
Mardi 19 décembre, Antoine Léaument, député LFI-Nupes de l’Essonne, accompagné de militants LFI de Montbéliard et de Besançon, ont rencontré des militants CGT de Peugeot-Sochaux et de Forvia (anciennement Faurecia).
La réunion est introduite par C., retraité CGT PSA, qui procède à un rappel historique : « En 1976, il y avait 44 200 salariés sur le site de Sochaux. Aujourd’hui, il ne reste que quelque 6 000 salariés, dont 3 600 ouvriers en chaîne. On est désemparé par ces changements. En ce qui concerne les retraites, les gars savent bien qu’ils ne seront pas en chaîne à 65 ans. Ils seront au chômage et ou en invalidité. »
« Ils nous enfument avec la pénibilité »
E. (CGT Forvia) : « Ils nous enfument avec la pénibilité, comme l’a fait Sarkozy. J’ai commencé à 18 ans, j’aurai 47 ans de cotisations à 65 ans.
Mais je ne bénéficierai pas de mesures de pénibilité, car pour en bénéficier il faut prendre le travail à 4 heures du matin et nous on rentre à 5 heures du matin. A 45 ans, la plupart des ouvriers ont déjà le dos cassé, ils seront en inaptitude et n’auront pas assez cotisé au moment de la retraite. »
P. (CGT Forvia) : « On était les cycles Peugeot, puis Ecia, puis Faurecia et maintenant Forvia. C’est incroyable ce que le groupe peut toucher comme argent public. On a quitté Mandeure pour venir à Allenjoie, PMA (Pays de Montbéliard Agglomération, Ndlr) a racheté le site pollué pour 2,5 millions. Forvia a dû toucher 30 millions de subventions pour le passage de l’activité « pot d’échappement » à la fabrication de réservoirs à hydrogène. Mais l’hydrogène, ça reste aléatoire et d’ailleurs on n’a pas encore fait un seul réservoir. Que va-t-on devenir ? Un véhicule à hydrogène, c’est hors de prix.
La direction nous raconte des histoires. Elle dit qu’on est retenu pour les réservoirs de Mercedes. En fait, on est retenu pour présenter notre dossier. Passer un casting, ce n’est pas décrocher un rôle. Les subventions sont données sans aucune contrepartie. En 2000, on était encore 1 500 salariés à Mandeure, et aujourd’hui on est 260 ! »
« Quand Peugeot a touché le CICE de François Hollande, il a fermé l’usine d’Hérimoncourt »
J. (CGT Sochaux) : « Quand Peugeot a touché le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, Ndlr) de François Hollande, il a fermé l’usine d’Hérimoncourt. »
Antoine Léaument (A. L.) : « Cette année, le gouvernement a fait 10 milliards d’euros de cadeaux aux entreprises avec la suppression de la CVAE. Chaque année, au total, on en est à 160 milliards d’euros de cadeaux fiscaux. C’est l’équivalent du déficit de l’Etat. »
J. (CGT Sochaux) : « La direction prévoit de supprimer l’équipe de nuit où il y a beaucoup d’intérimaires. Ces contrats précaires servent à adapter la production. (…) Le but n’est pas de répondre aux besoins, mais de garantir le maximum de profit. C’est ainsi qu’on a une flexibilité insupportable et en plus on peut avoir du chômage et en même temps l’embauche d’intérimaires. »
B. (CGT Sochaux, retraité) : « Avant, la loi limitait le recours à l’intérim, il devait correspondre à un “surcroît temporaire d’activité”, Peugeot ne la respectait pas, on a gagné au tribunal. Depuis ils ont inventé l’intérim d’insertion. »
A. L. : « Nous, nous demandons une limitation avec un maximum de 10 % d’intérimaires dans les PME et 5 % dans les grandes. »
« Les jeunes ont proposé la mobilisation du 21 janvier alors on va y aller »
C. (retraité CGT PSA) : « Mais en plus ils trichent avec les BEX (bureaux d’études extérieurs), ils ont des contrats de chantier. Les gars sont en CDI, mais ce sont des salariés nomades, quand ils ne sont pas autoentrepreneurs. »
A. L. : « Pour la retraite, Macron cherche l’alliance avec LR. Les jeunes ont proposé la mobilisation du 21, alors on va y aller. Il faut lier les salaires et les retraites, car les augmentations de salaires sont des augmentations de cotisations. On a calculé que le seul alignement des salaires des femmes sur celui des hommes suffirait à payer le retour à 60 ans. Et il faut aussi parler du coût du chômage des seniors. »
B. (LFI) : « Peux-tu nous parler des salaires chez PSA ? »
« On est bientôt tous payés au Smic »
J. (CGT Sochaux) : « En doublage après 20 ans, c’est 1600, 1700 euros net primes comprises. Le fait que le Smic augmente un peu chaque année et que les autres salaires augmentent moins ou pas aboutit au fait qu’on est bientôt tous au Smic. Cette année, les Nao donnent une augmentation en dessous de l’inflation, c’est-à-dire une baisse du pouvoir d’achat. Chez les cadres, ils ont surtout des augmentations individuelles (AI). »
