et ses coprévenus ont été balayés d’un revers de main. Le fonctionnement en « pool », la faute au Parlement qui n’a pas prévenu, la fameuse activité politique des collaborateurs… autant d’arguments démontés par le parquet mais aussi par les juges eux-mêmes. D’où l’accusation d’impartialité de ces magistrats qui, jusqu’ici, se sont attachés à faire un rappel au droit.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/rassemblement-national/ce-que-nous-demande-marine-equivaut-a-ce-quon-signe-pour-des-emplois-fictifs-au-proces-du-rn-marine-le-pen-au-coeur-du-systeme

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