
Fournir 80 % de légumes bio à la cuisine centrale, tel est l’objectif du potager lancé il y a quatre ans par la municipalité de Saint-Junien, qui salarie deux maraîchères. Un projet de résilience alimentaire locale.
Par Nicolas BEUBLET et Timothée BUISSON (photographies).
Saint-Junien (Haute-Vienne), reportage
Sept agents municipaux, vêtus de leurs tenues orange fluo, s’affairent dans un champ. Accroupis, les mains dans la terre, ils ramassent des pommes de terre, qui finiront bientôt dans les assiettes des enfants scolarisés à Saint-Junien. Peut-être même les leurs.
Dans cette commune de 11 000 habitants, historiquement communiste et ouvrière, où 280 agents municipaux sont employés par la mairie, le service public est une fierté. Le potager en régie communale, lancé il y a bientôt quatre ans par l’Union de la gauche — majoritaire au conseil municipal —, en est le dernier exemple. Le projet : fournir 80 % des légumes bio consommés par la cuisine centrale, bien plus que les 20 % imposés par la loi Egalim.
Pour les travaux maraîchers d’ampleur, c’est le service des espaces verts qui est mobilisé. Un plaisir pour Julien, agent de la commune : « Ça nous sort de la routine, on est content de s’impliquer dans un beau projet comme ça. »

« Malgré le taupin [coléoptère qui sectionne les racines], c’est mieux que l’année dernière ! » se réjouit Kim, l’une des deux maraîchères, en enlevant la terre de ses mains. Elles ont produit 1,2 tonne de pommes de terre en 2024. Loin des 15 tonnes consommées par la cuisine centrale de Saint-Junien. Mais Marie est optimiste : « Nos champs de patates sont dans une ancienne prairie qui demande à être travaillée plusieurs années pour donner sa pleine capacité. » Les 6 hectares du potager sont situés sur l’île de Chaillac, la plus grande sur la Vienne. Un lieu quasi entièrement en zone inondable, terre d’élevage plus que de maraîchage.
Un objectif de 26 tonnes
Dans un tel projet, l’acquisition du foncier pourrait représenter un frein. L’île appartient à la communauté de communes Porte Océane du Limousin, qui met les 6 hectares du potager à disposition gratuitement.
En 2024, le potager municipal avait livré 12 tonnes de légumes à la cuisine centrale de la ville. Soit une estimation de 23 000 euros de légumes, calculée en comparant aux prix des légumes bio vendus au marché de Rungis. Cette année devrait être semblable. Les cultures de courgettes et de carottes ont pâti d’un virus. Heureusement, il y a aussi quelques réjouissances. Devant une parcelle de poireaux bien garnie, Marie raconte leurs ajustements : « On a mis plus de compost et on les a espacés. Ils kiffent, on est contentes. »

Les deux salariées municipales viennent aussi bousculer les palais des enfants. Cet automne, ils découvriront le radis d’hiver. « Ça nous permet de nous passer du radis de printemps, car sa récolte prend du temps : au moins deux heures pour un seul service », justifie Marie, qui nous guide entre les parcelles et les serres. Priorité à l’efficacité pour la récolte, et pour la préparation des légumes. Petits pois, haricots verts et artichauts n’ont pas leur place ici.
À terme, l’objectif est de fournir près de 26 tonnes de légumes bio à la cuisine centrale. Pour cela, le recrutement de main-d’œuvre supplémentaire sera nécessaire. « On le sait : si on veut pérenniser, il faut recruter. Les agents municipaux ont déjà beaucoup de boulot. Les solliciter sur leurs horaires, ce n’est pas viable dans le temps. Mais le sujet du potager municipal est très politique ! » martèle Éliane Croci, adjointe au maire de Saint-Junien, devant les serres de patates douces.
« Ça reste l’argent du contribuable »
Jusqu’à l’année dernière, une convention avec une association d’insertion permettait aux deux maraîchères d’avoir de l’aide six heures par semaine pour de l’entretien. Ce n’est plus le cas. « Si on veut augmenter les surfaces cultivées au-delà de 3 hectares, il faut 1 à 2 personnes en plus », anticipe Marie.
En attendant, les deux gérantes du potager continuent d’apprendre les caractéristiques de leur outil de travail. Marie, t-shirt de la mairie de Saint-Junien sur le dos, s’apprête à passer son deuxième hiver ici, sur des terrains majoritairement sablonneux. « Le sol sèche vite. Il retient peu l’eau et les nutriments. J’aimerais refaire une analyse de sol, pour voir si on a réussi à l’améliorer », espère-t-elle. Pour couvrir le fonctionnement du potager, les deux salariées ont un budget de 16 000 euros par an, qu’elles gèrent avec vigilance, tient à signaler Marie : « Ça reste l’argent du contribuable, je fais attention. On bricole quand on peut, au lieu de remplacer systématiquement. »

