« C’était la terreur » : deux anciens élèves visent ce collège finistérien (LT.fr-26/02/25)

L’affaire de Bétharram fait resurgir des souvenirs. D’anciens élèves d’un collège du Relecq-Kerhuon (29), qui assurent avoir vécu « sous les coups » et « dans la terreur », dans les années 1970, annoncent créer « un collectif de victimes ».

Par Hervé CHAMBONNIERE, Paul BOHEC & Steven Le ROY .

S’agit-il d’échos isolés aux effroyables récits d’anciens élèves de l’école privée de Bétharram, près de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques ? Dans le Finistère, pour Joël, 67 ans, l’affaire a réveillé de douloureux souvenirs. « J‘ai aussi été victime de violences physiques épouvantables, entre mes 12 et 14 ans, dans un collège catholique du Relecq-Kerhuon, à côté de Brest, dirigé par un curé violent et une équipe à sa botte, assure-t-il. Aucune violence sexuelle mais, moi et beaucoup d’autres, on s’est littéralement fait massacrer. »

« Quatre années de terreur »

La semaine dernière, Joël adresse un message de soutien au collectif des victimes de Bétharram. Il y fait part de son souhait d’en créer un, lui aussi. Pour l’un des membres du collectif pyrénéen, Frédéric, 64 ans, le message « fait tilt ». Le père L., Le Relecq-Kerhuon : il s’agit forcément du collège pour garçons où il a passé quatre ans de sa vie, entre 1973 et 1976. « Quatre années de terreur, avec des profs psychopathes qui cognaient sur les élèves… Pour les violences physiques et psychiques, c’était comme Bétharram », soutient le sexagénaire. Frédéric sait de quoi il parle. Il a été scolarisé dans les deux établissements. « Une double peine », souffle celui qui a porté plainte pour viol, le 16 février, contre un prêtre de l’institution pyrénéenne.

Frédéric a 9 ans, en 1970, quand, après le divorce de ses parents brestois, et un déménagement à Bayonne, il intègre le « sinistre établissement » pyrénéen et son internat. « Une chambrée de 40 à 50 lits où, le soir et la nuit, le silence devait être total. » « Le pion dormait au bout du dortoir. Si un bruit le réveillait, il allumait toutes les lumières et tout le monde devait se lever. On devait alors rester debout et attendre son autorisation pour retourner au lit. Cela pouvait durer une heure, parfois plus encore. Par peur de ce châtiment, certains pissaient au lit la nuit pour ne pas risquer de faire de bruit… »

Frédéric apprend les rudiments de « savoir-vivre », à coups de « gifles ». « Nous, on était les petits, ça allait encore. Mais ceux du collège s’en prenaient vraiment plein la gueule », se rappelle-t-il. Il reste un an, en 7e (le CM2), et un trimestre en 6e. « Ma mère a perdu son emploi et nous sommes rentrés à Brest. » Un an plus tard, après avoir redoublé sa 6e à Brest, il pousse en 1973 les portes du collège Saint-Pierre, au Relecq-Kerhuon.

À lire sur le sujet Bétharram : l’Église déplore « des faits graves » et « en contradiction totale avec l’esprit de l’enseignement catholique »

«On était forcément coupables»

Dans le Finistère, un souvenir le tétanise encore : un hurlement dans l’église où, régulièrement, l’abbé L. convoque tous les collégiens pour se confesser. « C’était un élève de 4e qui hurlait de douleur. L’abbé L. l’a tiré par les cheveux, du confessionnal jusque dans la rue. Là, il s’est mis à le rouer de coups. Le gamin avait le visage en sang. Le père L. est retourné dans l’église, a repris place dans son confessionnal. Et là, d’une voix incroyablement calme, on l’a entendu dire : « Au suivant ». On était pétrifiés. »

Le sexagénaire évoque « une violence décomplexée, institutionnalisée ». Bien au-delà des « châtiments corporels » (gifles et fessées) admis par l’Éducation nationale jusqu’à leur abolition officielle, en 1991. « Parfois, on ne savait même pas pourquoi on nous tapait dessus, poursuit-il. On prenait ça avec fatalisme. C’étaient des adultes. Ils avaient forcément raison et, donc, on était forcément coupables. Il a fallu des années pour se rendre compte que ce n’était pas normal. » Frédéric conservera, notamment, de ces expériences traumatisantes « un bégaiement très lourd, pendant de longues années ».

