Chez France Travail, Frontex promet « de la chasse » de migrants pour recruter (StreetPress-22/09/25)

Illustration de Une réalisée par Mila Siroit.

Lors d’une visioconférence début septembre, un ex-officier de Frontex a voulu rendre le métier de garde-frontières attractif pour les « jeunes hommes ». Pour en recruter 500 d’ici janvier 2026, l’agence a baissé le niveau d’études requis au bac.

Par Lina RHRISSI.

« Je sais que parmi les candidats, il y a pas mal de jeunes hommes qui sont comme je l’étais quand j’avais leur âge, 20-25 ans, qui [ont] envie de faire de la police, de l’action, de la chasse, etc. » L’homme qui s’exprime en ces termes est le commandant de police, Dominique Bott. Jusqu’au 1er septembre, il était officier de liaison pour la France auprès de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex. Le 4 septembre, il a participé avec sa remplaçante à une réunion d’information en visioconférence de France Travail sur le recrutement de garde-frontières en Europe, accompagné de deux employées de l’agence pour l’emploi. Elle a été organisée avec Défense Mobilité, le service des transitions professionnelles du ministère des Armées.

StreetPress s’est procuré un enregistrement vidéo de cette réunion, où 170 demandeurs d’emploi ont pu apprécier la présentation du métier chez Frontex par le haut gradé :

« Il faut savoir que le garde-frontière peut être amené, même beaucoup, à faire des patrouilles dans la zone frontalière. Il peut être amené à interpeller des gens qui passent des frontières […] de manière illégale et qui essaient d’échapper au contrôle. »

Interrogé sur la « chasse » comme argument d’attractivité, l’agence France Travail s’est désolidarisée des propos du commandant Bott qui ont « pu heurter certains participants ».

« L’animateur de la réunion a essayé de faire comprendre son activité peu connue auprès d’un public pouvant en avoir une perception parfois approximative. Nous regrettons sincèrement l’expression empruntée qui était clairement inappropriée et en avons informé le recruteur. »

Recrutement massif

Frontex s’est associée à France Travail pour attirer de nouveaux candidats alors qu’elle vise l’embauche de 500 nouveaux garde-frontières en Europe d’ici janvier 2026. En 2024, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a annoncé au Parlement européen que les effectifs de l’organisme passeraient de 2.500 garde-frontières et gardes-côtes à 10.000 en 2027, puis 30.000 les années suivantes.

En plus d’un salaire de 3.500 à 4.000 euros net par mois et de nombreuses aides sociales — Frontex est l’agence la plus riche de l’Union européenne —, l’officier de police explique que le niveau d’études requis a été « réévalué » cette année pour passer d’un bac+3 au baccalauréat.

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L’agence cherche en priorité des recrues françaises, ainsi que allemandes et néerlandaises, car ces nationalités seraient trop peu présentes au sein des effectifs, et des femmes, « largement sous-représentées », selon lui. Pourtant, c’est uniquement aux candidats masculins qu’il s’est adressé lorsqu’il a évoqué l’opportunité de « chasse » que comporte le poste.

Cadre idyllique et chasse à l’homme

Le contrat de cinq ans, renouvelable une fois, commence par une année de formation à Varsovie, en Pologne, où se trouve le siège de Frontex. Le commandant Dominique Bott tient à rassurer les intéressés sur la météo polonaise : « Le climat n’est pas très différent de ce qu’on peut connaître dans l’Est de la France. » Surtout, il explique que si un agent a été affecté « dans un coin isolé » — comme à la frontière entre le Monténégro et la Serbie — il aura de grandes chances d’être redéployé deux ans plus tard pour un poste « un peu plus idyllique », comme les îles grecques ou la Sicile, en Italie.

Sa successeure, Alexandra Bouthier Lefebvre, prend le relai pour expliquer qu’une journée type de garde-frontières consiste principalement à vérifier le « statut légitime de voyageur qui est autorisé à passer une frontière », autrement dit la validité de ses documents. C’est à ce moment, au bout de plus d’une heure de réunion, que Dominique Bott prend à nouveau la parole pour intervenir et pimenter la présentation du métier avec son versant d’action « non négligeable ».

Au mot « chasse », la commandante de police Alexandra Bouthier Lefebvre lui fait signe de la main et de la tête de s’arrêter. Au milieu de sa phrase, il lui répond en riant : « Elle me fait signe ! », sans prendre en compte son alerte. Le policier conclut en promettant :

« Pour ceux qui pensent que leur métier sera simplement de rester à une frontière et de contrôler les passeports, pas forcément, il y a les deux pour les plus jeunes qui ont envie d’un peu plus d’action. »

Plainte pour complicité de crime contre l’humanité

Un argument d’autant plus problématique que les garde-frontières sont armés, comme le confirme le commandant de police pendant la réunion France Travail, et que l’agence européenne a déjà été accusée de comportements illégaux.

Fabrice Leggeri, l’ancien directeur de Frontex de 2015 à 2022, également cadre du Rassemblement national, est visé par une plainte pour complicité de crime contre l’humanité. La justice se penche sur sa participation au refoulement d’embarcations de migrants par les autorités grecques vers la Turquie, appelés en anglais des « pushbacks ». Un rapport a prouvé que Frontex cautionnait ces pratiques, contraires à la convention de Genève, qui se font parfois avec moult violences.

StreetPress a tenté d’entrer en contact avec le commandant Dominique Bott, sans succès. Le policier a depuis rejoint l’Inspection générale de la police nationale, à Metz (57). Cette fois pour faire la « chasse » aux violences policières.

Interrogée sur les propos tenus par Dominique Bott, l’agence européenne Frontex n’a pas souhaité répondre.

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Source: https://www.streetpress.com/sujet/1758532916-france-travail-frontex-chasse-migrants-recruter-unioneuropenne

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