
Au cours de leur audience de rentrée, les conseillers prud’homaux de Quimper ont pointé un récent arrêt qui rend désormais possible la présentation dans son dossier de preuves obtenues illégalement. Ce qui n’est pas sans les inquiéter.
Par Yves MADEC.
Pour qui a déjà eu affaire au conseil de prud’hommes, cette juridiction qui règle les litiges entre salariés et employeurs, la recherche d’une preuve pour faire avancer son dossier ou pencher la balance est un passage quasi obligatoire. Chaque partie a la possibilité d’apporter celles qu’il juge nécessaires (contrats de travail, correspondances, mails, SMS, témoignages, attestations…), pour peu qu’elle respecte le principe de loyauté. C’est-à-dire qu’elle ait été obtenue de manière légale.
Propos enregistrés à l’insu du salarié, recevable
Sauf que deux arrêts récents de la chambre plénière de la Cour de cassation viennent de balayer cette obligation. À l’origine, les Cours d’appel d’Orléans et de Paris avaient écarté des preuves justement obtenues sans respecter ces principes. Pour le premier dossier, il s’agissait d’un salarié licencié pour faute grave après des propos enregistrés à son insu par son employeur. Dans le second, une capture d’écran de messages Facebook d’un salarié sur son ordinateur professionnel transmise à l’employeur. Il expliquait la promotion d’un collègue par son orientation sexuelle et celle de son supérieur hiérarchique.
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Deux preuves écartées par les deux juridictions. Mais finalement acceptées en décembre 2023 par la chambre plénière de la Cour de cassation. Un revirement de cette dernière qui considère désormais que « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ». Reste que les conditions sont strictes. Pour qu’une preuve « déloyale » soit admise, il doit être prouvé qu’il n’existe pas d’autre moyen de prouver les faits en question. Et que le fait spécifique justifie l’utilisation de preuves obtenues de manière déloyale.
« Attention, notamment avec l’intelligence artificielle »
La nouvelle présidente du conseil de prud’hommes de Quimper, Anne Kérisit, appelle donc à la vigilance. « Après le contrôle du caractère indispensable de la production de la preuve illicite ou déloyale, le juge doit mettre en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Il nous faudra faire bien attention, notamment avec l’intelligence artificielle qui peut créer des preuves. »
La présidente pointe un autre arrêt pour lequel les conseillers devront se montrer vigilants : l’acquisition de congés payés pour maladie non professionnelle. « Les employeurs sont censés informer les salariés des droits à congés qu’ils ont éventuellement acquis au cours d’un arrêt de travail intervenu sur la période 2009-2024, alerte la présidente sortante Véronique Raoult. Du côté des employeurs, peu se précipitent pour régulariser les situations. »
« La justice prud’homale est un peu la cinquième roue du carrosse »
Du travail en perspective pour les conseillers quimpérois qui sont théoriquement 46, mais six manquent à l’appel, trois côtés employeurs et trois côtés salariés. Des conseillers dont le litige sur les défraiements a été réglé en 2024, mais qui déplorent le peu de temps dont ils disposent par dossier.
« Comment un non-professionnel du droit peut-il étudier un dossier en 45 minutes, le temps qui nous est imparti ?, déplore Anne Kérisit. Quinze minutes pour un référé, cinq heures pour rédiger un jugement. C’est trop peu vu l’épaisseur des dossiers. Dans la machine judiciaire, la justice prud’homale est un peu la cinquième roue du carrosse. Regardez, c’est révélateur, pour notre audience de rentrée, il n’y avait même pas de budget cocktail. »
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