« Beaucoup de jeunes ont eu leur bac grâce au père L. »

« L’enseignement était très dur dans ce collège, atteste un ancien élu municipal du Relecq. C’est pour ça que les parents y envoyaient leurs enfants, pour qu’ils soient tenus et qu’ils travaillent. Beaucoup de jeunes ont eu leur bac grâce au père L. » Ce dernier, qui se disait volontiers « curé des voyous », est décédé à Brest, en juillet 2004. Rares sont les enseignants encore en vie, aujourd’hui. Nous avons pu retrouver l’un d’eux, mis en cause et ayant exercé « de 1965 à 2005 ». Il trouve « surprenant » d’évoquer « un fonctionnement qui remonte à plus de cinquante ans ». « Je ne dis pas que tout était parfait, ou que tel ou tel élève ait pu se sentir rudoyé. Mais vous aurez du mal à trouver un établissement où il n’y a pas eu telle ou telle attitude regrettable », explique-t-il, n’écartant pas la possibilité de quelques « mouvements d’humeur ».

Le collège se situait au cœur du bourg, au fond à gauche sur cette photo.
Le collège se situait au cœur du bourg, au fond à gauche sur cette photo. (Photo Hervé Chambonnière)

« Des parents nous suppliaient de prendre leur enfant »

Manifestement éprouvé, lui veut mettre en avant « ces parents qui venaient les supplier de prendre leur enfant au collège ». « Interrogez-les ! On recevait des fils d’avocats, de familles aisées, mais aussi beaucoup d’enfants en échec. Des enfants parfois très très difficiles, avec une charge de travail extrêmement importante pour nous », poursuit-il. « Qu’on veuille salir la mémoire du père L., qui a rendu tant de services à tant de familles… On en a reçu des remerciements, de familles et d’élèves ! »

L’ancien prof rappelle que « le collège est parti de rien, dans les années 1950 ». « On a atteint près de 500 élèves, dans les années 1970. On aurait beaucoup de mal à croire qu’autant de parents aient pu souhaiter que leurs enfants subissent tel ou tel… Allons ! »

Pour un ancien cadre de l’enseignement catholique, souhaitant rester anonyme, le père L. était « irréprochable ». « Tout rapprochement avec les affaires en cours serait injuste. Et puis, tout le monde savait. Moi, quand j’accueillais au lycée des élèves de Saint-Pierre, je savais qu’ils avaient besoin de souffler un peu. Les parents qui mettaient leurs enfants dans ce collège le faisaient en parfaite connaissance de cause. »

« Nous voulons recueillir les témoignages des autres victimes »
« Collège des frères quatre bras », « le bagne » : les surnoms donnés, dans les années 1970, à l’établissement scolaire du Relecq-Kerhuon, dans l’agglomération brestoise, sont évocateurs, comme le rapportent plusieurs autres anciens élèves que Le Télégramme a pu retrouver. Tous confirment les violences physiques. « Ce n’étaient pas de petites tapes, c’étaient des raclées… Cela vous assommait pratiquement, insiste Thierry S., ancien collégien. Ce qu’il s’est réellement passé, je pense que tout le monde ne le sait pas. J’en ai reparlé au curé du collège, quelques années plus tard. Il m’a répondu : « Tu étais à l’époque sanglante ». Quand on se rappelle ce qu’on a vécu, c’était le terme approprié. Après, je suis rentré dans la Marine. Pendant les classes, on essayait de vous dégoûter. Ce n’était rien par rapport à Saint-Pierre. Plus rien ne me faisait peur. »

Daniel, 66 ans, a fréquenté l’établissement en 1974, en 3e : « Pendant cette année-là, j’ai arrêté ma croissance. Je n’ai pas pris 1 cm. C’était la terreur, une usine à faire des sauvages. » Philippe, 65 ans, évoque cette fois où, pour s’être penché dans la file menant au réfectoire « pour dire une bêtise à un copain », il s’est « pris un coup de poing sur l’arrière de la tête ». « J’étais KO. Quand je suis revenu à moi, j’étais dans la cour, sous la pluie, sans personne pour m’aider. »

« Ce collège était, a priori, plutôt destiné à redresser qu‘à éduquer, pour des familles qui étaient complètement démunies, réagit Christophe Geffard, directeur diocésain de l’enseignement catholique dans le Finistère. Plusieurs générations ont connu ces établissements où il y avait une sévérité qui n’est aujourd’hui plus tolérable. Il faut remettre ça dans son contexte, même si cela n’excuse et ne justifie rien. Ce sont des choses qui ne pourraient plus du tout exister. »
Deux anciens élèves, Joël et Frédéric, ont décidé d’officialiser la création d’un collectif (*) pour « recueillir les témoignages de victimes », les aider, et « faire reconnaître leur statut ».

(*) collectifsaintpierrekerhuon@yahoo.com

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Source: https://www.letelegramme.fr/finistere/relecq-kerhuon-29480/cetait-la-terreur-deux-anciens-eleves-visent-ce-college-finisterien-6767557.php

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