
La Cour internationale de justice a rendu un avis « historique » sur les obligations climatiques des États. Tous doivent réduire activement leurs émissions pour ne pas bafouer les droits humains. Les pays riches avant tout.
Par Justine GUITTON-BOUSSION .
Les juristes et observateurs parlent d’un avis « historique ». La Cour internationale de justice (CIJ) a conclu le 23 juillet que tous les États avaient l’obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de « coopérer de bonne foi les uns avec les autres ».
Les pays les plus riches doivent en outre « être à l’avant-garde de la lutte », précise la Cour. La violation d’une de ces obligations constitue « un fait internationalement illicite » engageant la responsabilité des États, qui pourraient être amenés à payer une forme de « réparation intégrale aux États lésés ».
Cette conclusion pourrait aller de soi, au vu des textes encadrant déjà l’action climatique internationale — l’Accord de Paris signé en 2015 par exemple — mais c’est la première fois qu’une décision de justice internationale clarifie de cette façon les obligations de chaque pays. Et ce, qu’ils aient signé des traités environnementaux ou non.
« Certains États, comme les États-Unis, souhaitaient s’abstraire de leurs responsabilités climatiques en se retirant de l’Accord de Paris. La CIJ refuse cela, elle dit clairement que les obligations climatiques sont des obligations du droit international général », relève Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement.
« Les obligations climatiques sont des obligations du droit international général »
« C’est une décision historique, qui va avoir une portée très grande. Les avocats du monde entier vont s’appuyer sur cet avis », se réjouit Anne Stevignon, juriste pour l’association de justice climatique Notre affaire à tous.
Quand bien même cet avis est « consultatif », et donc officiellement non contraignant, il va servir de base commune à tous les tribunaux partout dans le monde, abonde Charlotte Ruzzica de La Chaussée, avocate internationale qui était impliquée dans les procédures consultatives : « On ne peut pas faire fi de cette interprétation, c’est un précédent juridique pour les futurs contentieux climatiques. »
Une procédure lancée par les États insulaires
António Guterres, secrétaire général des Nations unies, estime même que l’avis de la CIJ est une « victoire pour notre planète ». De son côté, le Vanuatu, archipel du Pacifique, l’a qualifié de « jalon historique pour le climat ».
La CIJ avait justement été saisie après une campagne lancée en 2019 par des étudiants des îles du Pacifique Sud, menacées par la montée des eaux et le changement climatique. Ces jeunes avaient su convaincre les dirigeants des États insulaires du Pacifique, puis l’Assemblée générale des Nations unies, de s’adresser à l’organe suprême de la justice mondiale, situé à La Haye (Pays-Bas).

Une centaine d’États avaient ensuite été auditionnés en décembre 2024. La Cour devait rendre un avis sur deux questions essentielles : quelles sont les obligations climatiques des pays au regard du droit international ? Et quelles sont les conséquences juridiques pour les États en cas de manquement ?
La science devient un fait juridique
Conclusion : le changement climatique est « une menace urgente et existentielle », a affirmé le président de la CIJ, Yūji Iwasawa, lors de son discours qui a duré deux heures.
« La place de la science est importante dans cette décision, analyse Charlotte Ruzzica de La Chaussée. Les rapports du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] ont été cités, considérés comme la meilleure source de données scientifiques. On les place au centre, comme point de départ irréfutable. On met complètement de côté l’argumentaire qu’on entend beaucoup aux États-Unis, qui est d’ignorer le changement climatique ou de dire qu’il n’existe pas. »
« Ce qui était un fait scientifique devient un fait juridique : le changement climatique est une réalité. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait », abonde Arnaud Gossement. Les tribunaux nationaux, en France comme aux États-Unis, ne pourront donc théoriquement plus remettre en cause cette menace.
« La France ne doit pas faire des économies avec les droits humains »
« Compte tenu des effets néfastes des changements climatiques sur la jouissance des droits de l’Homme, la Cour considère que la pleine jouissance de ces droits ne peut être assurée sans la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement », peut-on lire dans le copieux avis (140 pages) de la CIJ. La Cour conclut que les États ont la responsabilité de mener des politiques climatiques ambitieuses et efficaces pour protéger les droits humains.
« La France ne doit pas faire des économies avec les droits humains. Pour protéger les personnes les plus vulnérables, elle doit augmenter ses subventions aux pays du Sud afin qu’ils puissent s’adapter à un climat toujours plus hostile et dangereux », a réagi Robin Ehl, chargé de plaidoyer pour l’association Oxfam France, dans un communiqué.
Le gouvernement français envisage pourtant de réduire l’aide publique au développement en 2026 (qui finance notamment des projets dans des « pays en développement » pour s’adapter au changement climatique). Elle pourrait être amputée de 700 millions d’euros. « Cette décision est une victoire pour les États les plus vulnérables, une victoire pour la France et une victoire pour le climat », a toutefois réagi Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique.
De futurs contentieux climatiques
L’avis de la CIJ vient également valider la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui avait condamné la Suisse, en avril 2024, pour violation de la Convention des droits de l’Homme. L’État helvète était attaqué en justice pour inaction climatique par l’association Aînées pour la protection du climat, regroupant 2 500 femmes de plus de 64 ans. « Il y a une convergence entre l’analyse de la CEDH et celle de la CIJ, note Arnaud Gossement. On peut maintenant imaginer que des associations de défense des droits de l’Homme se saisissent de cet avis. »

Cette décision de la Cour pourrait aussi venir donner du grain à moudre aux associations environnementales. Des victimes de sinistres climatiques, accompagnées par les associations Greenpeace, Oxfam et Notre affaire à tous, ont ainsi attaqué l’État français en justice en avril, en dénonçant ses « insuffisances » en adaptation au changement climatique. Une nouvelle étape de L’Affaire du siècle sera également jugée en appel.
« Le fait que la CIJ affirme avec force l’obligation d’agir de manière ambitieuse pour limiter le changement climatique à 1,5 °C, ce sont des éléments sur lesquels les tribunaux s’appuieront pour rendre leur décision », prédit Anne Stevignon. D’autres contentieux pourraient s’ajouter à la liste, si de nouvelles personnes et associations décidaient de se saisir de cet avis pour attaquer en justice l’État français.
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Source: https://reporterre.net/Historique-l-inaction-climatique-des-Etats-jugee-illegale
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