Deux fois par semaine, les légumes sont livrés à l’Unité centrale de production alimentaire (UCPA) de Saint-Junien, à cinq kilomètres d’ici. En période scolaire, neuf cuisiniers y préparent chaque jour 1 100 repas. Il est 11 heures, et tout le monde est en pause déjeuner.
« Au sol, quand la couleur est grise, c’est pour la zone sale ; si c’est bleu, c’est la zone propre », détaille Geoffroy Paradoux, responsable de l’UCPA. Dans le dédale de ce bâtiment municipal achevé en novembre 2021, notre guide ouvre des portes coulissantes à tour de bras : une salle de stockage pour le beurre, les œufs et le fromage, une autre pour l’épicerie… Et la pièce maîtresse : un congélateur à -19 °C où sont conservés les légumes du potager une fois mis sous vide et surgelés.
« C’est un choix politique »
On ne peut pas rester trop longtemps dans cette pièce où s’entassent plusieurs tonnes de courgettes, poivrons, aubergines et tomates crus. Lors des vacances scolaires, la cuisine centrale ne produit plus que 300 couverts par jour, alors que la récolte des légumes d’été est au plus fort. Pour débiter la quantité de légumes en sachets sous vide, un agent d’une école de Saint-Junien vient deux jours par semaine leur prêter main-forte.
« Tout le surplus de légumes est lavé, puis taillé, surgelé et congelé. Cela nous permet de compenser les périodes creuses du potager. On peut faire de la ratatouille jusqu’en février », estime Geoffroy. Le responsable de l’UCPA et les maraîchères fonctionnent en harmonie. « Les enfants n’aiment pas tous les légumes et de leur côté, elles ne peuvent pas tout faire », présente-t-il. Il y a aussi de bonnes surprises. Geoffroy jubile en pensant aux pastèques récoltées cette année : « Elles ont testé un peu par hasard, et ça a un goût incroyable ! »

Pour le moment, les équipes du conseil municipal n’ont pas calculé le coût du dispositif. « Il faudra qu’on le fasse, c’est intéressant », admet Claude Balestrat, conseiller délégué en charge du potager. « Depuis le début du projet, je n’ai pas eu envie qu’on regarde le coût mais ce qu’on donne à manger aux enfants. Il n’est pas question de parler de rentabilité ! C’est un choix politique. À Saint-Junien, il y a des habitants en grande précarité. Pour beaucoup d’enfants, c’est le seul repas équilibré de la journée », défend Éliane Croci. Le projet a vu le jour juste avant la baisse des dotations publiques pour les collectivités. « Lancer ça aujourd’hui, je ne sais pas si ce serait possible », concède l’adjointe.
Un jour, des outils intercommunaux ?
Ici, un repas — entrée, plat, dessert — coûte 12,50 euros à produire, aliments, fluides et salaires compris. Les familles payent 3 euros de leur poche cette année. L’adjointe serait partante pour mettre en place une tarification sociale et des repas à 1 euro. Sur les 727 enfants scolarisés dans les établissements scolaires de la ville, 707 mangent tous les jours à la cantine.
À l’avenir, « le potager municipal et la cuisine centrale ont vocation à devenir intercommunaux, et les coûts à être partagés », envisage Éliane Croci. L’UCPA a la capacité de produire 2 000 repas par jour, d’après son responsable. D’autres actions sont à prévoir en attendant, pour Claude Balestrat : « On doit faire plus de communication aux citoyens sur l’existence du potager. » Et même au sein du conseil municipal : « Des élus ne savent pas où est le potager », se désole Éliane Croci. À table, la discussion se poursuit : que deviendrait le potager si les forces de gauche perdaient les municipales de 2026 ?

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