A. : « Ici, ce que je fais en plus des 35 heures, ça va dans un compteur, ces heures sont mises de côté pour compenser les périodes basses. Les compteurs sont sur trois ans. On est donc flexibles et c’est nous qui payons la flexibilité. Avec ça on peut chômer le jeudi et travailler le samedi. La direction peut toujours nous appeler ; prévoir un week-end avec la famille, c’est jamais. »
E. (CGT Forvia) : « Nous, on semble mieux payés parce qu’on fait plus d’heures mais si on compte tout, on est un centime au-dessus du Smic, ceux qui ont 5 ans d’ancienneté ou ceux qui en ont 30 sont payés pareil. »
C. (retraité CGT PSA) : « C’est tout ça qui fait le rejet des organisations syndicales et politiques. Là, on est dans des zones de non-droit. Je suis choqué quand j’entends Fabien Roussel parler du « travail ». Aujourd’hui, il faut partir de ces conditions de flexibilité. »
B. (CGT Sochaux, retraité) : « Il y a des primes cotisées et des non cotisées. Par exemple, la prime de panier n’est pas cotisée. La prime de doublage était cotisée. Maintenant, ils ont basculé la prime de doublage en prime de panier, le salarié n’y voit rien sur le moment. »
« L’ambiance est propice à l’émergence d’un mouvement de type Gilets jaunes »
J. (CGT Sochaux) : « Je reviens sur les NAO. On dit 5,3 %, mais en réalité la moitié des salariés n’auront que 4,4 % de réelle augmentation de salaire. »
A. L. : « Oui et l’inflation pour les bas salaires est plus près de 15 % que de 7 %. Et sur les questions salaires, on se heurte à l’Assemblée à une majorité droite + extrême droite. La situation est intenable, et c’est sûr que ça va exploser. »
D. (CGT Peugeot) : « Oui, mais ça va être n’importe quoi comme on le voit à la SNCF où ça passe par les réseaux sociaux, même s’il y a des syndicats dedans. Plus rien ne sera maîtrisé. »
A. L. : « C’est comme ça dans une période révolutionnaire, et c’est à nous, syndicalistes et politiques, de jouer notre rôle pour donner l’orientation afin que ça ne parte pas dans n’importe quelle direction. Regardez avec les Gilets jaunes, c’est la première fois que la bourgeoisie a eu les miquettes. L’ambiance est propice à l’émergence d’un mouvement de type Gilets jaunes. »
C. (retraité CGT PSA) : « Dans les GJ, il y avait aussi de l’extrême droite. »
T. : « Aujourd’hui, on peut nous appeler à 9 heures du soir pour nous dire de ne pas venir le lendemain à 5 heures. Et les gars ils disent que les syndicats acceptent ça. Et c’est vrai qu’il y a des syndicats qui signent tout. »
A. L. : « Moi, j’ai le même sentiment, le CICE a été fait par Hollande, c’est pas une politique de gauche. »
C. (LFI) : « Oui, on a les mêmes problèmes et ici la CGC est majoritaire à Sochaux et on a une députée RN. Comment fait-on pour combattre ensemble en respectant le champ d’action de chacun ? Il faut recréer une filière industrielle du transport. Aujourd’hui, c’est l’inverse, les patrons disloquent en usines distinctes et l’Etat ne garantit rien. Comment fait-on pour se battre dans un collectif qui associe les uns et les autres ? »
J. (CGT Sochaux) : « Il faut déjà expliquer que c’est possible d’avoir une retraite. Sur les GJ, oui il y avait des extrêmes droites, mais par endroit aussi on y voyait les copains de l’usine. »
« Je crois que le seul moyen pour défendre les retraites, c’est de bloquer le pays »
A. L. : « J’ai interrogé les GJ en direct, aucun ne m’a parlé des immigrés. Je crois que le seul moyen pour défendre les retraites, c’est de bloquer le pays. On a un temps très court devant nous. Il faut aider au déclenchement et peu importe si on est débordés. »
T. : « Il y a un fatalisme chez les gens, il est construit par les médias. On fait croire que c’est le gars qui touche 570 euros qui est responsable de la crise et pas tous ceux qui touchent des milliards. Ici, par exemple, PMA rachète les friches industrielles à prix d’or pour filer l’argent public à PSA. »
C. (retraité CGT PSA) : « Je crois qu’on reste trop sur des luttes défensives et on ne mobilise pas ceux qui n’ont plus grand-chose à défendre. Ainsi, ni dans les GJ, ni ailleurs, on ne voit les gars des quartiers. »
A. L. : « Pour ce qui est des GJ, les médias ont dit aussitôt que c’était des fachos et les gars des quartiers se sont méfiés. Il faut l’unité de tout le peuple pour un mouvement révolutionnaire. La retraite, ça fait accord. Il y a un gouvernement brutal, il faut une réponse à la hauteur. Je pense que s’il y a un déclic, ça va partir. »
B. (CGT Sochaux, retraité) : « On a une force aujourd’hui, c’est l’unité des organisations syndicales. Mais, si nous, on rejoint le 21 avec les organisations politiques, d’autres organisations syndicales ne rejoindront pas. Par contre, l’inverse est toujours possible, les organisations politiques peuvent se joindre aux initiatives syndicales. »
Propos recueillis par Pierre FAILLENET
source: Informations Ouvrières n°738 (semaine du 5 au 11 janvier 2023)